Migrants : pourquoi la France commence sérieusement à agacer l'Italie
Alors que François Hollande est attendu à Milan (Italie), dimanche 21 juin, pour rencontrer le président du Conseil, Matteo Renzi, les deux pays sont divisés sur la gestion des migrants méditerranéens. Côté italien, on perd patience.
"Aujourd'hui, à Vintimille, il arrive davantage de migrants de France que du reste de l'Italie", écrit La Stampa (en italien, abonnés), vendredi 19 juin. Environ 200 personnes auraient été refoulées en 36 heures à la frontière par la France, soit deux fois plus que de passagers arrivés en train dans la cité italienne. Une situation paradoxale, qui illustre le conflit en cours entre les deux pays européens, tous deux membres de l'espace Schengen. François Hollande est donc attendu de pied ferme, à l'occasion de sa visite à l'Exposition universelle de Milan, dimanche. Francetv info vous détaille pourquoi.
Parce que Rome soupçonne Paris de trahir Schengen
Le renforcement des contrôles à la frontière franco-italienne met les nerfs du gouvernement italien à l'épreuve. Au cours d'un déjeuner privé, mercredi, le ministre de la Justice, Andrea Orlando, a dénoncé l'attitude française en des termes assez virulents, selon les informations du quotidien Il Tempo (en italien).
Paris prend les terroristes mais pas les migrants.
"Ces pauvres gens fuient des pays en guerre et ne peuvent pas être considérés comme des clandestins, poursuit le ministre. La France doit comprendre qu'il y a des règles sur les réfugiés politiques, et elle ne peut pas décider de les ignorer."
Paris a-t-il violé la convention Schengen ? L'Italie accuse en effet la France d'avoir rétabli le contrôle aux frontières, alors que le Code des frontières (PDF) impose la libre circulation des personnes. Interrogée par La Repubblica (en italien), la députée Laura Ravetto (Forza Italia) rappelle que le traité ne peut être suspendu qu'en cas d'urgence.
Pour reprendre les contrôles, les Français auraient dû aviser la Commission européenne, l'Etat voisin, et fournir des explications exhaustives. Ils n'ont rien fait de tout cela.
La préfecture des Alpes-Maritimes, pour sa part, estime que le trafic a simplement été interrompu une heure ou deux entre Menton et Vintimille, le 13 juin. La France précise que le traité n'a jamais été suspendu, puisque le trafic autoroutier et ferroviaire n'est pas perturbé, tout en ajoutant que le renvoi d'étrangers en situation irrégulière obéit aux accords franco-italiens de Chambéry, conclus en 1997.
Parce que de nombreux migrants sont renvoyés
Depuis le début de l'année, 8 000 migrants sont passés en France depuis l'Italie, selon les chiffres de Bernard Cazeneuve, dont 6 000 ont été renvoyés. Et du coup, les policiers italiens de Vintimille commencent à gronder. "La France nous renvoie même les mineurs", accuse l'un d'eux, cité par La Repubblica, ce qui est interdit. Mais les accusations vont plus loin. Selon la police italienne, la France enverrait même en Italie "des migrants qui n'y sont jamais passés".
Sur cette vidéo (en italien) tournée à la frontière, des gendarmes français raccompagnent une soixantaine de migrants. Des agents italiens se plaignent : "Ils les ramènent tous en Italie ! Il y en a même qui viennent de Paris."
En théorie, en effet, les policiers français doivent prouver que les migrants sont arrivés d'Italie pour les renvoyer. Le plus souvent, un billet de train fait l'affaire. "Les Italiens ne jouent pas toujours le jeu", déplore d'ailleurs un policier de Menton (Alpes-Maritimes), cité par l'AFP. Lui les accuse de mauvaise foi. "Si les migrants ont voyagé sans billet, les Italiens ne veulent pas toujours les reprendre." Voilà pour la coopération transfrontalière.
