Football : Yaroslav Rakitskiy, le défenseur ukrainien lâché par la sélection nationale pour avoir rejoint un club russe
Mis au ban de la sélection ukrainienne après avoir rejoint le Zénith Saint-Pétersbourg, le défenseur de 32 ans doit affronter le Betis Séville jeudi en Ligue Europa avec le club russe.
Alors que la crise géopolitique en Europe de l’Est prend chaque jour de l’ampleur, l’Ukraine a décidé de réagir, mercredi 23 février. Sous la menace d’une invasion russe, finalement effective ce jeudi, le pays a annoncé la mobilisation de ses réservistes et appelé ses trois millions de ressortissants qui vivent et travaillent en Russie à quitter le pays. Jeudi 24 février, l’un d’entre eux se trouvera dans le sud de l’Espagne, pour y disputer un match retour des barrages de la Ligue Europa.
Yaroslav Rakitskiy, défenseur ukrainien de 32 ans, doit affronter le Betis Séville jeudi soir avec son équipe du Zénith Saint-Pétersbourg, une semaine après s’être incliné lors du match aller contre les Andalous (2-3). Lors de cette rencontre, Rakitskiy n’a pas semblé dans son assiette : coupable sur le premier but du Betis, il n’est pas non plus irréprochable sur le dernier but inscrit par les Espagnols.
Était-ce à cause du manque de rythme - le Zénith reprenait la compétition après une trêve de deux mois -, ou en raison de la situation géopolitique de plus en plus tendue entre son pays natal, l’Ukraine, et son pays d’adoption, la Russie ? S’il est un joueur de football plus concerné que les autres par les tensions actuelles, il s’agit bien de Yaroslav Rakitskiy. En 2019, après avoir quitté l’Ukraine pour rejoindre le club russe du Zénith, il se voit écarté de la sélection ukrainienne. Un symbole.
Un début de carrière prometteur
Parce qu’il a vécu au plus près le début du conflit avec son club ukrainien du Shakhtar Donetsk, parce qu’il fut soupçonné d’être le soutien des séparatistes pro-russes dans la région du Donbass, parce qu’il fut qualifié de traître au moment de signer dans un club russe, Rakitskiy a provoqué de vives réactions et créé une jurisprudence pour tout joueur de football ukrainien souhaitant poursuivre sa carrière chez l’encombrant voisin.
Avant le début du conflit, Rakitskiy se révèle très jeune être un défenseur central très talentueux. Rude sur l’homme, mais habile balle au pied. Un profil précieux dans le football moderne qui lui ouvre les portes de la sélection ukrainienne en octobre 2009, à 20 ans. Avec la Zbirna - le surnom de la sélection ukrainienne -, Rakitskiy vit la désillusion au stade de France en 2013 avec le doublé de Mamadou Sakho qui qualifie les Bleus pour la Coupe du monde au Brésil, mais également l’Euro 2016.
Dans le même temps, le défenseur s’impose comme un élément essentiel du Shakhtar Donetsk, club avec lequel il remporte huit fois le titre de champion d’Ukraine. Mais lorsque la guerre éclate en 2015 et que des séparatistes pro-russes s’attaquent au Donbass, le Shakhtar est obligé de délaisser Donetsk pour survivre entre Kiev et Lviv. C’est à ce moment-là que la relation ambigüe entre Rakitskiy et les séparatistes démarre.
Les supporters ukrainiens déçus
"Il n’y a pas un jour où je ne pense pas aux habitants de Donetsk", affirme celui qui est devenu très attaché à la ville. En 2016, Rakitskiy entretient le doute en "likant" une vidéo de l’armée séparatiste qui parade dans Donetsk. Le fait qu’il ne chante pas l’hymne ukrainien avant les matchs de la Zbirna n’aide pas. Le camp nationaliste s’en prend à lui, encore plus lorsqu’une fausse interview partagée par Russia Today en 2014 lui prête des propos pro-russes : "Le Donbass a été, est et restera une région liée à la Russie."
Quand Rakitskiy signe pour le Zénith en janvier 2019, la ligne rouge est dépassée pour un grand nombre de passionnés de football ukrainien. Dans la foulée de son départ en Russie, un sondage publié par le site Tribuna révèle que 57% des personnes ayant participé à la consultation refusent de voir le défenseur porter à nouveau les couleurs de la sélection ukrainienne.
D'autres footballeurs le prennent pour cible. "Maintenant, il sera difficile pour Yaroslav d’être à nouveau appelé en équipe nationale, mais je pense qu’il sait pourquoi", affirme Ruslan Rotan, l’entraîneur de la sélection Espoirs. "Quoi qu’il arrive, il faut respecter le peuple et son pays. Je n’ai pas les mots, regrette de son côté Artem Fedetskyi, ex-coéquipier de Rakitskiy au Shakhtar et en sélection. Je pense que ça va être très difficile pour Shevchenko de le sélectionner à nouveau."
Le Zénith, un club à la portée symbolique forte
Andriy Shevchenko, resté en poste jusqu’en 2021, décide en effet de se passer de Rakitskiy. Le défenseur connaît sa dernière sélection avec l’Ukraine en octobre 2018. Après sa signature en janvier 2019 au Zénith, il est ignoré par son sélectionneur lors des rassemblements de mars, de septembre et d’octobre. En novembre, Rakitskiy arrête les frais et annonce sa retraite internationale dans un message publié sur Instagram : "J’aimerais être appelé mais le foot est devenu trop politique. Les joueurs sont désormais sélectionnés avec la peur de mal faire."
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Il faut dire que Rakitskiy a choisi de poursuivre sa carrière dans le club le plus symbolique de Russie : le Zénith, proche de Vladimir Poutine, qui a fait ses armes en politique du côté de Saint-Pétersbourg, et un club sponsorisé par Gazprom, le géant gazier contrôlé par le pouvoir. Depuis, le défenseur central poursuit sa carrière en Russie, sans prendre officiellement position alors que la situation dégénère progressivement.
Tout comme les quatre autres joueurs ukrainiens (Ivan Ordets, Dmytro Ivanisenya, Artem Polyarus, Denys Kulakov) qui évoluent dans le championnat russe, Rakitskiy se contente de poursuivre son activité de footballeur dans un contexte très particulier. Sur la pelouse du Betis Séville jeudi soir, c’est à renverser le club andalou que devra s’affairer l’Ukrainien de 32 ans, après un match aller bien mal négocié par le Zénith.
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