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En Italie, un procureur enquête sur le financement des ONG qui viennent en aide aux migrants en mer Méditerranée

Les associations dénoncent unanimes une "polémique stérile".

Article rédigé par franceinfo
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"L'Aquarius", le bateau de l'ONG SOS Méditerranée, dans le port de Catane (Italie), le 21 mars 2017. (GABRIELE MARICCHIOLO / NURPHOTO / AFP)

Certaines associations profiteraient-elles de la détresse des migrants ? C’est l’accusation (très polémique) lancée par le procureur italien Carmelo Zuccaro. Le plus haut magistrat de Catane s’interroge en effet sur une "concentration anormale de navires" en Méditerranée et soupçonne certaines ONG de nouer des contacts avec des "trafiquants d’êtres humains".

Il affirme ainsi, dans l'édition du 23 avril du quotidien La Stampa (en italien), détenir des preuves et évoque "des appels téléphoniques depuis la Libye à certaines ONG, des lampes qui éclairent la route des bateaux de ces organisations, des bateaux qui coupent soudainement leurs transpondeurs [les appareils qui permettent de les localiser]". En février dernier, il a donc ouvert une enquête sur les activités des ONG en mer pour comprendre comment elles se financent et dans quel but.

Pour étayer ses doutes, le procureur sicilien s’appuie sur un rapport de Frontex. Publié en décembre dernier, ce document de l’agence européenne de contrôle des frontières s’inquiète d’une "possible collusion entre les réseaux de trafiquants de migrants et les navires des ONG qui les récupèrent en mer comme des taxis". L’agence admet que la présence des navires privés favorise les passeurs tout en rappelant que leur absence menace les migrants.

Une mobilisation précieuse mais coûteuse

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 43 463 migrants ont traversé la Méditerranée pour arriver en Europe depuis janvier. 1 089 autres s’y sont noyés. Des chiffres qui n’en finissent plus de crever les plafonds. Les Africains et les Asiatiques désespérés préfèrent prendre le risque de mourir plutôt que de rester dans leur pays en proie à la guerre ou à la misère.

En 2014, l'ONG maltaise Migrant Offshore Aid Station (Moas), rejointe ensuite par d’autres organisations civiles, a entrepris de venir en aide aux migrants en pleine mer. Une dizaine d’organisations civiles soulagent désormais les autorités européennes. D’après les gardes-côtes italiens, les ONG ont secouru 26% des migrants naufragés en Méditerranée en 2016, tandis que les navires militaires n’ont pu en aider que 8%. L’OIM met également en avant le travail de plus petites ONG qui distribuent des gilets de sauvetage, des soins médicaux d’urgence ou qui rassurent les personnes en attendant l’arrivée de plus gros bateaux.

Pour répondre à cette catastrophe humanitaire, les ONG mobilisent des moyens colossaux. Depuis le 20 février dernier, SOS Méditerranée dépense par exemple 11 000 euros par jour pour mettre à flot L'Aquarius, un ancien patrouilleur de pêche allemand de 77 m de long. L’ONG franco-allemande nécessite du matériel médical ou de survie, des tonnes de nourriture et un maximum de bénévoles. Coût total de l’opération : 3,6 millions d’euros en 2016.

Des ONG en colère

Unanimes, les organisations civiles rappellent qu’elles s’attachent uniquement à sauver des vies. Elles dénoncent une instrumentalisation de Frontex et du procureur italien en vue de les discréditer. "C'est une polémique stérile, la vérité est que personne ne veut aider ces personnes. Ils veulent criminaliser la solidarité", s’insurge Regina Catambrone, co-fondatrice du Moas. "Les ONG de secours complices des trafiquants ? C'est comme dire que les médicaments sont complices des maladies", ajoute l'écrivain Erri De Luca, qui vient de passer deux semaines sur un navire de Médecins sans frontières.

Pour les ONG, Carmelo Zuccaro n’a pas de preuves. "Nous avons la sensation qu'il y a quelqu'un qui nous met des bâtons dans les roues, même si on ne sait pas vraiment qui se cache derrière tout cela", enrage Riccardo Gatti, chef de mission de l’ONG Pro-Activa en Méditerranée. Pourquoi s’acharner sur des ONG qui appuient des autorités européennes dépassées ? Riccardo Gatti a sa petite idée : "Les déclarations de Frontex et des autorités politiques veulent discréditer notre action pour que cela se traduise par une baisse de la confiance de nos donateurs."

D’autant que "c’est l’organisation centrale des gardes-côtes, depuis Rome, qui nous confie les missions de sauvetage, ajoute Sophie Beau, directrice générale de SOS Méditerranée, dans Le Monde. On est allé jusqu’à nous reprocher d’être éclairés la nuit, alors que c’est une obligation légale !"

Récupération politique

Dans cette affaire, le gouvernement italien a d'abord clairement pris parti pour les ONG. "Pour nous, l'activité des organisations de bénévolat est précieuse et bienvenue", assure le Premier ministre Paolo Gentiloni. Des encouragements de façade ? Dans le même temps, le ministre des Affaires étrangères Angelino Alfano fissure l’unité du gouvernement : "Je suis à 100% d'accord" avec le procureur "parce qu'il a posé une vraie question".

Les populistes, à l’affût, se sont engouffrés dans la brèche. L’europhobe Matteo Salvini, chef de la Ligue du Nord, ne mâche pas ses mots : "Nous sommes face à une invasion organisée, financée et planifiée, et j'espère que le procureur de Catane pourra aller au fond des choses." Luigi Di Maio, un des responsables du Mouvement 5 étoiles (M5S), renchérit : "Les ONG sont accusées d'un fait très grave. A ceux qui disent que ce n'est pas le moment de les attaquer, je réponds qu'ils font partie de cette bande d'hypocrites qui ont toujours fait semblant de ne pas voir le business de l'immigration." Le Conseil supérieur de la magistrature italien doit désormais déterminer si Carmelo Zuccaro a eu raison d’ouvrir cette enquête ou s’il est allé trop loin.

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