Guerre en Ukraine : trois questions sur la crise énergétique actuelle, "comparable" selon Bruno Le Maire au choc pétrolier de 1973
Pour le ministre français de l'Economie, la crise énergétique actuelle est "comparable en intensité, en brutalité au choc pétrolier de 1973". Notre cellule décryptage et François Gemenne, professeur à Sciences Po, indiquent en quoi ces deux évènements sont comparables.
La France, l'Europe et le monde s'apprêtent à traverser une grave crise énergétique en raison de la guerre en Ukraine. Les dirigeants européens ont rendez-vous jeudi 10 et vendredi 11 mars à Versailles pour discuter de leur dépendance au gaz et au pétrole russes. La hausse des prix des hydrocarbures s'est encore accélérée depuis le début de l'invasion russe. Le baril de Brent a pris 66% depuis le début de l'année 2022, à 130 dollars actuellement. La crise contemporaine est comparée au choc pétrolier de 1973, notamment par Bruno Le Maire.
Quel impact sur l'économie ?
En 1973, la guerre du Kippour, entre Israël et plusieurs pays arabes, a provoqué le choc pétrolier. Pour répliquer au soutien des pays occidentaux à Israël, l'Organisation des pays exportateurs de pétroles (Opep) a pris deux mesures : une première hausse d'un coup de 70% du prix du baril, ainsi qu'une forte réduction de leur production et de leurs exportations vers l'Europe, des Etats-Unis et du Japon. Le baril ne coûtait que 2 dollars avant la guerre.
À la suite de ces décisions, le prix du baril a été multiplié par quatre en l'espace de six mois, précisément entre octobre 1973 et avril 1974. Face à la pénurie de pétrole, les automobilistes ont fait la queue aux stations service en Europe et aux États-Unis, où on n'avait jamais vu ça. Les prix à la pompe ont grimpé de 30% en France entre octobre 1973 et janvier 1974 pour atteindre 1,62 franc. Aujourd'hui, les prix à la pompe grimpent également depuis Noël. Le sans plomb 95 a augmenté de 17%. Le gasoil a pris récemment 14 centimes en une seule semaine. Certains craignent maintenant que les prix s'envolent au delà de 2,50 euros le litre, que ce soit pour l'essence ou le gasoil.
Quelles mesures ont été prises ?
Des mesures drastiques ont été prises pour économiser le pétrole en 1973. La circulation a été interdite le dimanche aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne, au Danemark, en Suisse. En France, on a interdit les courses automobiles. La vitesse maximum sur route est passée aussi à 90 km/h et à 120 km/h sur autoroute. Étant donné la très grande dépendance des économies au pétrole à l'époque pour la production d'électricité, les illuminations de magasins et de bureaux ont été interdites en France entre 22 heures et 7 heures du matin. Les programmes télé s'arrêtaient à 23 heures. En Grande-Bretagne, on a demandé à la population de ne chauffer qu'une seule pièce par appartement.
De nos jours les pays sont moins dépendants du pétrole pour la production d'électricité. Cela est particulièrement vrai en France, avec le nucléaire. Sous l'effet de la hausse des cours du baril, l'inflation décolle pour atteindre 9% en 1973, presque 14% en 1974, environ 12% en 1976. Aujourd'hui, l'inflation fait son grand retour dans la zone euro. Elle flirte avec les 6% en rythme annuel. On n'avait pas vu cela depuis le milieu des années 1980. "Après 1973, on a continué à consommer de plus en plus d'énergies fossiles" explique François Gemenne, enseignant à Sciences Po et à la Sorbonne. Il est aussi soutien de Yannick Jadot , candidat écologiste à la présidentielle de 2022.
Une occasion manquée en 1973 ?
"Un des effets du choc pétrolier de 73, c'est peut être que nous avons pris conscience des limites planétaires, des limites des ressources naturelles" explique celui qui est aussi directeur de l'Observatoire Hugo à l'Université de Liège. "Il faut se souvenir que ce choc pétrolier intervient un an après la publication du rapport WITHOUT sur les limites de la croissance." Pour François Gemenne, le choc pétrolier de 1973 "sonne un peu la fin de la récréation de la décennie des 'Golden sixties'" qui ont été "marquées par une logique de croissance infinie".
"Quelque part, cette guerre nous rappelle à quel point nous restons prisonniers des énergies fossiles."
François Gemenne, professeur à Science Poà franceinfo
L'enseignant à Sciences Po soutient par ailleurs que la guerre en Ukraine pourrait, assez paradoxalement, pousser à l'accélération de la transition énergétique."Lorsque nous faisons le plein ou lorsque nous chauffons nos appartements, nous finançons malgré nous la guerre de Poutine, explique-t-il. Cela fait des raisons supplémentaires de réduire notre consommation. "Si nous avions entamé la transition énergétique il y a 20 ou 30 ans, dès les premières alertes du Giec, il est probable que nous ne serions pas dans cette situation de dépendance et donc de vulnérabilité face à la Russie", conclut François Gemenne.
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