Guerre en Ukraine : pourquoi la situation sur le front est qualifiée d'"extrêmement difficile" par Volodymyr Zelensky

Le président ukrainien s'est inquiété lundi, dans son message quotidien, de mouvements russes sur plusieurs points de la ligne de front, sur fond d'incertitude au sujet de l'aide militaire américaine.
Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
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Des soldats ukrainiens vers Kreminna, dans la région de Donetsk (Ukraine), le 15 février 2024. (DIEGO HERRERA CARCEDO / ANADOLU / AFP)

La petite phrase, prononcée par Volodymyr Zelensky lui-même, intervient quelques heures seulement après le retrait ukrainien, samedi, de la ville d'Avdiïvka, à l'issue de plusieurs mois de combats très intenses. "La situation est extrêmement difficile en plusieurs points de la ligne de front, où les troupes russes ont concentré un maximum de réserves", a insisté lundi 19 février le président ukrainien dans son message quotidien.

Les forces russes, selon Volodymyr Zelensky, "mettent à profit le retard dans l'aide" occidentale à l'Ukraine, à l'heure où la majorité républicaine de la Chambre des représentants, aux Etats-Unis, continue de bloquer une enveloppe cruciale de 60 milliards de dollars d'assistance militaire. 

Des "opérations offensives" russes à plusieurs endroits  

Ces retards "aident probablement la Russie à lancer des opérations offensives opportunistes le long de plusieurs secteurs de la ligne de front", note le centre d'analyse américain Institute for the Study of War (ISW), qui suit jour après jour l'évolution du conflit. L'objectif, pour Moscou, est d'"exercer une pression sur les forces ukrainiennes sur plusieurs axes", dans un contexte où l'armée de Kiev manque de matériel et notamment de munitions. "Depuis la fin de l'année, on voit une accélération des bombardements, à une échelle plus grande, certainement pour épuiser les munitions de défense aérienne ukrainiennes", constate Carole Grimaud, spécialiste de géopolitique russe et professeure à l'Université Paul-Valéry de Montpellier. 

Actuellement, l'ISW observe au moins trois mouvements offensifs russes en Ukraine : autour d'Avdiïvka, près de la frontière entre les régions de Kharkiv et de Louhansk, et plus au sud vers Robotyne, dans la région de Zaporijjia. Les forces de Moscou profitent de l'incertitude sur l'aide militaire à l'Ukraine, mais aussi du climat avant la période de "rasputitsa", le temps des mauvaises routes. En effet, avec l'arrivée du printemps, les températures plus douces et le dégel rendent les terres boueuses, ce qui complique la circulation de véhicules militaires. 

Dans la région d'Avdiïvka par exemple, des dizaines d'attaques russes ont eu lieu au lendemain du retrait ukrainien, selon le général Oleksandre Tarnavsky, commandant du secteur. "On voit encore des combats au niveau des villages où les Ukrainiens ont bâti des lignes de défense, sans avancée ou recul de l'un ou de l'autre camp", remarque Ulrich Bounat, analyste en géopolitique et auteur de La guerre hybride en Ukraine, quelles perspectives ? (éditions du Cygne). Le succès russe, dans cette ville de la région de Donetsk, montre la volonté de Moscou d'épuiser les capacités ukrainiennes, sans forcément obtenir de gain territorial stratégique, de l'avis de l'ISW. 

"Les forces russes ont réussi à attirer les forces ukrainiennes vers Avdiïvka et à les éloigner d’autres zones du front, forçant les Ukrainiens à utiliser leurs réserves déjà limitées d’équipements critiques, mais elles y sont parvenues sans obtenir de gains opérationnels majeurs."

Le centre d'analyse Institute for the Study of War

Les combats s'intensifient aussi dans la région de Zaporijjia, autour du village de Robotyne repris par les Ukrainiens en août. L'ISW note que les troupes russes ont réussi à reprendre une zone au sud de la localité et s'approchent de l'ouest du village"La situation est changeante, l'ennemi inflige des tirs nourris (...) L'ennemi a mené 10 tentatives infructueuses contre les positions des forces de défense", a alerté Dmytro Lykhovy, porte-parole des militaires ukrainiens dans cette zone. Selon lui, les troupes russes agissent avec de "petits groupes" aidés de blindés et d'une aviation qui "opère activement". "C'est une offensive assez forte, il y a une volonté de percer, note Ulrich Bounat. Robotyne est aussi l'endroit où les Ukrainiens sont le plus près de Tokmak et Melitopol, des villes proches de la mer d'Azov. C'est aussi pour cela que les Russes tentent de les repousser."

