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Témoignages Guerre en Ukraine : une mère et sa fille racontent deux semaines de viols et de terreur à Boutcha

Article rédigé par franceinfo - Maurine Mercier, envoyée spéciale pour la RTS
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La découverte de Boutcha après le retrait des troupes russes, le 4 avril 2022. Photo d'illustration.
 (BENJAMIN THUAU / RADIO FRANCE)

Une mère et sa fille ont accepté de témoigner auprès de la RTS des viols continus qu'elles ont endurés durant l'occupation russe dans la ville de Boutcha. Ces témoignages rares et extrêmement durs peuvent être difficiles à entendre et à lire.

Cet article contient des témoignages dont la lecture ou l'écoute peuvent être particulièrement éprouvantes, mais qui nous semblent importants pour saisir la situation en Ukraine. Tous les liens vers lesquels nous renvoyons sont susceptibles de contenir des images explicites et non floutées.

Ce reportage, diffusé le 14 avril 2022, a reçu le Prix Bayeux des correspondants de guerre (catégorie radio).


Il s'agit de témoignages extrêmement rares, recueillis par une journaliste de la RTS, correspondante de franceinfo. Peut-être les premiers qui définissent à ce point l’horreur que les femmes et les mineurs ont vécue à Boutcha, en Ukraine. Cette ville où des cadavres de civils ont été découverts par centaines, et qui est devenue le symbole de la violence des militaires russes depuis la guerre en Ukraine.

Une mère a accepté de briser le silence, de dire ce qu’elle a vécu : des viols incessants durant l’occupation de sa ville par l’armée russe. Des soldats ont pratiquement élu domicile chez elle et ont transformé sa maison en enfer. Sa fille a tenu aussi à témoigner.


Une mère et sa fille racontent deux semaines de viols et de terreur à Boutcha - Maurine Mercier


Nous l’appellerons Ekatarina. Elle a 38 ans et vit dans une petite maison à Boutcha, avec sa fille de 13 ans et sa mère de 75 ans. Sa mère est trop âgée pour fuir. Voilà pourquoi ces trois femmes ont dû subir l’occupation russe. Son histoire commence ainsi : "Ils m’ont demandé de m’agenouiller, raconte la mère. Puis, ils m’ont dit : 'Ta fille est très belle…' Je les ai suppliés de ne pas la toucher. Je leur ai dit : 'Faites tout ce que vous voulez avec moi, mais ne la touchez pas.' Ils m’ont forcée à leur faire des fellations. À tour de rôle, ça n’en finissait pas, ils défilaient, comme sur un tapis roulant."

Pour protéger sa fille, cette femme va subir des viols plusieurs fois par jour. Durant deux semaines et demie, les soldats – entre 18 et 25 ans – ne venaient jamais seuls, toujours en groupe. "Ils s’y mettaient à plusieurs. Je crois que seuls mes yeux et mes oreilles n’ont pas été violés", explique Ekatarina.

"Ils me disaient : ‘Tais-toi ! On était en poste en Biélorussie et ça fait longtemps qu’on n’a pas eu de femme ! Alors ferme-là !’ Ils menaçaient sinon de détruire le quartier, de tuer tout le monde, mes voisins, ma fille."

Ekatarina

Ekatarina a tenté en vain de calmer ceux qu’elle définit comme des "psychopathes" : "Ils ne cessaient de me demander où est-ce qu’il y avait des jeunes. Je leur répondais que je ne savais pas. Je leur disais que tout le monde avait fui la ville. Ils m’ont dit qu’ils tuaient et qu’ils violaient des enfants." À ses côtés, se tient sa fille de 13 ans : "Ils me demandaient de regarder ma mère se faire violer… pour que j’apprenne, disaient-ils, et pour qu’ils puissent nous utiliser toutes les deux."

"Une nuit ils sont venus à huit. Je dormais. Ils sont venus dans le lit et m’ont touchée mais finalement ils sont allés vers ma mère. Ils l’ont violée, les huit en même temps."

La fille d'Ekatarina

"Tout à coup, leur regard tournait, et ils redevenaient fous, d’un coup, se souvient Ekatarina.  Ils étaient totalement imprévisibles. J’ai vraiment eu le sentiment qu’on n’avait pas devant nous des soldats mais des gens échappés de l’hôpital psychiatrique. Qu’on leur avait donné des armes, et envoyé faire la guerre. Ils ne sont pas normaux."

Torture psychologique

La mère décrit ces militaires systématiquement ivres qui tiraient sur le portail pour signaler qu’ils arrivaient chez elle, qui restaient des heures durant dans sa cour, à se balancer comme des pendules, après l’avoir violée. Sa fille n’a pas échappé non plus à cette torture psychologique : "Un jour, ils m’ont fait rentrer dans la petite cour de mes voisins, et le militaire m’a dit 'regarde, c’est ce que j’ai fait ce matin. C’est la femme que j’ai tuée. Il y avait du sang qui coulait de sa bouche. J’ai attendu qu’elle souffre avant de l’achever.' Je lui ai demandé : 'Vous avez vraiment fait ça ?'. Et il m’a répondu : 'Oui, j’aime tuer, ça m’excite.' Il avait 18 ans, donc 5 ans de plus que moi."

"Ils nous ont montré leurs lunettes de vision nocturne. On a compris qu’ils voyaient exactement sur qui ils tiraient, qu’ils savaient ce qu'ils faisaient quand ils tuaient des civils. Un soldat nous a dit : 'Ce n’est pas une guerre, c’est du terrorisme, c’est de la torture psychologique. Comme ça votre président Zelensky va finir par comprendre qui on est !'"

Ekatarina

À ceux qui murmurent – ces hommes du quartier qui parfois laissent entendre qu’elle aurait peut-être pu éviter ce qui lui est arrivé –  elle réplique : "Ceux qui ont essayé de résister sont morts ou ils ont été obligés de voir leur enfant se faire violer sous leurs yeux. Je ne sais même pas comment c’est possible de voir cela. J’ai regardé ces hommes droit dans les yeux. Ils étaient ivres morts et fous. J’ai compris ce que je devais faire." Cette mère conclut en disant : "Je crois, mais je ne suis pas sûre, que nous ayons survécu."

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