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Vidéo Ukraine : "Ça va être une très grande bataille pour la conquête totale du Donbass", estime Pierre Servent, spécialiste des questions de défense

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Article rédigé par franceinfo
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"Les Russes ont tiré les enseignements des 40 premiers jours" de leur invasion en Ukraine, selon Pierre Servent. Ils vont désormais tenter la "technique du salami".

Pour Pierre Servent, spécialiste des questions de défense, le déplacement du conflit ukrainien sur le front de l'est va se traduire par "une très grande bataille pour la conquête totale du Donbass". Les autorités régionales multiplient les appels à sa population civile à fuir les combats qui s'annoncent. La vice-Première ministre Iryna Verechtchouk a également lancé depuis Kiev mercredi un appel aux habitants de l'est du pays à évacuer la région "immédiatement", en raison des craintes d'une offensive majeure de l'armée russe sur le Donbass (est) dont la Russie a désormais fait sa cible numéro un.

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franceinfo : Cette guerre, qui se déplace vers l'est de l'Ukraine, est-elle en train de changer de visage ?

Elle est en train de basculer dans une nouvelle phase. Les Russes ont tiré les enseignements des 40 premiers jours et c'est plutôt un échec quand on rapporte le gain territorial au niveau de pertes du corps expéditionnaire russe. Donc au lieu d'essayer d'avaler l'Ukraine d'un seul coup, ils font la technique du salami.

"Ils essayent de découper le pays en tranches pour l'avaler tranche par tranche."

Pierre Servent, spécialiste des questions de défense

à franceinfo

Et la grosse tranche c'est le Donbass, parce qu'il reste encore un tiers de ce territoire aux mains des forces ukrainiennes et il y a donc une concentration de force avec des axes de pénétration qui sont en train de s'organiser. Ça va donc être une très grande bataille pour la conquête totale du Donbass.

Une guerre concentrée sur un territoire plus limité, avec plus de soldats au mètre carré, sera-t-elle encore plus sale et violente ?

Je ne saurais pas le dire, elle est déjà très sale et violente depuis le début parce qu'on a tous été choqués par le spectacle des exactions à Boutcha. Mais je pense qu'il doit y avoir d'autres scènes du même type dans d'autres villes que les Russes ont occupées. Ça nous choque parce qu'on voit ces massacres, mais on ne voit pas les civils écrasés dans le théâtre de Marioupol, on ne voit pas ces familles entières noyées dans des caves car le bâtiment leur est tombé dessus et que les canalisations d'eau ont éclaté.

"Cette guerre est dégueulasse depuis le début."

Pierre Servent

à franceinfo

Ces massacres de civils sont-ils commis sur ordre de Moscou ou bien chaque bataillon russe fait ce qu'il veut ?

Il n'y même pas d'ordre de massacre. C'est sui generis, c'est totalement intégré dans le mode de fonctionnement de l'armée russe, tel qu'on a pu le voir en Tchétchénie ou en Syrie. C'est aussi un historique dans l'Armée rouge durant la Seconde Guerre mondiale. Rappelez-vous les exécutions massives de prisonniers et d'officiers polonais en 1940 : plus de 22 000 exécutés d'une balle dans la nuque par le NKVD. C'est également les viols massifs en Allemagne en 1945, on parle de 2 à 3 millions de femmes violées. Il y a un rapport à la violence qui est très fort chez les Russes, et qui est déjà une violence que vit le soldat russe lui-même dans le rapport des officiers aux soldats. Il n'y a pratiquement pas de sous-officier dans le corps militaire russe, contrairement aux armées modernes qui ont un corps de sous-officiers très important. Il n'y a donc pas de tampon ou de souplesse entre l'officier qui peut se comporter comme une sorte de féodal face à son moujik. Donc il y a déjà une violence dans l'armée russe, une violence qui ne demande qu'à déborder et à s'exprimer sur des théâtres de guerre.

Le Times annonce que Londres pourrait envoyer des blindés en Ukraine : quelle serait la réaction de Moscou ? Faut-il armer plus lourdement l'Ukraine comme le réclame Kiev ?

J'aurais tendance à dire qu'il ne faut pas tenir compte de la réaction de Moscou, on ne va pas se mettre dans une position de peur par rapport au Kremlin. Il y a une bascule : l'Otan n'entrera pas en guerre frontalement avec la Russie en rentrant en Ukraine.

"En revanche, il faut arrêter aujourd'hui ces distingos entre arme offensive et défensive : une arme, c'est une arme, elle est faite pour tuer et là il faut passer à des moyens plus lourds." 

Pierre Servent

à franceinfo

Il y a des prises de conscience, ça bouge du côté de cet apport d'armes, mais avec une difficulté : le théâtre du Donbass est à 1 000 kilomètres de la frontière polonaise, donc très loin des sources d'approvisionnement. Donc pour apporter du matériel lourd dans la zone où vont se concentrer les combats de ces prochaines semaines, ça va être difficile. À l'inverse, les Russes ont raccourci leur ligne d'approvisionnement, donc ça leur donne un avantage.

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