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Vrai ou faux Guerre en Ukraine : l'invasion russe peut-elle être un motif de report de l'élection présidentielle en France ?

Les dates du scrutin étant fixées par la Constitution, un report de l'élection nécessiterait une révision du texte. Une hypothèse qui semble hautement improbable à ce jour.

Article rédigé par Pauline Lecouvé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le siège du Conseil constitutionnel, à Paris, le 24 septembre 2021. (HUGO PASSARELLO LUNA / HANS LUCAS / AFP)

A moins de deux mois de l'élection présidentielle en France, l'invasion russe en Ukraine éclipse les débats de la campagne. La guerre menée par les troupes de Vladimir Poutine bouscule même les calendriers des candidats. Emmanuel Macron, déclaré tardivement jeudi 3 mars, a annulé son meeting prévu samedi à Marseille. Alors, la guerre en Ukraine pourrait-elle également chambouler la date du scrutin présidentiel ? La question a notamment été posée sur le plateau de la chaîne Cnews, qui recevait mardi le candidat de Debout La France, Nicolas Dupont-Aignan.

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Pour l'heure, il ne s'agit pas de s'interroger sur les conséquences d'une éventuelle entrée en guerre de la France, mais bien d'envisager les possibles effets de l'offensive russe sur le calendrier électoral français. Ce dernier est fixé de façon stricte par la Constitution. L'article 6 prévoit la durée du mandat du chef de l'Etat, "élu pour cinq ans au suffrage universel direct". L'article 7 prévoit, lui, que l'élection doit avoir lieu "vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l'expiration des pouvoirs du président en exercice."

Un report d'une semaine est techniquement possible

À court terme, une option existe. "La fin du mandat d'Emmanuel Macron doit intervenir le 13 mai. Il n'y avait que deux possibilités [pour organiser les deux tours du scrutin] : les 10 et 24 avril, ou le 17 avril et le 1er mai, explique à franceinfo André Roux, professeur de droit public à l'université Aix-Marseille. Le gouvernement a choisi les premières dates. La seule possibilité serait donc de repousser l'élection présidentielle d'une semaine." Olivier Dord, professeur de droit public à l'université Paris-Nanterre, estime cependant que "dans la situation de la guerre en Ukraine, qui est vraisemblablement appelée à durer, on voit mal quel serait l'utilité d'un tel report".

D'autres élections ont déjà été décalées en France. En 2020, le gouvernement avait choisi de repousser le second tour des municipales de plusieurs semaines, face à l'épidémie de Covid-19. Les départementales et régionales de 2021 avaient, elles, été reportées d'une semaine en raison de la crise sanitaire"Pour les élections locales, le gouvernement dispose de beaucoup plus de souplesse, souligne André Roux. Les dates de ces scrutins et la durée des mandats locaux ne sont pas prévues par la Constitution, mais par des lois organiques et des décrets." 

De fait, les élections locales peuvent être décalées via un décret ou le vote d'une loi par le Parlement. Mais l'adoption d'une loi ne suffirait pas à modifier la date de la présidentielle, et donc de prolonger de facto le mandat du chef de l'Etat en exercice. Il n'est en effet pas possible juridiquement de voter un texte qui contredirait les règles fixées dans la Constitution, à laquelle toutes les lois doivent se conformer.

L'empêchement, seul motif de report prévu par la Constitution

Une exception est bien prévue dans l'article 7 : le Conseil constitutionnel peut décider d'un report si l'"un des candidats décède ou se trouve empêché". Cette notion d'empêchement n'a toutefois pas de définition précise dans le droit. Les constitutionnalistes s'accordent sur le fait qu'il peut s'agir d'un motif physique, comme un coma ou un enlèvement.

L'empêchement pour d'autres raisons est, en revanche, l'objet de débats récurrents. "La question s'était posée en 2017 avec François Fillon, qui aurait pu être considéré comme empêché de développer sa candidature" après les révélations sur les affaires d'emplois fictifs de son épouse, souligne ainsi Olivier Dord.

"C'est, dans tous les cas, le Conseil constitutionnel qui statue sur cet empêchement."

Olivier Dord, professeur de droit public à l'université Paris-Nanterre

à franceinfo

Aucune possibilité de report de la présidentielle n'est prévue pour un autre motif que celui-ci. "Une situation de guerre ou une crise sanitaire n'entre pas dans le cadre des hypothèses prévues par la Constitution", détaille André Roux. Son confrère Olivier Dord abonde : "Le conflit en Ukraine n'empêchera pas le déroulement de l'élection en France. Les seules hypothèses de modification sont inhérentes à l'organisation du scrutin lui-même." Le constitutionnaliste s'étonne d'ailleurs de la récurrence des craintes d'un report chez les Français. "La question s'était déjà posée pour la pandémie de Covid-19, mais ce n'était pas possible."

Les difficultés d'une réforme constitutionnelle

Pour ces experts, seule une réforme constitutionnelle pourrait théoriquement permettre un report du scrutin. "L'organisation de l'élection présidentielle est en grande partie définie dans la Constitution. Pour pouvoir changer les dates de l'élection [au-delà d'une semaine], il faudrait en modifier" les articles 6 et 7, explique André Roux.

Didier Mauss, président de l'Association française de droit constitutionnel, confirme cette analyse. "Sur le plan théorique", ce cas de figure "n'est pas impossible". Il faudrait pour cela que le projet de révision constitutionnelle soit adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat, avec une majorité de trois cinquièmes des suffrages exprimés. Ou encore que la réforme soit approuvée par référendum. "Mais on n'a aucune raison de le faire", souligne ce spécialiste du droit constitutionnel.

"Il n'y a aujourd'hui aucun obstacle à la bonne tenue de l'élection présidentielle. De plus, cela ne pourrait s'imaginer que s'il y avait un accord de toutes les forces politiques, ce qui n'est pas du tout le cas."

Didier Mauss, constitutionnaliste

à franceinfo

Le gouvernement a d'ailleurs déjà essuyé plusieurs échecs sur des projets de réforme constitutionnelle. Empêtré dans l'affaire Benalla, l'exécutif avait reculé une première fois en 2018, sur un texte prévoyant la réduction du nombre de parlementaires, la limitation du cumul des mandats dans le temps et l'introduction d'une dose de proportionnelle aux législatives. Puis une seconde fois, en juillet 2021, concernant l'inscription de la protection de l'environnement dans la Constitution. Un projet abandonné faute d'accord avec le Sénat.

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