Guerre en Ukraine : comment des combattants étrangers viennent gonfler les rangs de l'armée russe, parfois malgré eux

Article rédigé par Zoé Aucaigne
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Des soldats russes en train de s'entraîner en Ukraine, d'après cette image diffusée par le ministère de la Défense russe, le 31 octobre 2024. (MINISTERE DE LA DEFENSE RUSSE  / AP / SIPA)
Ils viennent de Corée du Nord, du Sri Lanka, du Yémen... De nombreux combattants étrangers épaulent les militaires russes sur le front ukrainien. Certains disent avoir été enrôlés de force.

L'uniforme est russe mais les hommes qui le portent ne le sont pas tous. Alors que la guerre en Ukraine sévit depuis bientôt trois ans, "les autorités russes sont confrontées au problème croissant de la reconstitution des pertes humaines subies sur le front", pointe le Center for Eastern Studies (OSW), un centre de recherche polonais. Le recrutement de combattants étrangers est l'une des solutions retenues par la Russie. Mercenaires attirés par des salaires élevés, migrants enrôlés de force, hommes répondant à une offre d'emploi trompeuse, mais aussi soldats envoyés par des alliés, comme la Corée du Nord... Moscou use de diverses stratégies pour gonfler ses effectifs sur le front.

Résultat : des milliers d'étrangers ont déjà grossi les rangs de l'armée russe depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, le 24 février 2022. On retrouve "des citoyens de Cuba, du Népal, de Syrie, de Serbie, d'Afghanistan, de Somalie et de Malaisie", énumérait en février l'OSW. Mais aussi des hommes originaires d'Inde, du Yémen ou d'Afrique centrale, d'après des enquêtes de médias internationaux. 

Pour les migrants, le front ou l'expulsion

Pour Moscou, le renouvellement des troupes est "si urgent qu'une série de lois visant à réglementer l'enrôlement [des étrangers] ont été promulguées au cours des deux dernières années", rappelle le centre de recherche polonais. Dès septembre 2022, Vladimir Poutine a signé une loi permettant aux étrangers de demander la nationalité russe après un engagement d'un an dans l'armée, dont six mois sur le front, contre cinq années de résidence sur le territoire russe précédemment requises. Le président russe a ensuite allégé les conditions du contrat, supprimant l'obligation de servir sur le champ de bataille.

Si certains étrangers en situation irrégulière ont été attirés par la promesse de l'obtention d'un passeport russe, d'autres ont été enrôlés de force. Les autorités "leur ont suggéré que le service militaire pourrait les sauver de l'emprisonnement ou de l'expulsion", expose le OSW. Les étrangers en situation régulière ne sont pas à l'abri d'une telle manœuvre, analyse Yana Gelmel, juriste et défenseure des droits des prisonniers. "Des accusations fictives privent les migrants de leur titre de séjour. Leur seule chance de rester dans le pays, c'est d'être naturalisé, ce qui les contraint à rejoindre l'armée", explique-t-elle à Slate.

Des travailleurs étrangers dupés par Moscou

Des hommes ont aussi été recrutés hors du territoire russe, certains expliquant avoir été piégés. Anil Madushanka, Sri Lankais de 37 ans, a quitté la banlieue de Colombo, capitale de son pays, pour la Russie après avoir reçu une proposition d'emploi, celle de "simple chauffeur". "C'est pour ça que j'y allais", raconte-t-il à France 2. L'homme qui le contacte, un ami d'ami selon ses mots, lui assure : "Vous voulez un visa comme chauffeur, je vous le donnerai. Je sais très bien que vous ne savez pas faire la guerre, vous serez juste chauffeur", raconte le Sri Lankais. Il a finalement été envoyé 50 jours sur le front ukrainien, avant de déserter.

Une mécanique bien huilée, selon Petro Yatsenko, un porte-parole du renseignement militaire ukrainien. "Les Russes leur promettent souvent des emplois dans des entreprises, et quand il s'agit de servir dans l'armée, ils disent qu'ils ne seront déployés que dans l'arrière-pays", a-t-il expliqué à Deutsche Welle en février. En Inde, près d'une vingtaine de jeunes hommes ont été appâtés par des emplois bien payés, notamment via la chaîne YouTube "Baba VLogs", rapporte la BBC. "On nous a promis un salaire de 150 000 roupies par mois [environ 1 700 euros]. On ne nous a pas dit que nous étions enrôlés dans une armée", raconte l'un d'entre eux.