Enfin, entre les régions de Kharkiv et de Louhansk dans l'Est, l'ISW recense des avancées russes à l'ouest de Kreminna, ainsi qu'une poursuite des combats de positions au nord-est de Koupiansk, vers Synkivka. "C'est un village stratégique que les Russes tentent de reprendre depuis quelques semaines", précise Ulrich Bounat. Quant à Koupiansk, "c'est un objectif prioritaire à reprendre pour les Russes. Ils tentent de placer un maximum d'unités, sans obtenir de vrais résultats pour l'instant". 

Un déficit de matériel et d'effectifs 

Ces mouvements risquent de fragiliser les forces ukrainiennes, sur fond de manque de matériel le long de la ligne de front. En matière de munitions, "la pénurie s'accentue de jour en jour", a récemment alerté le ministre de la Défense ukrainien, Rustem Umerov, dans une lettre au chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. Dans ce courrier consulté par le Financial Times, le ministre explique qu'il faut au "minimum" 6 000 obus d'artillerie par jour. Or à ce stade, les forces ukrainiennes ne peuvent en tirer que 2 000 chaque jour, souligne-t-il. Les troupes russes, face à elles, ont une capacité quotidienne de 10 000 obus d'artillerie. 

Si elle est approuvée, l'aide américaine de 60 milliards de dollars devrait permettre à l'Ukraine de recevoir 1,3 million de munitions cette année, selon le chercheur Jack Watling auprès de Time. Sans cela, Kiev risque de vivre encore plusieurs mois de pénurie. Les capacités européennes de production augmentent, mais la promesse de livrer d'ici mars un million de munitions à l'Ukraine n'a été que partiellement tenue. Seule la moitié sera livrée à temps, selon Josep Borrell. "Les Ukrainiens tentent de compenser avec des drones, mais cela compense en partie", ajoute Ulrich Bounat. Pour le chercheur, l'armée de Kiev a notamment besoin d'avions de chasse ou d'équipements "qui permettent de frapper plus en profondeur", comme des missiles Scalp ou ATACMS. L'envoi d'armes antiaériennes est aussi crucial : Kiev pourrait manquer de missiles antiaériens dès mars, d'après le New York Times

La Russie a un avantage clair sur ce point. D'après Jack Watling, Moscou a en stock près de 3 millions de munitions, et la Corée du Nord s'est engagée à lui en livrer plus d'un million supplémentaire. Sans compter les capacités de production russes, renforcées par une économie de guerre. "Une machine de guerre s'est mise en place. Le rendement des usines est volontairement poussé au maximum" en Russie, confirme Carole Grimaud. 

"Ils ont une supériorité en termes de quantité d'armes, de munitions, d'avions de chasse... Et en effectifs. L'Ukraine le sait : ce n'est pas le nombre de morts côté russe qui arrêtera la guerre."

Carole Grimaud, spécialiste de géopolitique russe

à franceinfo

En Ukraine au contraire, la question des effectifs militaires se pose de plus en plus. En décembre, Volodymyr Zelensky avait annoncé que des responsables militaires avaient "proposé de mobiliser 450 000 à 500 000 personnes supplémentaires" après deux ans de combats. Le chef de l'Etat appelle à un "système de rotation efficace" des troupes au front, épuisées par un conflit qui s'enlise. Un projet de loi visant à accélérer l'enrôlement est à l'étude, non sans controverse. Il prévoit par exemple de reculer l'âge de la mobilisation à 25 ans, contre 27 aujourd'hui. "Les forces ukrainiennes n'emploient pas les mêmes moyens que du côté russe, note Carole Grimaud. On n'envoie pas de prisonniers au front par exemple. Les directives de l'armée ukrainienne, c'est de préserver la vie des combattants". 

Le retrait d'Avdiïvka, samedi, a été décidé "pour sauver autant de vies que possible", a défendu Volodymyr Zelensky. Tout en réitérant son appel à l'aide militaire occidentale, pour mieux tenir face aux forces russes. 

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