La préfecture de l'Essonne a-t-elle exigé un argumentaire sur "l'amour de la France" aux demandeurs de titre de séjour ?
La préfecture d'Evry reconnait l'existence du texte et assure qu'il s'agissait d'"une initiative individuelle inappropriée" qui n'a fait l'objet d'"aucune validation". Les défenseurs des droits des étrangers confirment que rien dans le droit ne prévoit cette exigence.
C'est une capture d'écran partagée des centaines de fois depuis sa publication sur Twitter, mercredi 17 juin. L'encart vide d'un formulaire est précédé de la consigne : "Merci d'indiquer un argumentaire de 30 lignes sur votre amour de la France, des valeurs républicaines et tout particulièrement de la préfecture de l'Essonne et de ses agents." L'internaute qui le signale précise qu'il s'agit d'une demande formulée aux étrangers sollicitant un titre de séjour auprès de la préfecture d'Evry.
À ceux qui sollicitent un titre de séjour, @prefet91 demande « Merci d'indiquer un argumentaire de 30 lignes sur votre amour de la France, des valeurs républicaines et tout particulièrement de la préfecture de l'Essonne et de ses agents » pic.twitter.com/RD7WgICaXi
— Samy Aboden (@SamyAboden) June 17, 2020
Cet encart a bel et bien existé, à la toute fin du formulaire en ligne de demande de titre de séjour de la préfecture de l'Essonne, accessible sur le site internet demarches-simplifiees.fr, une plateforme lancée par le gouvernement le 1er mars et qui permet d'effectuer des démarches administratives en ligne.
Contactée par franceinfo, la préfecture indique que cette demande est apparue "le 15 juin". Ce jour-là, explique-t-elle, le ministère de l'Intérieur a mis en ligne plusieurs nouveaux outils pour faire ses démarches à distance. La préfecture de l'Essonne ajoute qu'elle a fait de même "au niveau local". Cette initiative a été prise dans la foulée du confinement et de la crise du coronavirus, afin de permettre "aux usagers de limiter leurs déplacements". Tout ceci "a occasionné de nombreuses modifications sur le site de la préfecture" et celles-ci ont été "effectuées en peu de temps et par un seul agent", plaide la préfecture.
Cette demande d'argumentaire sur "l'amour de la France, de ses valeurs républicaines, de la préfecture de l'Essonne et de ses agents" a bien figuré "dans une version en cours de test qui avait vocation à s'assurer que le reste du contenu était validé", argue la préfecture. Cette dernière confirme que la requête ne correspond évidemment à aucune exigence légale ou réglementaire" et assure que l'ajout "relève d'une initiative individuelle inappropriée qui n'avait bien sûr fait l'objet d'aucune validation". Elle assure que "cette mention a été retirée de la procédure dès le 19 juin au matin".
"Ce n'est pas prévu par les textes"
A l'instar de ses consœurs interrogées par franceinfo, Atéka Vasram, avocate spécialiste en droit des étrangers au barreau de Paris, "tombe des nues". Pour la juriste, cet "argumentaire" s'apparentait à "un test de français". "C'est une manière de juger de la capacité des demandeurs à s'exprimer par écrit en français, mais ce n'est pas prévu par les textes, proteste la spécialiste. On ne leur demande pas un niveau écrit mais un niveau oral de base."
"Les services préfectoraux exigent très souvent des documents non prévus par les textes en vigueur afin de retarder ou de refuser les dossiers de demande de titre de séjour", dénonce Alexandre Moreau, responsable des relais d'accès au droit de l'association Droits d'urgence. "Le droit des étrangers s'est considérablement durcit ces dernières décennies", déplore-t-il.
C'est assez symptomatique des exigences fantasques qui émanent des préfectures envers les personnes qui demandent des titres de séjour.
Lisa Faron, responsable des questions entrée, séjour et droits sociaux à La Cimadeà franceinfo
"C'est presque comme s'il fallait faire une lettre de motivation pour être embauché", s'offusque Lise Faron, responsable des questions entrée, séjour et droits sociaux à La Cimade. L'association d'aide aux migrants aux réfugiés et aux demandeurs d'asile "demande au législateur et au gouvernement de garantir un cadre national cohérent et contraignant, harmonieux sur l'ensemble du territoire français, pour les agents qui mettent en œuvre les politiques migratoires."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.