Le débat sur l'immigration a rebondi ces dernières semaines Outre-Rhin, notamment avec une déclaration d'Angela Merkel
La chancelière, en baisse dans les sondages, a estimé le 17 octobre que le modèle d'une Allemagne multiculturelle avait "échoué, totalement échoué".
Le débat sur l'immigration a été relancé cet été avec la publication d'un pamphlet au vitriol, intitulé "L'Allemagne court à sa perte" et signé par un ex-fonctionnaire de la Bundesbank, Thilo Sarrazin.
Son livre est devenu un best seller. Devant le scandale provoqué par ses déclarations, Thilo Sarrazin, ex-responsable des finances au Sénat de Berlin et ténor du Parti social-democrate (SPD, aujourd'hui dans l'opposition), a dû démissionner. Pour autant, ses thèses ont ouvert un débat qui a pris une grande ampleur.
Les déclarations d'Angela Merkel
"L'approche Multikulti", c'est à dire celle d'un pays multiculturel, multireligieux et tolérant, "a échoué, totalement échoué", a dit la chancelière chrétienne-démocrate, même si "nous vivons côte à côte et nous nous en réjouissons". A ses yeux, les immigrants doivent s'intégrer en adoptant la culture et les valeurs allemandes. "Nous nous sentons liés aux valeurs chrétiennes. Ceux qui ne l'acceptent pas n'ont pas leur place ici", a estimé Angela Merkel devant l'organisation de jeunesse de son parti, la CDU.
"Subventionner les immigrants ne suffit pas", a-t-elle poursuivi avant de conclure que l'Allemagne est en "droit d'avoir des exigences envers eux". Par exemple qu'ils maîtrisent l'allemand et qu'il n'y ait plus de mariages forcés. "Ce qui s'applique ici, c'est la Loi fondamentale [Constitution allemande], pas la charia", a-t-elle déclaré.
Elle n'en a pas moins ajouté que "l'islam fait partie de l'Allemagne".
En raison des problèmes démographiques de son pays, et plus spécifiquement de la pénurie de main d'oeuvre qualifiée (400.000 personnes, selon la chambre de commerce et d'industrie), Angela Merkel affirme par ailleurs que l'immigration est une nécessité.
Fragilité politique
La coalition entre la CDU et les libéraux du FDP, menée par Angela Merkel, est en chute libre dans les sondages à l'approche de six scrutins régionaux. Elle ne recueille plus que 33 % des intentions de vote dans une enquête de l'institut Forsa. A tel point que si son parti est battu dans le Land de Bade-Wurtemberg (les verts pourraient y réaliser un score, pour eux, historique ), elle pourrait perdre la présidence de la CDU. Et donc la chancellerie... Des noms sont déjà avancés pour la remplacer, notamment celui de l'actuel ministre de la Défense, Karl-Theodor zu Gutenberg.
Pour remonter la pente, estiment les observateurs, elle est donc contrainte de se livrer à un "grand écart" pour tenter de réunir les forces centrifuges de son parti.
Célébrant le 20e anniversaire de la réunification allemande début octobre, le président de la République fédérale (rôle surtout honorifique), Christian Wulff, lui-même issue des rangs de la CDU, avait déclaré: "Bien sûr, la chrétienté fait partie de l'Allemagne. Bien sûr, le judaïsme fait partie de l'Allemagne. (...) Mais à présent l'Islam fait également partie de l'Allemagne", a-t-il dit. Cette déclaration avait indigné ses amis politiques.
L'Allemagne n'a "plus besoin d'immigrants de pays aux cultures différentes comme les Turcs et les Arabes" pour qui il est "plus difficile" de s'intégrer, a estimé de son côté le chef de la CSU (branche bavaroise de la CDU), Horst Seehofer, qui ratisse très à droite.
La chancelière "intègre Seehofer et Wulff", analyse le magazine Focus. "Angela Merkel, toujours attentive à plaire à tout le monde (...) a donné raison" au premier "tout en se disant 'compréhensive' à l'égard des propos, à l'extrême opposé", du second, estime de son côté Le Monde. Le "grand écart", décidément...
Le livre de Thilo Sarrazin
Thilo Sarrazin en train de présenter son livre, "L'Allemagne court à sa perte", à la Foire de Francfort le 8-10-2010 (AFP - DANIEL ROLAND)
Dans son ouvrage "L'Allemagne court à sa perte", Thilo Sarrazin, ancien membre du directoire de la Banque centrale allemande,
estime que la République fédérale "s'abrutit" en raison du faible niveau d'éducation des immigrés musulmans et de leur manque d'intégration. A ses yeux, ceux-ci refusent de s'intégrer, vivent aux crochets de l'Etat et minent la société allemande
Le livre dénonce un "déclin de l'identité culturelle allemande". Lequel s'acccompagnerait, selon lui, d'une "inquiétante" montée de l'islam, dont les représentants vivraient repliés sur leur communauté. A en croire l'auteur, la situation serait d'autant plus grave que la population allemande vieillit, contrairement à celle d'origine immigrée. Il dénonce par ailleurs les "tares génétiques" des immigrés venus du Proche-Orient.
L'attitude de l'opinion
Si l'on en croit les sondages, les thèses du livre sont approuvées par une majorité de l'opinion. 50 % des Allemands interrogés disent ainsi mal tolérer les musulmans et 35 % se sentiraient "submergés" par les étrangers dont ils souhaitent le départ.
"Le pamphlet de Thilo Sarrazin a su toucher au coeur de la peur allemande. Il ne s'est pas contenté de pointer l'immigration musulmane, il a combiné l'embarras qu'elle suscite à une angoisse plus profonde: le déclin démographique de l'Allemagne", explique Le Monde.
Le climat ambiant suscite de vives réactions. Le secrétaire général du Conseil central des juifs d'Allemagne, Stephan Kramer, s'est ainsi inquiété d'un débat "démesuré, hypocrite et hystérique" dans une société allemande qui, selon lui, se radicalise. "Plus le débat se poursuit, plus le niveau baisse", commente de son côté l'hebdomadaire "Der Spiegel".
Les relations avec la Turquie
Actuellement, l'Allemagne compte quelque 7,2 millions d'immigrés (source Wikipédia), dont 4 millions de musulmans, pour une population de 80 millions. Les Turcs constituent la plus forte communauté d'origine étrangère, avec 2,5 millions de personnes.
Selon l'AFP, "si les plus jeunes sont intégrés, nombre d'immigrés turcs n'ont jamais appris l'allemand, et vivent repliés sur leur communauté". Le président turc a lui-même exhorté ses compatriotes à "parler couramment et sans accent" la langue de Goethe.
Pour des raisons historiques, les relations entre l'Allemagne et la Turquie sont très développées. Puissance "émergente" avec un taux de croissance de plus de 10 %, la Turquie accueille plus de 4000 entreprises allemandes. Berlin est son premier partenaire économique et les échanges bilatéraux ont représenté 17 milliards d'euros en 2009.
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