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Guerre en Ukraine : Gauguin, Picasso, Monet... Les œuvres de la collection Morozov peuvent-elles être saisies par la France ?

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la France est amenée à saisir les biens de certains oligarques russes visés par les sanctions économiques. Y a-t-il une possibilité de saisir, de la même façon, les oeuvres d'art de la collection Morozov, actuellement exposées à Paris ?

Article rédigé par franceinfo
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Des visiteurs sont à la fondation Louis-Vuitton à Paris pour admirer les oeuvres de la collection Morozov, le 15 septembre 2021. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

La France a commencé, jeudi 3 mars, la saisie en France de biens appartenant à des oligarques russes. Ainsi, cinq bateaux appartenant à des sociétés ou à des oligarques russes ont été immobilisés, dont un yacht saisi à La Ciotat (Bouches-du-Rhône). Cela s'inscrit dans le cadre des sanctions financières décrétées par l'Union européenne après l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Au total, une "liste noire" de 510 personnes ou structures russes visées par ces sanctions a été établie par la "task force" du ministère de l'Économie.

Qu'en est-il de la collection Morozov, exposée actuellement à la fondation Louis-Vuitton à Paris ? franceinfo s'est penchée sur le cas de cette exposition hors norme. 

La collection Morozov, exposition très politique 

L'exposition "Collection Morozov, icônes de l'art moderne" est en cours à la fondation Louis-Vuitton et doit se tenir jusqu'au 3 avril 2022. Elle regroupe, selon le site de la fondation, "plus de 200 chefs-d'œuvre d'art moderne français et russe". Ces pièces appartenaient toutes aux frères moscovites Mikhaïl et Ivan Abramovitch Morozov. C'est la première fois depuis sa création, au début du XXe siècle, que la collection Morozov voyage hors de Russie. 

Les œuvres concernées viennent du musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg, du musée d'État des Beaux-Arts Pouchkine et de la galerie nationale Tretiakov à Moscou mais aussi du musée de Minsk (Biélorussie et de Dniepropetrovsk (Ukraine). Enfin, une petite partie des pièces de la collection est issue de fondations créées par des oligarques russes : Petr Olegovich Aven, Vladimir et Ekaterina Smenikhine ainsi que Viatcheslav Moshe Kantor. 

Cette exposition est éminemment politique. Comme le souligne Le Monde, le catalogue de l'exposition s'ouvre par un texte d'Emmanuel Macron, saluant "les ponts qu'artistes et amoureux des arts ont bâtis" entre la Russie de la France. Puis un texte de Vladimir Poutine s'adresse à ses "amis français". Il est très rare que deux chefs d'État – et non des moindres – signent des textes dans un catalogue d'exposition. 

Mais les deux hommes ont beaucoup négocié pour en arriver à cette exposition. En effet, de nombreuses crises diplomatiques (guerre en Syrie, annexion de la Crimée par la Russie...) ont failli faire empêcher l'événement. Comme le racontait Jean-Paul Claverie, le conseiller du président de LVMH, au journal Le Parisien, "ça a failli échouer à plusieurs moments". Car une telle collection ne peut voyager qu'avec la signature personnelle du président russe. C'est finalement à l'été 2017 que l'exposition est actée, dans le cadre du projet élyséen du Dialogue de Trianon qui vise un rapprochement franco-russe. Vladimir Poutine est alors reçu à Versailles, pour des discussions directes avec le président français.  

Qu'est-ce qui empêche sa saisie ? 

Si, à première vue, on pourrait imaginer une saisie des pièces de la collection, la loi protège les oeuvres d'art en exposition via un mécanisme d'immunité. Cela permet d'éviter le risque éventuel de saisie ou de mise sous séquestre. Cette législation a été mise en place après un premier cas problématique, en 1994. À l'époque, une exposition en l'honneur de Matisse est en cours au centre Pompidou. Parmi les œuvres, des tableaux provenant de la collection Chtchoukine. Les héritiers de Matisse en avait réclamé la propriété et la saisie. La justice avait considéré que seul l'État russe pouvait trancher ce genre de conflit.  Selon Olivier de Baecque, avocat spécialiste du droit de l'art interrogé par France Culture, la loi promulguée par la suite "permet d'anticiper ce type de problème en rendant les objets prêté par un État étranger insaisissables en France, durant l'intégralité de leur séjour dans l'hexagone". Il estime que cette loi permet depuis à la France d'obtenir des prêts beaucoup plus facilement. 

Ainsi, comme la souligne La Gazette Drouot, l'ensemble des œuvres de la collection Chtchoukine prêtées à la fondation Louis-Vuitton en 2018 par différents musées nationaux russes ont fait l'objet d'un arrêté d'insaisissabilité publié au Journal officiel. De la même façon, pour l'exposition Morozov, un arrêté similaire a été pris le 19 février 2021 par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères mais aussi le ministère de la Culture. Deux arrêtés complémentaires ont ensuite été pris, les 18 mai 2021 et 6 janvier 2022 pour couvrir la prolongation de l'exposition. Celui-ci court jusqu'au 6 avril 2022.

Peut-elle ne pas revenir en Russie ?

L'effet de cet arrêté pourrait être maintenu jusqu'au 15 mai. À partir de cette date, la collection est censée rentrer en Russie. Cependant, comme le pointe le site Connaissance des arts, les biens pourraient être immobilisés pour des raisons de sécurité liées à la guerre en Ukraine. Il faut en effet que les oeuvres puissent repartir dans des conditions optimitales de sécurité et de sûreté. "J'imagine qu'elles resteront en France aussi longtemps que le retour n'est pas possible et que les arrêtés seront prolongés", postule Olivier de Baecque sur France Culture. 

Au-delà de cette question de la sécurité, celle des œuvres appartenant aux oligarques russes pourrait bientôt se poser. Elle ne font en effet pas partie de la liste dressée par l'arrêté publié au Journal officiel. Si leurs propriétaires font partie de la "liste noire" élaborée par Bercy – dont on ne connaît pas le détail – il semble donc possible que l'État français puisse s'en saisir. 

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