Guerre en Ukraine : les attaques de drones sur le sol russe "marquent un tournant" dans le conflit, selon une spécialiste
Assiste-t-on à une démonstration de force de l'Ukraine ? Plusieurs attaques de drones ont visé des bases militaires installées sur le territoire russe ces derniers jours. La dernière en date a touché un aérodrome près de Koursk, à une centaine de kilomètres de la frontière ukrainienne, mardi 6 décembre. La veille, deux attaques avaient ciblé des bases situées à Riazan et Saratov, à près de 600 kilomètres de la frontière. Si l'Ukraine n'a pour l'instant pas revendiqué ces frappes, leur origine laisse peu de doute, selon les spécialistes.
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C'est un camouflet pour Moscou. Pour la première fois depuis le début du conflit, des cibles situées aussi profondément sur le territoire russe sont touchées. Hormis pour accuser Kiev, la Russie n'a pour l'instant pas réagi, mais la situation inquiète les Occidentaux. "Nous n'encourageons pas et nous n'aidons pas l'Ukraine à lancer des frappes en Russie", a déclaré à la presse le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, mardi. Ces frappes pourraient marquer un "tournant" dans la guerre, selon Carole Grimaud, spécialiste de la géopolitique russe et experte à l'Observatoire géostratégique de Genève (Suisse).
Franceinfo : Ces attaques de drones contre des bases russes marquent-elles une nouvelle étape du conflit ?
Carole Grimaud : Ces drones seraient de fabrication ukrainienne, même si ça n'a pas été revendiqué officiellement par Kiev. Il faut cependant bien noter que toutes les attaques vraisemblablement ukrainiennes contre les points d'intérêts russes ne sont pas revendiquées officiellement par la partie ukrainienne. Je pense notamment à l'attaque contre le pont de Crimée à Kertch ou aux explosions sur le sol russe près de la frontière. L'absence de revendication s'inscrit dans la même veine stratégique.
Ces attaques marquent un tournant dans le conflit. Depuis des mois, les Ukrainiens réclament des lance-roquettes de longue portée aux Etats-Unis. Les Américains, jusqu'à présent, ont toujours refusé. Là, on voit Kiev passer à la vitesse supérieure, avec des drones qui auraient une capacité de 1 000 kilomètres. Si l'Ukraine est en possession de tels appareils, elle pourrait très bien viser à nouveau le pont de Crimée et d'autres points stratégiques russes. C'est le signe que l'Ukraine garde la main et l'avantage sur de nombreux fronts, après la reprise de Kherson.
Quels sont les objectifs de l'Ukraine, si elle est bien derrière ces frappes ?
Le premier objectif, c'est de dire à la population ukrainienne qu'on ne se laisse pas bombarder sans rien faire. Ensuite, les cibles sont des points stratégiques. L'Ukraine vise depuis des mois des bases militaires, des bases navales de Sébastopol en Crimée, des dépôts de carburant. Le but est de couper l'approvisionnement et les ressources de l'armée russe. C'est cette stratégie-là qui a été utilisée pour la reconquête de Kherson.
"La prochaine étape pourrait être de viser des bases navales en Crimée ou bien d'autres bases militaires en Russie, des voies ferrées, en somme des infrastructures qui servent à l'acheminement."
Carole Grimaud, spécialiste de la géopolitique russeà franceinfo
Là, on est passé à la vitesse supérieure avec ces attaques de drones, notamment avec celle contre la base Engels 2 située à Saratov. Elle abrite des avions bombardiers capables de charger des missiles nucléaires. On peut penser que c'est la capacité nucléaire de la Russie qui est ciblée. L'Ukraine montre qu'elle est capable de viser des cibles stratégiques et nucléaires – ce qui est un petit peu dérangeant, pour les partenaires occidentaux.
Washington a dit ne pas "encourager" ces attaques de drones. Qu'est-ce qui inquiète les Etats-Unis ?
Dans la doctrine nucléaire de la Russie, toute atteinte aux infrastructures et a la puissance nucléaire peut déclencher une riposte nucléaire. Là, en touchant cette base et en endommageant ces avions, s'il est avéré que l'Ukraine est derrière cette attaque, on touche à la force nucléaire russe. C'est donc un sujet assez sensible.
Le problème, c'est que l'on ne sait plus très bien où s'arrête cette ligne rouge. La Russie ne menace plus d'utiliser la force nucléaire depuis que le président chinois a condamné cette posture. La ligne rouge a ainsi été modifiée. L'attaque du pont de Crimée était une autre ligne rouge au début du conflit. Finalement, il n'y a pas eu de riposte plus sévère que les bombardements actuels que l'on voit en Ukraine.
Comment la Russie va-t-elle réagir ?
Elle peut faire quelque chose, comme elle peut ne rien faire. Les bombardements sur les infrastructures énergétiques de l'Ukraine étaient une réponse à la contre-offensive ukrainienne. Les Russes se sont réunis en urgence en Conseil de sécurité mardi pour décider des actions à entreprendre. Toute l'Ukraine était en alerte, pensant devoir faire face à un redoublement des bombardements, mais celle-ci a été vite levée. Il est possible également que, comme pour Kherson, la Russie ne fasse pas grand-chose.
"Ces attaques signent un échec de la Russie, qui n'a pas pu protéger ses sites et son sol."
Carole Grimaud, spécialiste de la géopolitique russeà franceinfo
Les officiels russes ne veulent probablement pas que ce genre d'attaques se reproduise, car elles pourraient s'ajouter à la longue liste de reproches adressés par la population au Kremlin. Ne rien faire, c'est une façon de ne pas trop en parler. Je pense que c'est la stratégie que va choisir le Kremlin, afin que les Russes ne se demandent pas s'ils sont protégés en Russie même.
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