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Crise entre l'Ukraine et la Russie : pourquoi les Etats-Unis se montrent-ils si inquiets ?

Article rédigé par Luc Chagnon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
A gauche, Joe Biden lors d'un discours en Pennsylvanie, le 17 juin 2020 ; à droite, Vladimir Poutine lors d'une rencontre à Moscou, le 31 janvier 2018 (JIM WATSON / AFP)

Joe Biden et la diplomatie américaine sont omniprésents dans l'escalade des tensions entre la Russie et l'Ukraine. Une politique pensée pour contenter l'opinion américaine comme les alliés européens.

Conseiller au personnel américain en Ukraine de partir ? Une "surréaction", selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Affirmer qu'une invasion russe est possible dès la mi-février ? "Ne faites pas confiance à des prévisions apocalyptiques", a estimé le ministre des Affaires étrangères ukrainien Dmytro Kouleba le 6 février.

Depuis plusieurs mois, les Etats-Unis n'ont de cesse de pointer du doigt les mouvements militaires de la Russie près de la frontière ukrainienne et de mettre en garde contre le risque d'une invasion "à tout moment". Au risque d'être accusés de jeter de l'huile sur le feu, alors que l'Union européenne a plusieurs fois insisté sur la nécessité d'un dialogue avec le Kremlin.

Pourquoi les Etats-Unis sont-ils si investis dans une crise qui se déroule à des milliers de kilomètres de leur territoire ? Et pourquoi maintiennent-ils une position encore plus offensive que l'Ukraine ou les pays européens ? On vous explique.

Pour ne pas revivre l'annexion de la Crimée

Si les Etats-Unis adoptent une stratégie de communication si offensive, c'est en partie car l'annexion de la Crimée par Moscou en 2014 a servi de prise de conscience. D'après Nicole Bacharan, historienne et essayiste spécialiste des Etats-Unis, "il y a eu une réaction, particulièrement chez Joe Biden et Anthony Blinken [le secrétaire d'Etat américain] qui étaient dans l'administration de Barack Obama au moment de l'annexion de la Crimée, qui ont considéré qu'ils avaient fait trop peu et trop tard pour l'empêcher". 

D'où la décision de passer au niveau supérieur, notamment à travers des dénonciations préventives. Les Etats-Unis ont par exemple accusé le Kremlin de préparer une fausse attaque ukrainienne sur le territoire russe, qui pourrait être utilisée par le Kremlin pour justifier une attaque en représailles"C'est le seul élément relativement nouveau de la stratégie américaine en Ukraine", explique Maud Quessard, maître de conférences spécialiste de la politique étrangère américaine.

Une "tactique intelligente", selon Richard Gowan, un analyste cité par El País. En affirmant être transparents sur les plans de Moscou, "les Etats-Unis compliquent la tâche de la Russie pour disséminer des fausses informations sur ses actions". Mais "à force de crier au loup trop souvent, (...) il faut faire attention" à ne pas rendre le plaidoyer américain "moins crédible", estime Nina Khrushcheva, professeure de relations internationales à la New School de New York, citée par l'AFP 

Pour que Joe Biden paraisse plus fort

Cette communication est aussi motivée par des considérations de politique intérieure. "Chaque action de l'administration Biden doit aussi être vue par ses effets sur les électeurs américains, rappelle Maud Quessard. On est dans une année électorale." Taper du poing sur la table pour dissuader une attaque russe, c'est aussi limiter le risque que les Etats-Unis soient impliqués.

"Le public américain est lassé des guerres lointaines, et ni l'administration Biden ni les démocrates au Congrès ne sont sur une ligne interventionniste."

Maud Quessard, spécialiste de la politique étrangère américaine

à franceinfo

D'où l'intérêt de tout faire pour dissuader l'invasion avant même qu'elle ait lieu. D'après Florent Parmentier, secrétaire général du Cevipof-Sciences Po interrogé sur franceinfo, "Joe Biden doit vendre à son opinion publique et à ses alliés une victoire qui passerait par le fait de ne pas avoir d'invasion russe en Ukraine. Pour cela, il doit accentuer la pression, la tension. Plus elle est élevée, plus le fait de ne pas avoir de conflit sera vécu comme une victoire : Joe Biden en faiseur de paix face à une Russie qui avait foncièrement envie d'en découdre avec l'Ukraine."

Pour faire oublier le retrait d'Afghanistan

D'après Nicole Bacharan, l'implication des Etats-Unis dans cette crise pourrait viser à rassurer leurs alliés européens, inquiets après le désastre du retrait américain de l'Afghanistan"Je n'imagine pas que Poutine aurait avancé ses pions de cette façon s'il n'y avait pas eu l'Afghanistan, parce qu'il ne s'est rien passé récemment qui pourrait lui faire penser qu'il était menacé par l'Otan. Et du côté américain, la réaction est forcément influencée par leur retrait d'Afghanistan et ses conséquences."

"Joe Biden doit rassurer les Européens les plus inquiets. Les Polonais, les Etats baltes. Rien ne serait pire, pour ces pays, que de voir que les Américains sont indifférents au sort de ce qu'il se passe à leurs frontières."

Florent Parmentier, secrétaire général du Cevipof-Sciences Po

à franceinfo

Dans le même temps, adopter une position intransigeante permet de donner à Joe Biden une image d'autorité, d'après Maud Quessard. "On se souvient des républicains qui accusaient Barack Obama de faiblesse. Joe Biden a aussi promis de lutter contre le sentiment de déclin des Etats-Unis, alors il ne peut pas donner l'impression de céder à la Chine ou à la Russie."

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