Crise migratoire : quatre choses à savoir sur les accords du Touquet, au cœur des tensions entre le Royaume-Uni et la France
Conclus en 2003, ces accords visent à contrer l'immigration clandestine en outre-Manche en renforçant les contrôles au départ de la France. Mais le Brexit a complexifié la situation.
Les accords du Touquet vivent-ils leurs dernières années ? Quatre jours après le pire drame migratoire survenu dans la Manche, une réunion européenne s'est tenue, dimanche 28 novembre à Calais, pour renforcer la lutte "contre les réseaux de passeurs". Sans les Britanniques, exclus par la France en riposte à une lettre publiée jeudi par le Premier ministre, Boris Johnson.
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Les ministres allemand, néerlandais, belge et français en charge de l'immigration, mais aussi la commissaire européenne aux Affaires intérieures et les agences Europol et Frontex, ont également discuté du "cadre de travail avec la Grande-Bretagne", a précisé Gérald Darmanin à l'issue de la réunion. Un cadre actuellement régi par ces accords du Touquet, conclus en 2003. Régulièrement critiqué, ce traité qui régit les flux migratoires entre la France et le Royaume-Uni est au cœur des tensions entre Paris et Londres. Franceinfo vous explique pourquoi.
Des accords conclus en 2003 pour tourner la page du centre de Sangatte
Signé le 4 février 2003 par Paris et Londres, lors du 25e sommet franco-britannique, le traité du Touquet vise à réguler l'immigration, en particulier clandestine, dans les deux pays. Il complète le protocole de Sangatte, conclu en mai 2000. Le principe général de ces textes est simple : le contrôle des personnes en partance pour le Royaume-Uni doit être effectué au départ des trains et des bateaux depuis la France, et vice-versa. C'est par exemple à ce titre que la police britannique effectue des contrôles à la gare du Nord de Paris, et la France à la gare de Saint-Pancras, à Londres.
Les accords du Touquet, entrés en vigueur le 1er février 2004, stipulent que des contrôles communs doivent également avoir lieu dans les ports maritimes des deux pays, devenus des points de passage pour les migrants clandestins. Il s'agit à l'époque de tourner la page du centre d'accueil de Sangatte, fermé quelques mois auparavant à la demande du Royaume-Uni, qui jugeait que ce centre constituait un "réservoir d'immigrants clandestins toléré par la France", rappelle Le Figaro.
Le texte introduit notamment des bureaux de contrôle d'immigration communs, dits "juxtaposés", dans les ports de la Manche et de la mer du Nord : Calais, Boulogne-sur-mer et Dunkerque côté français, Douvres côté britannique.
Un traité plusieurs fois complété pour répondre au défi migratoire
Si cette réciprocité fonctionne sans difficulté pour l'immigration légale, il en va autrement concernant les traversées clandestines. A la faveur des crises migratoires des années 2010, de nombreux candidats à l'exil au Royaume-Uni se sont pressés sur les côtes françaises. Cet accord bilatéral a alors été accusé d'alimenter la crise dans la région de Calais, en y bloquant des candidats à l'immigration souhaitant rejoindre l'autre côté de la Manche.
Le traité du Touquet a ainsi été complété par d'autres accords bilatéraux en 2009, 2010, 2014 et 2018, renforçant à chaque fois le contrôle et la sécurisation par la France de la frontière entre les deux pays. En contrepartie de cette surveillance bien plus sensible côté français que côté britannique, Londres s'acquitte d'une compensation financière dont les montants sont régulièrement renégociés.
Durant sa campagne de 2017, Emmanuel Macron avait lui-même déclaré qu'il souhaitait "remettre les accords du Touquet sur la table, pouvoir en renégocier les modalités, en particulier pour les mineurs". L'accord de 2018 (traité de Sandhurst), le premier signé après le vote sur le Brexit, prévoit ainsi d'"améliorer la gestion technique et opérationnelle de la frontière commune". Un volet spécifique concerne les mineurs isolés, pour lesquels Londres avait accepté d'accélérer le traitement des demandes d'asile.
La situation s'est encore complexifiée depuis 2018, avec la hausse des traversées de la Manche par les migrants depuis toute la côte d'Opale, pour contourner le verrouillage renforcé du port français de Calais et du tunnel sous la Manche. Mercredi, 27 migrants qui tentaient de gagner les côtes anglaises sont morts dans le naufrage de leur embarcation, ce qui a encore attisé les tensions entre Paris et Londres.
Des accords sous le feu des critiques...
En France, à droite comme à gauche, des voix s'élèvent pour demander la révision du traité du Touquet. Invitée de franceinfo samedi, la secrétaire nationale adjointe d'EELV, Sandra Regol, a pointé l'absence de "volonté politique de renégocier les accords du Touquet", dénonçant "une espèce de troc, où l'on prend un peu d'argent, mais en échange on va garder la frontière", qui "n'est pas à la hauteur de la République française et des droits humains".
Candidat à l'investiture Les Républicains et président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand appelle régulièrement à "redéfinir les accords du Touquet", quitte à aller au "bras de fer" avec Londres en laissant passer les candidats à la traversée. "Les migrants prendront le ferry, ça va leur coûter 15 euros pour traverser", plutôt que de se faire "racketter par des criminels qui leur demandent des centaines ou des milliers de dollars. (...) Que M. [Boris] Johnson récupère sa frontière !", s'est-il exclamé dimanche lors du "Grand Rendez-Vous" Europe 1-CNews-Les Echos.
Allons-nous accepter d’autres drames dans la Manche ? Il est temps que cela cesse ! Nous devons rendre aux britanniques leur frontière. Si les Français me font confiance, je dénoncerai les accords du Touquet. #LeGrandRDV pic.twitter.com/7wYcJ079Nw
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) November 28, 2021
Le Brexit a également donné l'occasion à l'Union européenne de renvoyer à Londres la responsabilité de la gestion des traversées clandestines. "Si je me souviens bien, le principal slogan de la campagne du référendum [sur le Brexit] était 'Nous reprenons le contrôle'. Depuis que le Royaume-Uni a repris le contrôle, c'est aux Britanniques de trouver les mesures nécessaires pour rendre opérationnel le contrôle qu'ils ont repris", a grincé samedi le vice-président de la Commission européenne, Margaritis Schinas.
... mais que le gouvernement n'envisage pas de dénoncer
La France pourrait-elle rompre son engagement et dénoncer les accords du Touquet ? La possibilité légale existe. "Le présent traité est conclu pour une durée illimitée et chaque partie peut y mettre un terme à tout moment en en informant l'autre par écrit par la voie diplomatique, laquelle prendra effet deux ans après la date de ladite notification", peut-on ainsi lire dans le 25e et dernier article du traité du Touquet.
Ce n'est pas la voie pour l'instant retenue par le gouvernement, qui redoute la création d'"un appel d'air", selon le ministère de l'Intérieur cité par Le Monde jeudi, si Paris dénonce le traité et annonce sa volonté de rendre aux Britanniques la gestion des arrivées clandestines par la mer. L'entourage de Gérald Darmanin plaide pour un maintien de la gestion bilatérale de la frontière, tout en y ajoutant un nouveau traité à dimension européenne. Selon cette même source au quotidien du soir, ce projet créerait "des voies légales pour des demandeurs d'asile comme des mineurs isolés qui ont de la famille en Angleterre ou des personnes qui ont déjà étudié ou travaillé dans le pays par le passé. L'UE pourrait, en contrepartie, accepter des réadmissions ponctuelles."
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