De la "chair à canon" étrangère

"Bien que le nombre de soldats recrutés de cette manière soit difficile à estimer, le lancement de ce processus indique que l'armée continuera à recruter de la 'chair à canon'", écrit le OSW. Le terme est adéquat, selon les témoignages d'enrôlés qui ont depuis quitté le front. Sur le champ de bataille, les Russes "ont envoyé les Sri Lankais en premier. (...) Derrière nous, il n'y avait personne d'autre", assure Anil Madushanka. "Ils nous mettaient tous devant. Nous étions les boucliers des soldats russes qui restaient derrière nous", se souvient, interviewé par France 24, Suman Rai, un Népalais qui a servi moins d'un mois dans l'armée russe. D'après un décompte de la BBC, 254 ressortissants étrangers sont morts au combat entre février 2022 et décembre 2023.

"Les bombes, les explosions sont venues. Il y en avait partout. Donc des soldats srilankais sont morts, ils sont morts tout de suite."

Anil Madushanka, Sri Lankais enrôlé dans l'armée russe

à France 2

De quoi provoquer l'ire des pays d'origine. Colombo a demandé à Moscou le rapatriement de 455 Sri Lankais partis combattre aux côtés de l'armée russe et d'une dizaine de prisonniers de guerre côté ukrainien. Le Népal a pour sa part interdit à ses ressortissants de travailler en Russie et en Ukraine pour décourager les départs. Au moins 12 personnes ont été arrêtées pour avoir envoyé des hommes se battre. "Nous n'avons pas d'accord avec la Russie et avons réclamé le retour immédiat" des citoyens népalais, a déclaré à l'AFP le ministre des Affaires étrangères du pays. Quant aux autorités indiennes, elles ont déclaré : "Nous exhortons tous les ressortissants indiens à faire preuve de prudence et à se tenir à l'écart de ce conflit."

Des personnes manifestent près de l'ambassade russe à Colombo (Sri Lanka), le 4 juin 2024, pour obtenir le rapatriement des soldats srilankais enrôlés en Russie. (ISHARA S. KODIKARA / AFP)

Le recrutement se fait aussi parfois sous la houlette de forces étrangères alliées de Moscou. C'est le cas de Yéménites, floués par les rebelles houthis, proches du Kremlin, révèle le Financial Times. "La Russie a besoin de soldats, et il est clair que les Houthis recrutent" pour eux, estime Farea Al-Muslimi, spécialiste de la région du Golfe, auprès du quotidien britannique. "Le Yémen est un endroit où il est assez facile de recruter. C'est un pays très pauvre", ajoute-t-il. Des Yéménites partis en Russie affirment au Financial Times qu'un emploi bien rémunéré leur avait été promis. Une fois arrivés sur place, grâce à une entreprise liée aux houthis, ils ont finalement été contraints de rejoindre les troupes russes.

L'armée nord-coréenne, un vivier pour Moscou

Dès le début de la guerre, la Russie a tenté "de redéployer en Ukraine des unités syriennes ayant l'expérience de travailler sous des commandants russes afin de limiter les pertes russes", a rapporté à l'époque l'Institute for the Study of War. Il s'agissait de mercenaires déjà engagés "aux côtés de sociétés militaires privées russes comme le groupe Wagner, y compris à l'étranger, ou dans des milices syriennes soutenues par la Russie", précisait le groupe de réflexion américain.

Si cette stratégie de piocher dans le vivier de ses alliés n'est pas nouvelle, elle s'est accélérée ces dernières semaines avec l'arrivée d'environ 10 000 soldats nord-coréens sur le sol russe, d'après les Etats-Unis. Ces militaires sont envoyés directement par la Corée du Nord, alors que Kim Jong-un et Vladimir Poutine ont ratifié un traité de défense mutuelle qui comprend "une aide militaire immédiate". Selon le géopolitologue Ulrich Bounat, environ 1 500 de ces soldats nord-coréens feraient partie "d'unités mieux formées que la moyenne", a-t-il estimé auprès de franceinfo. Les autres, soit la grande majorité, seraient moins expérimentés et pourraient "se retrouver en première ligne". 

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