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Marseillaise, invectives : à Forges-les-Bains, le futur centre d'accueil de migrants discuté dans une ambiance exécrable

Le centre doit ouvrir courant octobre dans cette ville de 3 700 habitants, en région parisienne. Une réunion publique s'est tenue, mercredi, dans un climat tendu.

Article rédigé par Louis San - envoyé spécial à Forges-les-Bains
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le centre socioculturel de Forges-les-Bains (Essonne) est bondé, le 7 septembre 2016, pour une réunion d'informations sur le futur centre d'accueil de demandeurs d'asile. (MAXPPP)

"Vous me faites tous peur et vous me faites gerber !" Ambiance tendue, mercredi 7 septembre, au centre socioculturel de Forges-les-Bains (Essonne). Une réunion publique est organisée dans cette ville de 3 700 habitants, qui jouxte le parc naturel régional de la haute vallée de Chevreuse. La commune doit accueillir, dès octobre, un centre de demandeurs d'asile. Mais le bâtiment, propriété de la mairie de Paris, a été partiellement incendié dans la nuit de lundi à mardi. Un événement qui a avancé la réunion, initialement prévue la semaine suivante.

La salle du centre socioculturel déborde. A l'extérieur, la petite cour est presque pleine.

Dans le centre socioculturel de Forges-les-Bains (Essonne) lors d'une réunion d'informations sur le futur centre d'accueil de migrants, le 7 septembre 2016. (MAXPPP)

La salle est chauffée à blanc. Environ 500 personnes attendent les explications des intervenants. Parmi eux, Josiane Chevalier, préfète de l'Essonne, Marie Lespert-Chabrier, maire sans étiquette de la commune, et Aurélie El Hassak-Marzorati, directrice générale adjointe d’Emmaüs Solidarité, qui encadrera le centre.

"Ils auront de gros besoins sexuels"

Quelques heures plus tôt, les rares personnes croisées par franceinfo dans les rues calmes de la petite bourgade comptaient toutes assister à la réunion. Un Forgeois, père de deux garçons de 4 et 1 an, se dit "surtout inquiet pour les enfants". Le centre d'accueil, qui accueillera au départ 91 hommes entre 18 et 45 ans – et 200 à terme –, se trouve à proximité de plusieurs établissements scolaires. Il est notamment à 100 mètres d'une école primaire, située sur le même trottoir.

"On ne sait pas qui c'est. Les gens ici veulent être tranquilles", poursuit le trentenaire, dont la famille est installée dans le bourg depuis trois générations.

"Ce sont des jeunes hommes qui vont venir. Donc ils auront de gros besoins sexuels. En Allemagne, des femmes ont été violées par des migrants", insiste Betty, la soixantaine, qui a démarché dans la journée une petite dizaine de personnes pour les inciter à signer la pétition contre le centre et à participer à la réunion.

Une autre crainte concerne les biens. "Ce sont des gens qui n'ont rien. Donc on a peur des vols. On n'aura plus l'esprit tranquille", poursuit Betty, qui se dit "un peu révoltée". Certains s'inquiètent d'une possible dévaluation immobilière. "On n'en parle pas trop, mais les maisons vont perdre 30% de leur valeur", croit savoir Fred, qui vit ici depuis vingt-huit ans.

Le choix de Forges-les-Bains laisse aussi perplexe les habitants rencontrés dans l'après-midi. "C'est la campagne, ici. On est très excentrés. Il y a peu de transports en commun. Pour aller à Paris, c'est un peu compliqué", expose Marie-Christine. 

Fred habite Forges-les-Bains depuis 28 ans. (LOUIS SAN / FRANCEINFO)

Les habitants déplorent aussi le fait de ne pas avoir été consultés. "Le centre nous est imposé car les bâtiments appartiennent à la mairie de Paris. La mairie de Forges n'a pas le choix", explique Marie-Christine.

"On parle de nos gosses !"

Il est un peu plus de 20h30, la réunion débute. Lorsque la maire évoque l'incendie, condamnant la "gravité de l'acte criminel", une partie de la foule lance des huées. "Oh, c'est bon !" hurle un homme. "On parle de nos gosses !" braille un autre. "Un bon feu de camp !" renchérit un troisième.

