Reportage "Si on ne fait rien, ce sera une génération perdue" : la Pologne face au défi de l'intégration des réfugiés ukrainiens

Environ 900 000 Ukrainiens sont arrivés en Pologne depuis l'invasion russe, en février 2022. Varsovie a facilité leur accès au travail, mais aussi à la santé et au système éducatif.
Article rédigé par Valérie Crova
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Des citoyens ukrainiens et d'autres soutiens participent à une marche de solidarité avec l'Ukraine, le 24 février 2024 à Cracovie (Pologne), deux ans après le début de l'invasion russe. (BEATA ZAWRZEL / NURPHOTO)

La Pologne est le pays qui, avec l’Allemagne, accueille le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens : 900 000 personnes, selon les derniers chiffres. Ces réfugiés sont en grande majorité des femmes avec des enfants et des personnes âgées, qui ont quitté l’Ukraine dès le déclenchement de la guerre en février 2022. La Pologne leur a ouvert les bras. Deux ans plus tard, ont-ils réussi à s’intégrer ? 

Au rez-de-chaussée de la Maison ukrainienne de Varsovie, la salle de réunion sert à différents ateliers selon les jours de la semaine : conversation en langue polonaise, cours de théâtre ou de dessin... Y participent une dizaine de femmes, dont Anastasia, 36 ans. Elle vient de Vinnytsia, dans l’ouest de l’Ukraine. Anastasia, qui a une formation en économie, s’est installée il y a deux ans dans la capitale polonaise où elle travaille comme standardiste. "Nous sommes nombreux à vouloir reprendre le cours de notre vie normale, mais on a compris aussi que la guerre ne finira pas demain, déplore-t-elle. Alors, il faut se débrouiller, élever ses enfants, gagner de l’argent, se nourrir, parce que la guerre nous a aussi appris qu’il faut vivre ici et maintenant."

Un accès facilité au système de santé et à l'éducation

L’aide apportée par la Maison ukrainienne est précieuse. Créée en 2014, cette organisation de la société civile, qui ne comptait qu’une vingtaine d’employées, a vu ses effectifs augmenter au fur et à mesure que les réfugiés arrivaient pour les accompagner dans leur recherche d’emploi. "Énormément d'Ukrainiens ont déjà trouvé du travail, et donc ils paient des impôts, raconte Valeriia Shakhunova, membre de l’équipe de la Maison ukrainienne. Et nous avons également des statistiques selon lesquelles beaucoup d'Ukrainiens ont déjà commencé à faire des affaires ici, et c'est très important."

"Ils ne sont pas assis à ne rien faire, ils font quelque chose, ils fournissent de l'aide car généralement, si vous ouvrez votre entreprise ici et que vous êtes ukrainien, vous embaucherez des Ukrainiens." 

Valeriia Shakhunova, de la Maison ukrainienne

à franceinfo

Restaurants, cantines, épiceries, bâtiments, travaux publics, services... Les Ukrainiens n’ont pas besoin de permis de travail en Pologne. Ils ont également accès au système de santé et au système scolaire dans les mêmes conditions que les Polonais. Des facilités qui ont un coût : l’aide publique aux réfugiés ukrainiens équivaut à 2,4% du PIB polonais. Une proportion bien plus élevée que dans d’autres pays qui ont massivement accueilli les Ukrainiens, comme la République tchèque ou la Slovaquie.

L’extrême droite s’en sert comme argument politique. En février dernier, lors d’un débat à la Diète, la chambre basse du parlement polonais, un député du parti Konfederacja prenait à partie la coalition au pouvoir dirigée par Donald Tusk. "Vous voulez que les Ukrainiens en Pologne bénéficient de privilèges sociaux, alors vous voulez que la nation polonaise souffre des conséquences financières de la politique qui, selon Konfederacja, n’est pas dans l’intérêt national polonais."

Les Ukrainiens pénalisés par le coût du logement

Si le taux de chômage est historiquement bas en Pologne, l’inflation, elle, flirte avec les 6%. Les prix des loyers s’envolent dans un marché immobilier déjà tendu dans les grandes villes comme Varsovie. Les Ukrainiens se voient contraints de partager leur logement à plusieurs, quand ils en trouvent un.

"Quand une personne appelle au téléphone avec un accent pour une offre de location, cette personne s’entend dire immédiatement : 'Nous ne louons pas aux étrangers', ou bien que l’offre n’est plus d’actualité, raconte Oleksandr Pestrykov, qui s’occupe du plaidoyer à la Maison ukrainienne. Mais quand juste après, notre collaborateur polonais appelle le même numéro, il s’avère que l’appartement est disponible pour la location et que le prix est négociable". Une discrimination marginale mais qui marque une évolution dans les mentalités. 60% des Polonais restent solidaires de leurs frères ukrainiens. Mais ce pourcentage est bien inférieur à celui d’il y a deux ans, quand la guerre a éclaté.

Une allocation familiale conditionnée

Un sujet fait débat dans le pays : celui de la scolarisation des enfants ukrainiens. La Pologne autorisait jusqu’à présent les petits Ukrainiens à suivre leur programme scolaire à distance. Mais cela va changer prochainement. La moitié seulement des 300 000 enfants ukrainiens installés en Pologne sont inscrits dans les écoles polonaises, ce qui inquiète les autorités. Elles ont donc décidé d’appliquer une mesure à partir du mois de juillet : l’allocation familiale de 800 zlotys (l’équivalent de 190 euros) sera désormais conditionnée, comme l’explique Jedrzej Witkowski, du Centre de l’éducation citoyenne, une ONG polonaise spécialisée dans l’éducation.

"Seuls les parents qui envoient leurs enfants dans des écoles polonaises recevront le soutien financier que chaque famille reçoit pour chaque enfant, décrit-il. Et cela est controversé. Mais ce sera la seule mesure contraignante pour cette scolarité obligatoire. Je pense que c'est un outil efficace. Je pense que si on ne fait rien, ce sera une génération perdue. Ces enfants sont exclus du système. Ils ne maîtrisent pas la langue polonaise, parce qu'ils n'ont pas vraiment eu l'occasion de l’apprendre. Ils n’auront pas la possibilité de trouver un emploi auquel ils aspirent, et ils seront peut-être également marginalisés dans la société". Normaliser la présence des enfants ukrainiens en Pologne, éviter la montée des tensions sociales, autant de défis auxquels doit répondre aujourd’hui le gouvernement de Donald Tusk.

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