Cet article date de plus de neuf ans.

En Grèce, face à l'afflux de migrants, le désarroi des commerçants de Kos

Alors que la saison touristique bat son plein, les habitants de la petite île grecque voient chaque jour débarquer de nouveaux migrants en provenance de Turquie. 

Article rédigé par Benoît Zagdoun - De notre envoyé spécial à Kos (Grèce)
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Un migrant regarde la mer, assis devant sa tente sur la promenade du front de mer, à Kos (Grèce), le 20 août 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

"Go ! Go ! Go back to your country !" Le cafetier est excédé. Une migrante vient encore de tenter d'asseoir ses enfants à l'ombre de sa terrasse. Il la chasse sans ménagement. Kosta, son collègue, regarde la scène, blasé. Leur café est juste à côté du commissariat de police de Kos, là où les migrants viennent chaque jour par centaines attendre que les policiers leur délivrent le laisser-passer qui les autorisera à rester un mois sur le territoire grec. Un permis de transit qui rend leur présence en Grèce légale et leur permet de poursuivre leur voyage vers les pays du nord de l'Europe. Avec ce voisinage, les tables du café sont vides. Mis à part deux vieux habitués et un couple de touristes, Kosta n'a pas de clients, et pourtant c'est l'heure du déjeuner.

"Ils sont en train de transformer notre île en dépotoir"

"Au début, je les ai aidés. C'est normal de venir en aide à des réfugiés. Je leur ai permis de prendre de l'eau et d'aller aux toilettes. Mais ils ont cassé la chasse-d'eau et le robinet, deux fois. Alors, j'ai arrêté", raconte le serveur, un brin gêné. "Tant que ce n'était que les Syriens, ça allait. Mais avec l'arrivée de tous ces immigrants pakistanais, c'est devenu catastrophique. On a déjà une crise économique et politique, vous savez." Il s'excuse presque.

"Ils sont en train de transformer notre île en dépotoir, ça sent de plus en plus mauvais", se plaint le cafetier, avant d'ajouter, modérant ses propos : "On n'est pas racistes. On ne les hait pas. Ce sont des êtres humains comme vous et moi, ils ont le droit de vouloir une vie meilleure." Comme beaucoup des habitants de Kos, Kosta avance le même argument : "Notre île est trop petite pour les accueillir et elle n'a pas vocation à le faire. Il n'y a rien pour les héberger, on n'a pas la place. Et les hôtels sont déjà pleins de touristes. Non, il n'y a rien pour eux ici."

La terrasse vide du café où travaille Kosta, à côté du poste de police de Kos (Grèce) où des centaines de migrants attendent chaque jour de se faire enregistrer, le 20 août 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Même constat au restaurant voisin. "Le patron ne veut pas parler", explique la serveuse. "Les gens ne viennent pas. La saison est fichue." Elle avance une autre explication : "C'est la faute de la télévision qui exagère le problème et fait peur aux gens. D'abord elle leur raconte que les banques sont fermées et qu'ils ne pourront pas retirer d'argent en Grèce et maintenant elle leur montre des images des migrants qui envahissent le pays."

"Vous savez, certains ont beaucoup d'argent"

Dans sa boutique de souvenirs et d'articles de plage, Sakis fait grise mine. "Les migrants se sont installés devant la plage en face de mon magasin. Ils font fuir les touristes. Et comme les vacanciers ne vont plus se baigner, ils ne viennent plus chez moi. Et moi, je ne travaille que grâce à la plage", se lamente le commerçant. Sakis estime avoir perdu au moins un tiers de son chiffre d'affaires. "La saison touristique, je l'attends toute l'année. Et elle ne dure que deux ou trois mois." Deux jeunes vacancières errent dans ses rayons. Elles repartent sans rien acheter. "Je n'ai rien contre les migrants", assure lui aussi Sakis. "Mais, vous savez, certains ont beaucoup d'argent dans leur poche et pourtant ils restent toujours dehors sous leur tente."

Sakis, propriétaire d'une boutique d'articles de plage et de souvenirs, le 20 août 2015 à Kos (Grèce). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Une pharmacienne généreuse

Angela, sa voisine, tient un kebab qui, lui, ne désemplit pas. En ce début d'après-midi, il n'y a déjà presque plus de viande sur sa broche. Ses clients sont des migrants pakistanais, précise la jeune femme. Ici, la nourriture est copieuse et bon marché. Et en plus il y a des toilettes.