Parce qu'elle n'aime pas les leçons de Cazeneuve
Alors que la situation est déjà tendue à la frontière, les déclarations de Bernard Cazeneuve ont fait l'effet d'un camouflet, lundi, sur BFMTV. "[Les migrants] doivent être pris en charge par l'Italie, c'est le droit européen. Il n'y a pas de blocage de la frontière (...), il y a simplement le respect, à la frontière franco-italienne, des règles de Schengen et de Dublin", qui contraignent les migrants à faire leur demande d'asile dans le premier pays d'entrée, lors de l'arrivée dans l'Union européenne.
Reprise en boucle dans les médias italiens, cette intervention a exaspéré une partie des dirigeants transalpins. Son homologue italien, Angelino Alfano a décrit Vintimille comme "un coup de poing dans le visage de l'Europe, qui prouve que les migrants ne viennent pas en Italie pour s'installer, mais pour continuer leur voyage". Cité par Il Giornale (en italien), le président du Sénat, Pietro Grasso, résume la situation avec une pointe de dépit.
Le rêve d'une Union européenne solidaire, né dans les années 20, risque de mourir sur les rochers de Vintimille.
Parce que l'Italie trouve la France égoïste
Matteo Renzi dénonce "l'attitude musclée de certains ministres de pays amis, qui va dans la mauvaise direction. [Notre pays] ne peut plus accepter que la France ait des navires en Méditerranée, mais qu'elle laisse les migrants en Italie. Aucun égoïsme ne doit fermer les yeux" des Etats européens. Le mot est lâché. Le Parti démocrate (PD) fait campagne sur ce thème : "Les Etats égoïstes ne font pas l'Europe."
Une autre volée de critiques concerne l'attitude supposée de la France envers les étrangers. "Quand la France parle comme madame Le Pen", titre notamment La Stampa (en italien), estimant que Paris "a été toujours été dur avec les sans-papiers". Dans le même ordre d'idée, l'eurodéputé PD Nicola Danti juge que "la position de la France démontre que la victoire de Le Pen – avant d'être dans les urnes – est dans la tête et dans les cœurs des socialistes français".
La posizione della Francia dimostra che Le Pen ha vinto prima che nelle urne nella testa e nei cuori dei socialisti francesi #restiamoumani
— Nicola Danti (@DantiNicola) 15 Juin 2015
Mais désormais – et c'est une première –, l'agacement dépasse le cadre strictement politique. L'Association des consommateurs italiens invite les Italiens à bouder les produits français et allemands (en italien), samedi 20 juin, à l'occasion de la Journée mondiale des réfugiés. "La position adoptée par la France et l'Allemagne est inacceptable et contraire aux valeurs fondamentales de l'Union européenne", explique le communiqué. Haro, donc, sur le fromage et les voitures, avec un mot-dièse déjà prévu pour l'occasion : #tienitelitè. Littéralement : Vos produits ? "Gardez-les vous !"
Il 20 giugno giornata mondiale del rifugiato boicottiamo i prodotti francesi e tedeschi #tienitelitè @furiotruzzi pic.twitter.com/djwktKGDu7
— Assoutenti (@Assoutenti) 19 Juin 2015
Parce que le chaos en Libye, "c'est la faute de la France"
Ces derniers jours, certains responsables ont enfin accusé la France d'être à l'origine, en partie, de ces flux méditerranéens depuis les côtes libyennes, à cause de son intervention militaire de 2011 pour chasser le dictateur Mouammar Kadhafi. "La communauté internationale a bombardé la Libye, a notamment lancé le ministre de l'Intérieur, Angelino Alfano, sur la chaîne Sky Tg24 (en italien). Alors, elle peut monter des tentes là-bas, mais elle ne peut pas se décharger de ce poids sur nous. L'addition de l'instabilité libyenne est en train d'arriver jusqu'à la France." Le message adressé à Paris est on ne peut plus clair : Basta così.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.