Ukraine : "La situation est explosive"
Alban Mickoczy, correspondant de France 2 à Moscou, la capitale russe, livre son analyse alors que la tension se déplace à l'est du territoire ukrainien.
Depuis le début de la crise en Ukraine, le correspondant de France 2 en Russie, Alban Mickoczy, suit les évènements heure par heure. Du 21 novembre dernier, quand le président d'alors, Viktor Ianoukovitch refusait de signer l'accord d'association avec l'Union européenne provoquant ainsi le soulèvement de la place Maidan à Kiev, jusqu'à la réaction de Moscou visant à se réapproprier la Crimée.
A présent, la tension se déplace à l'est du territoire ukrainien. Alors que la situation reste confuse et que des affrontements ont fait des morts et des blessés, le journaliste de France 2 livre son analyse.
Francetv info : Sommes-nous en train de revivre un nouvel épisode de la reconquête russe ?
Alban Mickoczy : En tout cas, on est face à un scénario coordonné par quelqu'un. Personne ne croit que les groupes séparatistes agissent de façon isolée à Slaviantsk, Donetsk, ou Marioupol. En cela, ce qui se passe ressemble à la Crimée. Là-bas aussi, il y avait eu une forte coordination pour que les actions aient lieu en même temps à Simferopol et Sébastopol. De plus, actuellement, les groupes séparatistes ont la volonté de poser comme un fait accompli, la privation de tout pouvoir de l'administration ukrainienne.
A partir de là, ils pourraient demander le vote de la population qui porterait non pas sur le rattachement à la Russie mais sur une séparation d'avec le gouvernement de Kiev.
Pourquoi ne pas dire clairement que cette coordination vient de Moscou ?
Pour les Ukrainiens, pas de doute, c'est bien Moscou qui serait derrière tout cela. A titre personnel, j'ai encore rencontré des gens du Kremlin, hier, qui jurent leurs grands dieux que non, que cela répond en réalité à une exaspération populaire. Selon eux, les ukrainiens pro-russes sont assez grands pour se coordonner tout seul. A mon avis, la vérité se situe au milieu. Si Moscou ne donne pas d'ordre explicite à chacun des groupuscules dans chacune des villes, le Kremlin favorise néanmoins de manière logistique la constitution de ces groupes, en leur fournissant des équipements, et même des armes.
Il semble que les échauffourées de ces dernières heures aient fait des victimes, qu'en dit-on à Moscou ?
Cela vient du compte Facebook du ministre de l'intérieur ukrainien. C'est assez surprenant comme moyen pour informer sur cette crise. A Moscou, on parle de blessés des deux côtés et on s'en tient là. En tout cas, des échanges de tirs ont bien eu lieu.
Pour l'heure, les choses se sont un peu calmées jusqu'au prochain affrontement. Car, selon moi, la situation est clairement explosive. D'un côté, il y a des séparatistes ultra-déterminés, équipés et armés. De l'autre, une autorité ukrainienne qui tente de reprendre le contrôle de la situation pour éviter que ne se répète le scénario de Crimée.
Un cas est intéressant, c'est celui de la ville de Donestk qui est la plus grande de cette région. Il y a des séparatistes, mais ils ne sont que quelques centaines pour une ville d'un million d'habitants. Donc, on ne peut pas dire qu'il y a un enthousiasme populaire à l'idée de rejoindre les barricades pour s'opposer à l'armée ukrainienne. En fait, la population de cette région est pour l'instant assez spectatrice.
En intervenant sur le terrain cette fois, le gouvernement ukrainien fait un pari du type : ou cela passe, ou cela casse ?
Tout à fait. Soit, cela reste une opération de maintien de l'ordre, disons plutôt de reprise de contrôle avec un nombre limité de victimes. Soit, l'Ukraine échoue ; et là, cette crise ne peut que s'installer dans la durée. D'autant que Moscou n'agit pour l'heure qu'en fonction des opportunités qui se présentent ou non.
On voit bien qu'il n'y a pas de plan pré-établi, où on se serait fixé pour objectif de faire tomber les villes les unes après les autres. En fait, il y a des villes où la rébellion fonctionne et d'autres où ça ne prend pas. Donc les situations sont très variables, et par exemple, le fait de n'être qu'à quelques kilomètres de la Russie pour certaines villes n'est pas une garantie de réussite du soulèvement. Donc, en réalité, on est dans le temps de l'indécision absolue.
Vous décrivez une situation d'autant plus préoccupante que la Russie semble agir au jour le jour, sans vrai dessein ?
C'est ce que je pense, en effet. Certes, le rapport de forces est en faveur des pro-russes mais Moscou n'est pas complètement à la manœuvre parce que les Russes ignorent quoi faire dans l'avenir.
Oui, ils veulent stopper ce qu'ils appellent un putsch. Car, depuis le début, pour Moscou, les évènements de la place Maidan constituent un putsch inadmissible. Mais ils savent aussi qu'une partie de l'Ukraine ne rejoindra jamais la Russie, celle qui se situe à l'ouest du Dniepr, y compris Kiev. Et pour eux, c'est donc la fin du projet de l'union eurasienne que Poutine voulait mettre en place.
Oui, ils veulent affaiblir le pouvoir de Kiev, voire le discréditer pour empêcher la tenue des élections présidentielles du 25 mai prochain. Mais pour permettre quoi à la place ? Que faire de ces territoires ? Les Russes n'en ont pas le début du commencement d'une idée.
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