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Vidéo Guerre en Ukraine : un an de propagande et de désinformation

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Guerre en Ukraine : un an de propagande
Guerre en Ukraine : un an de propagande Guerre en Ukraine : un an de propagande (FRANCEINFO)
Article rédigé par franceinfo - Nicolas Carvalho
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Depuis le Kremlin ou à travers ses relais en ligne, le rouleau-compresseur russe a désinformé à grande échelle durant les douze premiers mois du conflit. Kiev aussi a pratiqué l’intox, à un degré moindre cependant.

Une année de guerre en Ukraine, une année de fausses informations et de manipulations. Le 24 février 2022, alors que l'armée russe envahit son voisin ukrainien, Moscou décide de ne pas nommer l'événement. Ni "guerre", ni "conflit", ni "invasion" : "opération spéciale". La loi russe l'entérine, et punit de 10 ans de prison toute personne qui emploierait le mauvais terme. Ce déni de réalité est le point de départ des intox liées au conflit.

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"Cela crée aussi un cadre fictif pour tous les événements, ce qui permet de les neutraliser ou de faire entrer une euphémisation", estime Elsa Vidal, rédactrice en chef du service en langue russe de RFI, et spécialiste des sociétés post-soviétiques. "Initialement, quand la guerre commence, le terme d''opération spéciale' permet deux choses : minimiser ce qu'il se passe et faire entendre que du point de vue russe, il ne s'agit pas d'une opération qui se passe à l'extérieur des frontières, mais dans un espace continu d'un pays qui n'existe pas, qui serait la Russie éternelle, et dont une partie de l'Ukraine serait partie intégrante."

Face aux faits, la Russie dénonce une "mise en scène"

Le 9 mars 2022, la maternité de Marioupol est bombardée. Les analyses et témoignages attestent de la responsabilité de la Russie, mais le Kremlin contre-attaque sur le terrain informationnel. D'abord en accusant l'armée ukrainienne elle-même d'avoir tiré, puis en affirmant qu'il s'agit d'une mise en scène, où des acteurs joueraient les victimes. L'ambassade russe en France et le représentant russe à l'ONU accusent une femme, filmée blessée parmi les décombres, d'être une comédienne. Elle est mannequin, c'est vrai, mais était réellement enceinte, et bien présente à la maternité au moment du bombardement. Une autre femme enceinte, filmée blessée sur un brancard, est également accusée par Moscou de jouer la comédie. Elle et son enfant ont pourtant bien été tués lors de l'attaque.

Quand la Russie reconnaît des bombardements, elle explique viser des militaires ukrainiens... ou des nazis. "Depuis 10 ans à peu près, on voit un retour et une exaltation du thème de la Russie comme libératrice de l'Europe, face à la menace nazie, développe Elsa Vidal. En ce sens, tous ceux qui se sont opposés à la Russie sont susceptibles d'être des nazis. Ce n'est pas du tout utilisé dans un sens historique, c'est utilisé dans le sens d'ennemi absolu."

Volodymyr Zelensky et les missiles en Pologne

La plupart du temps, le discours russe cible le régiment ultra-nationaliste Azov, dont l'idéologie de certains membres est néo-nazie. Mais Vladimir Poutine et ses relais en profitent pour englober dans ces accusations toute l'armée et le gouvernement ukrainien. Cet argument a même servi de justification à l'invasion.

Face à ce narratif russe qui ne s'embarrasse pas des faits, l'Ukraine diffuse aussi des intox. Le 15 novembre, deux missiles explosent à la frontière polonaise, tuant deux personnes. Volodymyr Zelensky pointe immédiatement la responsabilité russe. Rien ne l'atteste pourtant, et les premiers rapports semblent même privilégier la piste accidentelle, provoquée par un missile anti-aérien ukrainien. Mais Volodymyr Zelensky n'en démord pas. "Je n'ai aucun doute quant au fait que ce n'était pas notre missile", lâche-t-il le 16 novembre 2022.

La parole politique, "un instrument de la guerre"

Signe de l'importance de la communication comme instrument de la guerre, Kiev ne communique jamais sur les morts parmi ses militaires. La propagande ukrainienne existe bien, mais reste très loin du caractère systémique de celle du Kremlin. Cette machine de désinformation russe a atteint des sommets en avril 2022, lorsque le monde découvre les massacres de Boutcha.

A la libération de la ville par les Ukrainiens, des cadavres de civils jonchent le sol. Certains ont les mains liées et portent des marques de torture. Les premiers témoignages d'habitants dénoncent des meurtres commis par l'armée russe. Mais comme toujours, le Kremlin dément. "Une énième fausse attaque a été mise en scène dans la ville de Boutcha, dans l'oblast de Kiev", ose le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Les pro-russes vont même accuser l'armée ukrainienne d'avoir tué les habitants.

Mais l'analyse d'images satellite, prises à Boutcha plusieurs jours plus tôt, révèle que les cadavres gisaient déjà sur place pendant l'occupation russe. Face aux preuves, Sergueï Lavrov et la Russie continuent de parler de "provocation". "Dans les régimes autoritaires, notamment en Russie, la parole politique est mise en scène, et fait l'objet de négociations avant de s'énoncer. La parole politique, c'est un instrument de la guerre, ce n'est ni l'histoire, ni un moyen de décrire le réel, explique Elsa Vidal. Et là-dessus, nous occupons en Europe et en Russie des positions irréconciliables." 

Les trolls, relais de la propagande du Kremlin

Les éléments de langage de Moscou sont souvent relayés sur internet par des réseaux de désinformation pro-russes. Parmi leurs chefs d'orchestre se trouve Evgueni Prigojine, fondateur de la milice Wagner. Il a reconnu avoir créé et financé l'Internet Research Agency (IRA), surnommée "l'usine à trolls". Ces "trolls", qui sont parfois des faux comptes automatisés et parfois de vraies personnes rémunérées, diffusent massivement la propagande russe sur les réseaux sociaux. 

"C'est la technique de la goutte de poison. Une fois que vous avez introduit une goutte de doute dans un discours auprès de quelqu'un qui est indéterminé ou ambivalent, vous avez réussi à bloquer, neutraliser l'argument de la partie adverse", expose Elsa Vidal. Le mensonge a toujours été une arme de guerre. Mais avec le conflit en Ukraine, la Russie a franchi une nouvelle étape. A coups d'intox systématiques, souvent grossières, mais appuyées par des outils de communication modernes, le Kremlin fabrique un récit idéologique où les faits et les preuves n'ont plus aucune importance.

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