Guerre en Ukraine : quatre questions sur les accusations d'exécutions de soldats russes par des militaires ukrainiens
Après que la Russie s'est indignée d'un "crime de guerre" ukrainien, un haut responsable de Kiev a riposté, en accusant l'armée russe d'avoir contourné le droit de la guerre.
Moscou dénonce un "crime de guerre". La Russie a accusé l'Ukraine, vendredi 18 novembre, d'avoir exécuté de façon "délibérée et méthodique" plus de dix de ses militaires qui "étaient immobilisés" et avaient déposé les armes.
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En écho, un haut responsable ukrainien a rejeté, dimanche, la faute sur les forces russes, accusées d'avoir simulé une reddition pour piéger l'armée ukrainienne, qui aurait ouvert le feu en légitime défense. Ces allégations soulèvent plusieurs questions.
1Sur quels éléments reposent ces accusations ?
Cette polémique survient après la publication de deux vidéos, d'une trentaine de secondes chacune, présentées sur les réseaux sociaux comme montrant l'exécution de militaires russes qui venaient de se rendre aux soldats ukrainiens.
Sur la première vidéo, filmée par un soldat ukrainien, on voit un groupe d'hommes en treillis sortir, les uns après les autres, d'un bâtiment dans la cour d'une maison. Les mains en l'air pour certains, ils s'allongent, face contre terre, sous l'injonction de militaires ukrainiens. "Qui est l'officier ? Est-ce que tout le monde est sorti ? Sortez", lance l'un d'eux, d'après le site d'investigation russe The Insider (en russe). La vidéo s'interrompt brutalement, au moment où une dernière silhouette sombre surgit de l'abri et où des tirs retentissent. La deuxième vidéo, prise depuis une hauteur avec un drone, montre une douzaine de corps gisant au milieu de flaques de sang. L'un des corps semble avoir été touché à la tête.
Dans une enquête vidéo, le New York Times (en anglais) a révélé, dimanche, avoir pu authentifier les vidéos, tournées mi-novembre lors de la reconquête ukrainienne de Makiïvka, localité de la région de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine. Ce travail d'investigation minutieux souligne l'effet de surprise produit par le soldat russe ouvrant le feu lors de la reddition, qui se déroulait calmement jusqu'ici. Aucune image ne permet toutefois d'établir dans quelles conditions les hommes au sol ont ensuite été tués. "Il apparaît que la plupart ont été touchés à la tête", "sans tentative de les relever ou de les aider", alors qu'ils avaient une posture "hors de combat", selon un médecin consulté pour avis par le quotidien américain.
2Que dénonce la Russie ?
Le ministère russe de la Défense a affirmé que ces vidéos constituaient "une nouvelle preuve du massacre de prisonniers de guerre russes désarmés par des militaires ukrainiens". "Ce meurtre brutal de prisonniers de guerre russes n'est pas le premier, ni le premier crime de guerre commis", a-t-il poursuivi, affirmant que le président ukrainien Volodymyr Zelensky "rendra[it] des comptes pour tous les prisonniers torturés et tués".
"La Russie va rechercher elle-même ceux qui ont commis ce crime. Ils doivent être retrouvés et punis."
Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlinà la presse
Le Comité d'enquête russe a ouvert une investigation pour "l'exécution de soldats russes capturés". "Nous allons demander une réaction de la communauté internationale et une enquête", a également annoncé le Conseil des droits de l'homme auprès du Kremlin, un organe consultatif rattaché à la présidence russe.
3Que répond l'Ukraine ?
L'armée ukrainienne a d'abord annoncé, samedi, qu'elle vérifiait l'authenticité des images, tout en notant que la publication de fausses vidéos s'était "intensifiée récemment". "Avant de lancer une enquête, il faut qu'il y ait une base pour cela, a déclaré l'un de ses porte-parole. Nous sommes en train d'établir si ces vidéos sont des fake." Une version écartée par le New York Times, dès dimanche.
L'Ukraine est ensuite passée à l'offensive, dimanche, par la voix de son commissaire parlementaire chargé des droits humains. Sur Telegram (en ukrainien), Dmytro Loubynets a soutenu que les extraits montraient des soldats russes "utilisant une reddition feinte" avant d'"ouvrir le feu sur les forces armées ukrainiennes", commettant dès lors "un crime de guerre". Les soldats russes tués dans cet incident "ne peuvent donc pas être considérés comme des prisonniers de guerre", a-t-il ajouté.
"Personne ici ne peut être accusé d'enfreindre les règles et coutumes de la guerre", a défendu un officier ukrainien, interrogé par The Insider. "Si une partie d'une unité a déposé les armes, mais que l'unité entière ne s'est pas rendue, elle doit être détruite dans un engagement direct", a-t-il soutenu, niant toute "exécution".
4Comment réagit la communauté internationale ?
"Nous avons connaissance de ces vidéos et les examinons", a fait savoir un porte-parole de l'ONU, assurant que, le cas échéant, les coupables devaient répondre de leurs actes. Les statuts de la Cour pénale internationale prévoient que "le fait de tuer ou de blesser un combattant qui, ayant déposé les armes ou n'ayant plus de moyens de se défendre, s'est rendu à discrétion" constitue un crime de guerre.
Citée par le New York Times, Iva Vukusic, spécialiste des poursuites pour crime de guerre à l'Université néerlandaise d'Utrecht, appelle à interpréter les images avec prudence. Elle souligne le besoin d'identifier si les hommes au sol ont été tués dans la riposte directe aux coups de feu ou "en guise de vengeance" une fois le soldat neutralisé. Par ailleurs, le fait de feindre d'avoir le statut de non-combattant peut être constitutif d'un crime de guerre, au titre de l'interdiction de la perfidie prévue dans les conventions de Genève.
Dans un rapport publié mardi, l'ONU avait déjà alerté sur le sort de soldats soumis à la torture et aux mauvais traitements après leur capture par les forces russes et ukrainiennes. Elle avait notamment écrit avoir reçu des "allégations crédibles" d'exécutions sommaires de prisonniers de guerre russes capturés par les forces ukrainiennes.
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