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"La tête, la main, le cœur… Il avait toutes les qualités" : après la mort du journaliste Arman Soldin en Ukraine, amis et collègues lui rendent hommage

De Rome à Londres, de Sarajevo à Bakhmout, ceux qui ont connu le reporter de 32 ans évoquent "ce même mec entier et adorable".
Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le journaliste Arman Soldin sur une photo transmise par l'AFP le 10 mai 2023, au lendemain de la mort près de Bakhmout, en Ukraine. (BULENT KILIC / AFP)

Marc-Henri Maisonhaute avait eu des nouvelles de son "pote" samedi dernier. Et encore une fois, c'était du Arman Soldin tout craché : de l'humour dans du grave. "Cet âne m'avait envoyé des images de missiles tournées dans la nuit ukrainienne en me disant que ça n'avait rien à voir avec le sacre de Naples au foot", raconte cet ami et collègue journaliste, la voix tremblante au téléphone. Ce sera leur dernier échange : le reporter français de 32 ans a trouvé la mort, mardi 9 mai, dans une frappe de roquettes près de Bakhmout, dans l'est de l'Ukraine.

Celui qui était coordinateur vidéo à l'Agence France-Presse en Ukraine depuis sept mois était accompagné de quatre collègues et de militaires ukrainiens lorsqu'ils ont été pris sous la salve. Dans un message diffusé en interne mercredi, et auquel franceinfo a eu accès, le directeur de l'information de l'AFP, Phil Chetwynd, précise que l'équipe était "dans un secteur qui n'était pas considéré comme une 'zone rouge' de risque maximal".

Le journaliste Arman Soldin, sur une photo transmise par l'AFP le 9 mai 2023, jour de sa mort près de Bakhmout, en Ukraine. (AFP)

Lorsque la guerre en Ukraine éclate en février 2022, Arman Soldin est à 2 500 km de Kiev. En poste au bureau de Londres, il se porte volontaire pour couvrir le conflit. Il est l'un des premiers journalistes de l'AFP à se rendre sur place, en mars. Avec sa caméra, le reporter d’images couvre les évacuations à Irpin, les crimes de Boutcha, va sur le front. "Le travail brillant d'Arman résumait tout ce qui nous rend fiers du journalisme de l'AFP en Ukraine", salue Phil Chetwynd.

"Je crois qu'il aura vécu à 32 ans plus de choses que n'importe quelle personne en 80 ans."

Marc-Henri Maisonhaute, journaliste

à franceinfo

Marc-Henri Maisonhaute et Arman Soldin se connaissaient depuis 2015. Un stage au bureau de l'AFP à Rome et "hop, on était potes". "Parce qu'Arman était un mec adorable, tu ne pouvais que l'aimer. La tête, la main, le cœur : il avait toutes les qualités. Il était trop bon."

C'est le collègue qui a toujours le bon mot pour détendre l'atmosphère, même quand rien ne prête à sourire. Daphné Rousseau, sa consœur de l'AFP qui a travaillé à ses côtés en Ukraine, n'a pas oublié la fois, en avril 2022, où il chantait Forever Young, du groupe Alphaville, dans la voiture, alors que le binôme se rendait pour leur première fois sur le front ukrainien.

Dans la vraie vie aussi, Arman Soldin est "le gars qui fait des blagues". Un copain d'enfance a transmis à franceinfo une photo de jeunesse prise un soir de vacances sur l'île de Bréhat, en Bretagne. Dessus, "Armanito", comme la bande du lycée l'appelle, fait une grimace… en compagnie de François Damiens. L'acteur belge "était dans le même bar que nous, se rappelle Guillaume, tout sourire. Avec Arman et les autres, je ne vous cache pas qu'on avait beaucoup bu ce soir-là. On s'était payé l'audace d'aller le voir pour lui proposer de venir avec nous en soirée après. Et vous savez quoi ? Il était venu !"

