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Guerre en Ukraine : la Russie se dote du système "Okulus", un outil pour censurer les contenus en ligne

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
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Roskomnadzor, le service fédéral chargé de superviser les médias, a annoncé le déploiement d'un service automatisant le contrôle des images mises en ligne. (SEFA KARACAN / ANADOLU AGENCY / AFP)
Officiellement, l'objectif est de combattre les violations à la loi russe, mais cet instrument marque surtout une nouvelle étape dans la surveillance du web.

La censure russe dispose d'un nouvel outil. Roskomnadzor, le gendarme des médias et des télécommunications, a annoncé lundi 13 février avoir déployé un système baptisé "Okulus" afin de traquer, de manière automatisée, les images diffusées en ligne. Ce logiciel, développé à sa demande par le Centre principal de radiofréquences, un service sous tutelle de Roskomnadzor, va accélérer le ciblage de contenus visuels violant la législation russe : thèses extrémistes, appels à des manifestations illégales, incitations au suicide et à l'usage de drogue, et propagande LGBT.

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"Cette annonce marque un pas en avant dans la massification de la censure, avec une automatisation du contrôle", commente Kevin Limonier, maître de conférences à l'Institut français de géopolitique. Okulus repose sur un réseau de neurones, exercés par un apprentissage automatique, et mobilise une cinquantaine de serveurs équipés d'accélérateurs graphiques. Il analyse les pages internet, ainsi que les profils des réseaux sociaux, pour établir une classification, selon des critères définis au préalable.

"La censure russe est toujours menée sous couvert de lutte vertueuse. Officiellement, Twitter est ralenti ou bloqué pour des histoires de pédopornographie."

Kevin Limonier, maître de conférences à l'Institut français de géopolitique

à franceinfo

Ce système a d'abord été testé en décembre, avant d'être intégré, le mois suivant, aux outils de surveillance déjà utilisés par Roskomnadzor. Auparavant, le Centre principal de radiofréquences surveillait manuellement la toile, précise le communiqué, et traitait en moyenne 106 images et 101 vidéos par jour. Okulus doit permettre d'industrialiser ce travail, car il sera capable de traiter "plus de 200 000 images par jour, à raison d'environ trois secondes par image".

Traquer les mèmes de Poutine

L'an passé, précise le Centre principal de radiofréquences, plus de 100 000 ressources en ligne ont été supprimées ou bloquées, à la demande du bureau du procureur général. Soit quinze fois plus qu'en 2021. Les publications concernées, pour la plupart, étaient qualifiées de "fausses informations" sur la guerre en Ukraine. "Les contenus visuels sont particulièrement utilisés par les sources antirusses", dénonce la branche de Roskomnadzor auprès du quotidien gouvernemental Rossiïskaïa Gazeta (en russe), "car ils font une plus grande impression sur les utilisateurs".

"Ce système est notre réponse aux provocations et aux actions antirusses par des agents étrangers."

Le Centre principal de radiofréquences russe

à "Rossiïsskaïa Gazeta"

Les promoteurs du système assurent que les données seront vérifiées en dernier lieu par des humains, afin d'éviter les erreurs d'appréciation. Ils promettent également que les données ne seront pas transmises aux forces de l'ordre, en vue d'éventuelles poursuites. Okulus, pourtant, risque bien de cibler la moindre graine de contestation.

Les journalistes d'Important Stories (en anglais) ont notamment découvert que le système Okulus prévoyait de traquer les propos et les mèmes insultants à l'endroit de Vladimir Poutine. Ce point figurait, en toutes lettres, dans une annexe issue de la plus grande fuite de documents de l'histoire de Roskomnadzor, datée de novembre dernier. Celle-ci avait permis d'identifier d'autres outils utilisés par le gendarme des médias, dont des fermes de "bots" imitant des utilisateurs de réseaux sociaux, afin d'infiltrer les groupes privés.

Le Kremlin rêve de contrôler le web russe

A ce stade, les experts restent encore divisés sur l'efficacité réelle d'Okulus. En août dernier, ce projet avait décroché un financement de 58 millions de roubles (730 000 euros), une somme relativement modeste pour un projet affichant de telles ambitions. Le délai de développement est également très court.

"Il faut donc nuancer ces discours, souvent spectaculaires, qui débouchent souvent sur peu de choses."

Kevin Limonier, maître de conférences à l'Institut français de géopolitique

à franceinfo

Okulus a pour ambition d'intégrer, d'ici 2025, de nouvelles catégories, ainsi que des améliorations permettant d'analyser des documents plus complexes (dessins, textes manuscrits...). Ce système est conçu comme une arme permettant de "contrôler les couches hautes du cyberespace, où circulent les informations", précise Kevin Limonier. Mais la Russie tente également de développer des outils pour "contrôler les couches basses, c'est-à-dire les flux internet eux-mêmes". Le Kremlin caresse le rêve, depuis des années, de jouir d'une souveraineté numérique totale, en créant un "Rusnet" séparé de l'internet mondial.

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