A l'extérieur du centre socioculturel de Forges-les-Bains (Essonne) lors d'une réunion d'informations sur le futur centre d'accueil de migrants, le 7 septembre 2016. (MAXPPP)

Malgré le micro, la préfète, Josiane Chevalier, peine à enchaîner deux phrases sans se faire couper. Des moqueries fusent du public de façon incessante. "Je ne suis pas pressée, j'ai tout mon temps pour répondre à vos questions", dit-elle alors que des Forgeois lui demandent d'abréger son intervention. "Elle est pas pressée, elle est fonctionnaire, quoi", persifle quelqu'un. "Ceux qui ne veulent pas m'écouter peuvent sortir", s'énerve-t-elle un peu plus tard. "L'incendie est un fait consternant. La justice fera son œuvre", assène-t-elle.

"Non monsieur, ce ne sont pas tous des violeurs"

Aurélie El Hassak-Marzorati est la première intervenante qui parvient à se faire entendre, même si chacune de ses phrases est perturbée par des réflexions. "Je vous parle du projet..." commence-t-elle. "On n'en veut pas", hurlent des gens à l'extérieur.

La responsable associative réussit tant bien que mal à détailler le dispositif, soulignant l'expérience d'Emmaüs Solidarité et de son personnel. "Excusez-moi, c'est insupportable, je ne peux pas parler comme ça", lance-t-elle à plusieurs reprises.

Lorsqu'elle rappelle que les migrants qui seront hébergés "ont fui la guerre, ont souffert, ont vécu l'horreur", des "Oooooh" moqueurs s'élèvent de l'assistance. Elle insiste :

Ce sont des hommes, comme vous et moi. La seule différence entre vous et eux, c'est qu'ils vivent l'exil.

Aurélie El Hassak-Marzorati, directrice générale adjointe d'Emmaüs Solidarité

lors d'une réunion publique à Forges-les-Bains

"On s'en fout !" crient plusieurs personnes. "Non monsieur, ce ne sont pas tous des violeurs !" réplique la jeune femme à un habitant. "C'est scandaleux de stigmatiser ces hommes qui fuient la violence, la guerre, et de dire qu'ils sont des terroristes ou des violeurs", renchérit la préfète.

Il n'y a pas plus de violence ou d'agressions aux abords des centres qui ont déjà ouvert dans le département, souligne d'ailleurs une responsable de la gendarmerie de l'Essonne.

"Je me fais huer parce que je n'ai pas peur"

Rien à faire, l'argument ne passe pas. Sur un ton virulent, Audrey Guibert, conseillère régionale FN, réclame un référendum local. Une prise de parole largement acclamée. Mais, au milieu des farouches opposants, des points de vue plus nuancés se font entendre. "On peut ne pas passer en force, discuter du projet ensemble, peut-être le retarder", propose une femme.

Des voix discordantes parviennent à s'exprimer : "Moi, j'habite à 200 mètres du centre. J'ai des enfants, le plus grand a 11 ans, et je n'ai pas peur, dit une habitante au micro. (…) Je me fais huer parce que je n'ai pas peur, et vous non plus, vous ne me faites pas peur", conclut-elle. Une poignée de personnes applaudissent.

"La haine est là"

Vient ensuite une habitante de la ville voisine de Bonnelles qui raconte l'expérience heureuse de sa commune qui accueille 80 Irakiens et Syriens depuis l'automne 2015. Elle explique que les habitants, à l'origine, étaient plutôt réticents. Mais que le courant est finalement passé. Un récit qui ne rencontre pas un franc succès.

Il est 22h30 lorsque la réunion se termine. Une Marseillaise est entonnée. "C'est déplorable de voir le climat dans lequel cela se passe", commente un couple qui vit à Forges-les-Bains depuis trente-cinq ans. Aurélie El Hassak-Marzorati, habituée de ce genre de réunions, est choquée : "Je n'ai jamais vécu cela jusqu'alors. (...) La haine est là, mais je continuerai à me battre pour que nous vivions tous ensemble."

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