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Anniversaire de la bataille de Stalingrad : le pouvoir russe instrumentalise la mémoire de Charles de Gaulle au travers de son petit-fils

Connu pour ses positions pro-russes, Pierre de Gaulle, petit-fils de Charles, assiste ce jeudi à Volgograd aux cérémonies du 80e anniversaire de la bataille de Stalingrad. Une ville avec laquelle son grand-père cultive une histoire particulière.
Article rédigé par Sylvain Tronchet
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Pierre De Gaulle (à gauche) participant à un débat à la télévision russe le 31 janvier. (CAPTURE D'ÉCRAN ZVEZDA TV)

Une nouvelle fois, le pouvoir russe célèbre en grande pompe les exploits de l’armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale. Jeudi 2 février Vladimir Poutine se rend à Volgograd, l'ancienne Stalingrad, pour les cérémonies du 80e anniversaire de la bataille la plus sanglante de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Le voyage du Président russe a été accompagné du traditionnel cortège de préparatifs : chiens errants envoyés au chenil en toute hâte, travaux routiers de dernière minute et gouverneur régional invisible depuis plusieurs jours, probablement en raison de la quarantaine imposée pour approcher le chef du Kremlin, rapportent les médias locaux.

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En marge du défilé militaire, un Français participe à ces cérémonies et a déposé, jeudi matin, une gerbe de fleurs au sommet du Mamaev Kourgan, la colline où a été construit l’immense mémorial qui domine la ville. Pierre de Gaulle, petit-fils de Charles, est venu se recueillir à l’endroit même où son grand-père était venu en visite d’État 57 ans plus tôt. Les positions pro-russes bien connues du quatrième fils de l’Amiral Philippe de Gaulle font le bonheur des propagandistes du Kremlin à la télévision depuis son arrivée en Russie. Mardi, lors d’un débat organisé sur la chaîne de télévision du ministère de la Défense il avait notamment déclaré que "les Européens sont enfermés dans leurs illusions sur l'Ukraine", et qu'il "est temps de raisonner les Américains", sous l’œil apparemment ravi du chef des renseignements extérieurs russes, Sergueï Narychkine qui participait lui aussi à l’émission.

Ce jeudi, à Volgograd, répondant à l’agence officielle TASS, l’homme s’est contenté d’un hommage aux "combattants, civils, [et] tous ceux qui ont fait le sacrifice pour vaincre le nazisme". Mais sa simple présence sur le sol russe en cette période a suffi à provoquer un malaise du côté des autorités françaises et de sa famille. Interrogé par Le Parisien, son frère, Yves, affirmait : "L’analyse de mon frère Pierre n’engage personne d’autre que lui-même, c’est-à-dire ni moi, ni notre famille et encore moins le général de Gaulle". Un pas qu’ont franchi allègrement en revanche de nombreux médias russes en liant les déclarations du petit-fils à l’image du grand-père.

Charles de Gaulle "aimait la Russie"

Car la popularité de Charles de Gaulle est bien ancrée dans la société russe, et encore plus à Volgograd, une ville avec laquelle le chef de la France libre a une histoire particulière. "Charles de Gaulle a visité notre ville en novembre 1944", rappelle Irina Skrotchenko, directrice scientifique du musée de la bataille de Stalingrad, "la guerre n'était même pas terminée."

"Les combats continuaient, il a vu la ville en ruines. Évidemment, cela a laissé une forte impression."

Irina Skrotchenko

à franceinfo

Charles De Gaulle est ensuite revenu sur place en 1966, lors d’un voyage d’État de quinze jours (!) en URSS. Stalingrad avait changé de nom cinq ans plus tôt et s'appelait désormais Volgograd .La France était en train de sortir de l'OTAN, dessinant sa relation particulière avec l'Union soviétique au sein des pays du bloc de l’Ouest.

Visite de Charles de Gaulle à Volgograd en 1966. (V. SOBOLOV / TASS)

"J'étais enfant à l'époque", se souvient Alexandre Stroukov, le président de l'Union des vétérans de Volgograd, "nous étions en visite sur le Mamaev Kourgan, et soudain, nous avons vu un homme arriver en uniforme militaire. Dans la foule le bruit montait : 'Charles De Gaulle, Charles De Gaulle !!!'", se souvient avec une émotion non feinte cet ancien colonel. "J'étais enthousiasmé et admiratif… À mon avis, c'était le vrai leader de la France. C'était un homme profondément respecté, aimé par la Russie. Et il aimait la Russie. Il me semble qu’après De Gaulle il n’y a plus jamais eu en France de dirigeant faisant autorité…" lâche-t-il, un rien vachard pour ses successeurs, désormais ressortissants d’un "État inamical".

Qu'elle soit fantasmée ou non, la figure de Charles de Gaulle trace les contours d’une France qui s’est aujourd’hui éloignée de son amie russe chez de nombreux proches du pouvoir. Au musée de la bataille de Stalingrad, au-dessus d’une photo de Charles de Gaulle en visite au milieu des ruines, on peut apercevoir un drapeau français, offert par une délégation de passage, sur lequel on peut lire : "Jamais les jeunes du pays de Fabien et de Guy Môquet ne feront la guerre au pays des héros de Stalingrad."

Au musée de la bataille de Stalingrad, des cadeaux offerts par des délégations étrangères. (SYLVAIN TRONCHET / RADIO FRANCE)

À Volgograd il subsiste une autre trace du premier passage du chef de la France libre dans la ville. Dans un jardin défraichi, aux abords du centre-ville, Alexandre Sivolobov, couve du regard quelques peupliers. Son oncle, qui habitait la maison voisine avait servi de chauffeur à Charles de Gaulle en 1944 parce qu’il avait récupéré la voiture de l’adjoint du général Friedrich Paulus, le chef des forces allemandes lors de la bataille.

"Ils sont allés à l'usine de tracteurs qui fabriquaient nos tanks T-34 et sur le chemin du retour, oncle Pétia a le culot de demander à Charles de Gaulle de planter des peupliers dans son jardin", raconte en riant cet ancien policier. "Et voilà donc Charles de Gaulle qui descend de voiture et qui plante quelques jeunes arbres, symbolisant le retour à la vie", poursuit-il en nous montrant l’un d’eux. De la vingtaine de peupliers plantés ce jour-là il n'en reste plus que six aujourd'hui. Et la plupart d'entre eux sont malades.

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