Né dans un pays en guerre

Au lycée Saint-Martin de Rennes, Arman Soldin n'est jamais le dernier pour commander un monaco à l'Urban Phil, le café du quartier. A Rome, il se déhanche dans les soirées électro, quand il ne prend pas des places pour des festivals dans les bois. Il lui arrive de monter en cachette sur les toits de la capitale italienne. "C'était son côté James Dean, replace Marc-Henri Maisonhaute. Il aimait la vie, il la vivait à fond. Il faisait tout à fond et tout très bien. J'avais quatre ans de plus que lui, je le prenais un peu sous mon aile. Je lui ai appris à faire du scooter, j'avais peur pour lui."

Ses proches sont persuadés que son histoire personnelle a façonné son style de vie. Une naissance dans un pays en guerre, la Bosnie, le 21 mars 1991. Il a un an quand il quitte Sarajevo avec ses parents. La famille a embarqué à bord de l'avion officiel français dans lequel se trouvent aussi le président de la République François Mitterrand et le ministre de la Santé Bernard Kouchner. Direction l'Ille-et-Vilaine, où sa mère et son frère cadet habitent toujours. Son père vit à Sarajevo. Sa grande sœur est, elle, à Mostar (Bosnie-Herzégovine). "En vérité, il ne parlait pas beaucoup de son enfance, reconnaît Guillaume. Mais je me souviens qu'il nous avait dit que son père avait une carrière de footballeur en ex-Yougoslavie. Je comprends mieux pourquoi il était si bon lui aussi." 

Le foot, son autre passion

Si bon que le milieu de terrain finit par intégrer l'équipe des U13 et U15 du Stade rennais, de 2006 à 2008. "Sa vie est un pitch, résume, touché, Guillaume. C'était un malin, mais un malin dans le bon sens du terme. Il était toujours là au bon moment."

Le 7 septembre 2010, voilà Arman qui se retrouve à jouer les traducteurs pour Laurent Blanc, alors sélectionneur de l'équipe de France de foot qui s'apprête à affronter la Bosnie-Herzégovine à Sarajevo. "Voilà, ça, c'est Arman Soldin !" sourit Guillaume, qui a encore quelque part cette photo-souvenir. "Le bon moment, le bon coup."

Arman Soldin, alors traducteur pour Laurent Blanc, le sélectionneur de l'équipe de France de football, le 7 septembre 2010, lors d'un match contre la Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo. (COLLECTION PRIVEE)

Pour allier journalisme et foot, ses deux passions, Arman finit même par trouver une solution. Un jour de 2019, il toque à la porte de Canal+, qui possède les droits de la Premier League. Banco : la chaîne cryptée lui confie des interviews et les bords-terrains de certains matchs du championnat anglais. "Il travaillait toujours avec le sourire", se souvient David Rivet, rédacteur en chef du foot anglais à Canal+. "Un jour, pour le Boxing Day, il s'était amusé à apparaître à l'antenne dans les rues de Londres déguisé en père Noël !"

Son dernier commentaire remonte au 15 avril, pour un Chelsea-Brighton, sur la pelouse de Stamford Bridge, entre deux missions en Ukraine. Arman Soldin devait rentrer chez lui, à Londres, le 26 mai. "On l'avait prévu dans le dispositif de la dernière journée du championnat", livre, ému, David Rivet. Mardi soir, le présentateur Hervé Mathoux lui a adressé quelques mots avant la demi-finale de Ligue des champions entre le Real Madrid et Manchester City. "On va encore lui rendre hommage ce week-end lors de la prise de l'émission 'Match of Ze Day' puisqu'il faisait toujours partie de l'équipe", promet David Rivet.

Guillaume, Valentin, Etienne, David et tout le groupe du lycée ont prévu de se retrouver vendredi soir pour évoquer "Armanito". A l'AFP, un espace va être créé "pour accueillir les hommages à Arman de ceux qui le souhaitent". Mardi, lorsque Marc-Henri Maisonhaute a appris "l'horrible nouvelle", il a eu comme un réflexe : "J'ai ouvert WhatsApp et je lui ai envoyé un cœur. Il ne m'a jamais répondu et j'en ai pleuré toute la nuit."

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