A l'entrée du village de tentes qui s'étire le long de la promenade arborée du front de mer se trouve une pharmacie. Derrière le comptoir, Barbara, la jeune pharmacienne qui travaille avec sa mère, fait son possible pour aider les migrants qui franchissent sa porte. "Je leur donne des pansements, des crèmes pour les bébés, du sirop pour la gorge parce que certains ont pris froid pendant la nuit, des médicaments contre les maux de tête… Ce genre de choses", liste-t-elle.

Barbara, pharmacienne de Kos (Grèce) qui vient en aide aux migrants, le 20 août 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

"Ça fait drôle de le dire, mais je travaille mieux grâce à eux"

En sortant du centre-ville et en se dirigeant vers le Captain Elias, cet hôtel désaffecté insalubre transformé en un centre d'hébergement qui abrite environ 500 migrants, on tombe sur la supérette de Stratos. Le jeune homme a le sourire. "Ça fait drôle de le dire, mais je travaille mieux grâce à eux", reconnaît l'épicier avec son sourire de travers et son cheveu sur la langue. Il estime qu'il fait environ 30% de chiffre d'affaires en plus, grâce à ses nouveaux voisins.

Deux migrants sortent de la supérette de Stratos, le 20 août 2015, en périphérie de Kos (Grèce), près de l'hôtel abandonné où ils vivent. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

D'ordinaire, il vend des cartes postales, des boissons, des sucreries et des fruits aux résidents des hôtels à proximité. Mais en bon commerçant, il s'est adapté à sa nouvelle clientèle de migrants. Il a des pains de toutes sortes. Car tous les migrants n'ont pas les mêmes goûts. "Les Pakistanais raffolent des pickles, les Afghans m'achètent tout ce qui est épicé, les Syriens, c'était surtout du poulet", détaille-t-il. Stratos vend désormais des oeufs, des pommes de terre, des tomates, de la farine en plus des cigarettes et des jeux de cartes coquins.

Stratos, propriétaire d'une supérette, près de l'hôtel abandonné Captain Elias où vivent quelque 500 migrants, derrière sa caisse, le 20 août 2015 en périphérie de Kos (Grèce). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Pas de charité cependant. Le commerçant n'a pas revu ses tarifs à la baisse. "Je souffre de la concurrence de trois gros supermarchés autour. A pied, ça fait loin pour les migrants, mais pour les touristes, c'est à quelques minutes en vélo ou en voiture", argue-t-il.

"Ici, ce n'est que le début du problème"

Comme beaucoup ici, il rejette la faute sur les autorités locales. "Elles se sont préoccupées du problème bien trop tard. Tout ça a commencé il y a presque un an. Puis les migrants sont arrivés par centaines et après par milliers. La municipalité a été débordée. Le maire a appelé le gouvernement à l'aide, trop tard. Et de toute façon, c'est un problème qu'ils ne peuvent pas contrôler", accuse-t-il. "Ici, ce n'est que le début du problème, ça déteint après sur toute l'Europe. Aucun d'entre eux ne veut rester ici. C'est normal. Il n'y a rien pour eux, ici", tranche Stratos.

Mihalis monte la garde devant un hôtel en périphérie de Kos (Grèce), près d'un hôtel désaffecté où vivent des centaines de migrants, le 20 août 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

A l'entrée de l'hôtel qui fait face à la supérette de Stratos, Mihalis monte la garde. Il arbore un uniforme de vigile flambant neuf et sa guérite est, elle aussi, fraîchement installée. Grâce aux migrants, Mihalis arrondit ses fins de mois. "Le matin, je suis maçon et l'après-midi je fais le gardien." "Un jour, des migrants se sont introduits dans l'hôtel, ils sont allés jusqu'au bord de la piscine. La direction a décidé d'engager un service de sécurité pour que ça ne se reproduise pas. Il ne faut pas que les clients aient à se plaindre", justifie le vigile. Mihalis est donc devenu vigile il y a un mois. Et il espère que ça va durer "encore deux ou trois mois". Il est bien le seul.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.