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La Russie veut-elle déstabiliser le Monténégro?

Un procureur monténégrin a affirmé le 6 novembre 2016 que des nationalistes russes se trouvaient derrière un complot anti-gouvernemental déjoué la veille des élections du 16 octobre. L’affaire est bien mystérieuse. Mais une chose est sûre: le Monténégro est au cœur du duel entre Occident et Russie dans les Balkans.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
L'homme fort du Monténégro, Milo Djukanovic, à Pogdorica, le 16 octobre 2016. (REUTERS - Stevo Vasiljevic)

La police du Monténégro a arrêté un groupe de Serbes qui avait projeté, selon le parquet, de «prendre le contrôle du Parlement en faisant couler le sang de citoyens innocents». Mais aussi de «s'emparer» de celui qui était alors Premier ministre, le pro-occidental Milo Djukanovic, et de proclamer la victoire de l'opposition.

Selon le procureur spécial pour les affaires de crime organisé et la corruption, Milivoje Katnic, «les organisateurs (du complot) sont des nationalistes russes. Le but était d'arrêter le Monténégro sur son chemin euro-Atlantique, et en particulier l'adhésion à l'Otan», a-t-il dit. Mais, a-t-il ajouté, «nous n'avons aucune preuve que l'Etat russe était impliqué de quelque manière». De son côté, Moscou a fermement nié toute implication.

Pour autant, les autorités du petit pays des Balkans (620.000 habitants) n’ont apporté aucune preuve de ces affirmations. Parmi la vingtaine de citoyens serbes arrêtés, «plusieurs étaient en fait âgés et en mauvaise santé», observe un long article du New York Times.

Alors info ? Ou intox ?

Le président serbe, Tomislav Nikolic, aide son homologue russe, Vladimir Poutine, à mettre son manteau le 16 octobre 2014 lors d'un défilé militaire à Belgrade marquant le 70e anniversaire de la libération de la ville par l'armée soviétique à la fin de la Seconde guerre mondiale. (REUTERS - Marko Djurica)

Côté info…
Le prestigieux quotidien américain rapporte qu’un mercenaire serbe pro-russe, un certain Alexandre Sindjelic détenu au Monténégro qui se serait un temps battu dans l’est de l’Ukraine avec des rebelles pro-russes, se serait mis à table. Il aurait ainsi commencé à fournir certains éléments accréditant la thèse de Podgorica. Il aurait ainsi évoqué «une visite à Moscou en septembre et des détails sur les téléphones cryptés qu’on lui avait demandé d’utiliser pour éviter d’être écouté». Il aurait touché «un acompte de plus de 200.000 dollars pour son rôle de recruteur».

Un ancien gendarme serbe, Bratislav Dikic, aurait lui aussi commencé à parler. Les deux hommes entretiendraient «depuis longtemps des liens avec des groupes nationalistes serbes et des militants de la solidarité entre Slaves, une cause que de nombreux nationalistes russes soutiennent et qui a des liens obscurs avec les services secrets serbes et russes», selon le journal américain.

Pour l’instant, précise le quotidien, Alexandre Sindjelic n’aurait «pas directement mis en cause des officiels russes». Mais ses révélations auraient «posé des questions sur un réseau obscur de nationalistes russes actif dans les Balkans et dans l’est de l’Ukraine».

De telles informations pourraient constituer la trame d’un roman de John Le Carré. Mais quelle crédibilité leur accorder? Une chose est sûre, comme le rappelle le New York Times, les Balkans, dont fait partie le Monténégro, sont la zone de toutes les intrigues depuis la disparition de la Yougoslavie dans les années 90.

Entre Est et Ouest…
Au-delà, le Monténégro, slave et majoritairement orthodoxe, est traditionnellement proche de la Russie. Mais depuis son indépendance en 2006, le pays s’est rapproché de l’Occident sous la conduite de Milo Djunakovic, son homme fort depuis 25 ans. Il négocie ainsi son adhésion à l’UE et a été invité à rejoindre l’Otan en décembre 2015.

Ces éléments interviennent après d'autres décisions qui ont déplu à Moscou. Entre autres, celle de s'associer en 2014 à la politique de sanctions économiques contre la Russie lors de la crise ukrainienne.

Manifestation à Podgorica, capitale du Monténégro, le 24 octobre 2015 ( REUTERS - Stevo Vasiljevic)

Dénués d'ambiguïté, les choix atlantistes de Milo Djukanovic lui valent d'être considéré comme le bon élève de l'Occident dans les Balkans. Mais cette politique ne plaît pas forcément à tous ses concitoyens. Des manifestations violentes ont eu lieu en 2015 à Pogdorica. Sans toutefois ébranler le chef du gouvernement d’alors (Djukanovic a quitté le pouvoir après les élections d’octobre 2016) qui a refusé un référendum sur la question. Aux dires des sondages, si l'UE bénéficie du soutien de la majorité des Monténégrins, seul un peu plus d'un tiers de la population accepte l'adhésion à l'Otan.

De son côté, Moscou a d'emblée mis en garde contre «les possibles conséquences qu'impliquerait une entrée de Podgorica dans l'Alliance». De fait, pour les Occidentaux, le Monténégro a un intérêt stratégique: «Il contrôle le seul tronçon de littoral entre Gibraltar et l’est de la Turquie (…) qui ne soit pas entre les mains» de l’Otan, souligne le New York Times.

Très présents depuis 2006, notamment dans l’immobilier et le secteur crucial du tourisme, les Russes se sont désengagés du pays ces dernières années: leurs investissements sont passés de 122,6 millions d’euros en 2014 à 69,8 millions en 2015.

Côté intox…
Dans ce contexte, Moscou a-t-il voulu déstabiliser le Monténégro? Difficile pour l’instant de répondre à la question. Une chose est sûre: l’affaire du ténébreux complot est, fort opportunément pour le pouvoir de Milo Djukanovic, intervenue juste au moment des élections, dont la campagne a tourné autour de l’adhésion à l’Otan. Le Front démocratique, composante pro-russe de l’opposition, implicitement accusé par les autorités d’être impliqué dans l’affaire, a dénoncé une opération de «propagande grossière».

L'ex-Premier ministre du Monténégro, Milo Djukanovic, et le Secrétaire général de l'Otan, Jens Stollenberg, à Bruxelles le 19 mai 2016. (REUTERS - Francois Lenoir)

Ses détracteurs reprochent à Milo Djukanovic, arrivé au pouvoir en 1991 à l’âge de 29 ans, de se servir de ces enjeux diplomatiques pour détourner l'attention des problèmes intérieurs, notamment les difficultés économiques. L’homme est un vieux renard. De tous les dirigeants en fonction sous l'ère yougoslave, il est le seul à être encore en selle jusqu'à aujourd'hui. Malgré les procès en autoritarisme. Malgré aussi son soutien initial au Serbe Slobodan Milosevic, inculpé en 1999 de crimes contre l’humanité dans l’ex-Yougoslavie. Malgré les accusations, qu'il réfute, d'avoir laissé la corruption s'installer dans son pays. Des accusations qui valent parfois au Monténégro d’être qualifié d’«Etat mafieux»…  

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