Guerre en Ukraine : former des pilotes de chasse sans livrer d'avions à Kiev, le positionnement délicat des pays occidentaux
Vers la fin du tabou aérien ? Alors que Kiev a besoin d'avions pour renforcer sa défense antiaérienne et soutenir les forces terrestres lors des offensives, Emmanuel Macron a déclaré avoir "ouvert la porte pour former des pilotes" de chasse ukrainiens, lundi 15 mai sur TF1. "On a besoin aujourd'hui de commencer à former, c'est l'accord qu'ont pris plusieurs pays européens", a-t-il ajouté, sans apporter davantage de précisions. "Je crois que des discussions sont en cours avec les Américains."
La veille, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, avait promis (communiqué en anglais) que son pays offrirait, dès cet été, un entraînement de base à des pilotes ukrainiens. Voilà pour les effets d'annonce. Car depuis ces prises de parole, à Londres comme à Paris, la discrétion reste de mise sur la nature exacte des formations.
Au moins trois mois de formation nécessaires
"Dans un premier temps, il s'agira d'une formation de base, au sol, mais qui pourrait évoluer par la suite", commente auprès de franceinfo une source proche du dossier. "Mais l'objectif, tout de même, est d'être opérationnel à la fin." Aucun détail n'a été communiqué sur les effectifs et les bases militaires concernés. Les candidats pilotes devront, en tout cas, avoir "une aptitude physique, un niveau d'ingénieur et parler un très bon anglais", estime Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense nationale, au micro de franceinfo.
Il faut un an et demi pour former des débutants, poursuit Xavier Tytelman, rédacteur en chef d'Air & Cosmos, mais trois mois peuvent suffire dans le cas de pilotes de chasse déjà aguerris sur des modèles soviétiques (MiG-29 ou Su-27). Le consultant en aéronautique et défense s'appuie sur le témoignage d'un ancien pilote français ayant participé à la formation de pilotes de l'ex-Allemagne de l'Est, à la fin des années 1990 et dans les années 2000, pour les faire passer du MiG-29 au Mirage 2000. Le stage débutait alors par un mois de théorie. Ainsi, "ce n'est pas parce que la formation débute au sol qu'elle est adressée à des débutants", résume Xavier Tytelman.
Fin mars, le ministère de la Défense avait annoncé que du personnel militaire aérien ukrainien était déjà en formation à Nancy (Meurthe-et-Moselle) et Mont-de-Marsan (Landes). L'objectif était de "former des équipages ukrainiens à la défense sol-air et à la survie, au cas où leur appareil serait abattu", précisait le général Yann Gravêthe lors d'un point presse. Le contenu de la formation de pilotes ukrainiens évoquée par Emmanuel Macron semble encore flou, mais celle-ci ouvre un nouveau chapitre de la coopération entre Paris et Kiev. "Beaucoup de pilotes sont disponibles en Ukraine", rappelle Xavier Tytelman. Une soixantaine d'appareils ukrainiens ont été détruits par des frappes, notamment au sol, lors des premiers jours de la guerre.
Kiev espère toujours une cinquantaine de F-16 américains
Paris avait jusqu'ici repoussé la question d'une future livraison d'avions de combat, en expliquant qu'il faudrait de longs mois pour former des pilotes. Le coup d'envoi de cette formation pourrait-il ouvrir aussi la voie à des livraisons ? Au total, 13 Mirage 2000-C français ont été récemment retirés du service, précisait en février l'entourage du chef d'état-major de l'armée de l'air à l'AFP. Toutefois, il faudrait du temps pour les remettre en service. Emmanuel Macron a d'ailleurs estimé qu'une éventuelle livraison "serait un débat théorique", suggérant que la question n'était pas encore à l'ordre du jour.
L'Ukraine, pour sa part, a jeté son dévolu sur le F-16 de confection américaine. Kiev souhaiterait en obtenir 40 à 50 unités pour constituer trois ou quatre escadrons, a déclaré Youri Sak, conseiller du ministre de la Défense ukrainien, cité par le site Politico (article en anglais). Principal avantage : il existe des milliers d'exemplaires de cet appareil dans 25 pays environ. Leur coût est modéré, d'autant que certaines unités, en fin de vie, sont progressivement remplacées par des F-35. Leur polyvalence joue également en leur faveur. "Il est possible de les mettre à niveau très rapidement", explique Xavier Tytelman, et de jouer sur tous les tableaux, selon la configuration adoptée : air-air, air-sol.
Une situation toujours figée chez les alliés
Or, malgré leurs annonces, Paris et Londres ne disposent pas de F-16. Il est donc probable, dans le cas où la livraison d'avions français Rafale serait bien exclue, que la formation évoquée par la France soit adaptée à d'autres équipements. Le Royaume-Uni a déjà fait savoir que son enseignement, "aux normes de l'Otan", serait "adapté", afin que les pilotes ukrainiens puissent utiliser leurs acquis "sur un autre type d'avion" que ceux de la Royal Air Force.
En parallèle, Londres assure multiplier les "efforts" avec d'autres pays pour que Kiev obtienne des F-16, "les avions choisis par l'Ukraine", précisent les services du Premier ministre britannique. En janvier, le fabricant Lockheed Martin avait annoncé dans le Financial Times (article en anglais) une augmentation de la production dans son usine de Caroline du Sud (Etats-Unis), afin de fournir les pays souhaitant opérer des transferts vers l'Ukraine. Ces derniers mois, plusieurs Etats européens, à l'image des Pays-Bas, se sont dits prêts à livrer des F-16. Mais aucun n'a pris seul la décision de transférer ces appareils.
La situation semble donc figée. Aux Etats-Unis, début mars, deux premiers pilotes ukrainiens ont suivi une évaluation sur la base militaire de Tucson, participant à des exercices sur simulateur. Kiev a salué ce début de collaboration. "Les résultats ont été très bons : les pilotes ukrainiens peuvent apprendre à piloter et à utiliser des systèmes d'armes sur le F-16 en moins de six mois", s'était félicité le général Serhiï Holubtsov, interrogé par le Times (article en anglais). Mais Washington exclut toujours de livrer des appareils, depuis le refus affiché en janvier par le président Joe Biden.
Cette année, la Pologne et la Slovaquie ont déjà transféré en Ukraine des MiG-29, et la Macédoine du Nord des Su-25. Faute de mieux, Kiev dispose d'un dernier levier pour tenter de contrôler le ciel : adapter et intégrer de nouvelles "briques technologiques" sur ses modèles soviétiques, explique Xavier Tytelman. L'été dernier, des MiG-29 et des Su-27 ont été adaptés pour tirer des missiles anti-radar. En mars, le chef de l'US Air Force en Europe, James Hecker, a confirmé à la presse (article en anglais) la livraison de systèmes JDAM, qui permettent de transformer des bombes classiques en bombes guidées et précises. Bien loin, malgré tout, des espoirs ukrainiens.
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