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"On ne pourra plus dire qu'on ne savait pas" : 140 millions de personnes pourraient migrer d'ici 2050 à cause du changement climatique

François Gemenne, enseignant à Science Po, a expliqué, lundi sur franceinfo, que le rapport de la Banque mondiale, auquel il a participé, met en évidence que les migrations devront être désormais traitées comme un phénomène structurel.

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Des Afghans sous des tentes, sur le canal Saint-Martin, à Paris, le 7 février 2018. (Photo d'illustration) (MAXPPP)

Plus de 140 millions de personnes pourraient migrer d'ici 2050 pour fuir les effets du changement climatique, selon un rapport, publié lundi 19 mars, par la Banque mondiale. Un premier rapport auquel François Gemenne a participé. Invité de franceinfo mardi, et auteur d'un Atlas des migrations environnementales, l'enseignant à Science Po explique qu'il faudra à l'avenir, traiter les migrations non pas comme des crises épisodiques, mais comme un phénomène structurel inévitable qu'il faut anticiper.

franceinfo : Les vagues migratoires vont-elles exploser avec le réchauffement climatique ?

François Gemenne Il est certain qu'on est face à un phénomène qui est train de devenir structurel, alors que nous voyons encore l'immigration comme quelque chose de conjoncturel, comme une sorte de crise passagère à traiter. Ce que dit ce rapport, c'est que nous sommes face à un phénomène structurel contre lequel nous devons prendre des mesures qui, elles aussi, sont structurelles.

Que vont fuir ces migrants ?

Ils vont fuir plusieurs types d'impacts du changement climatique. D'abord, ils vont fuir la dégradation du sol. En Afrique, l'agriculture de subsistance est la principale source de revenus d'environ une moitié de la population, ce qui veut dire que l'économie et l'environnement, c'est la même chose ! Si les sols se dégradent, ils ne peuvent plus vivre de l'agriculture et donc cela veut dire des migrants qu'on envoie vers les villes pour chercher du travail. Ils vont également souffrir des inondations, qui vont toucher notamment l'Asie du Sud et l'Asie du Sud-est, dans des pays comme le Bangladesh par exemple, dont la moitié du territoire est située sous le niveau de la mer. Ils vont également fuir des catastrophes naturelles liées au climat, ainsi que la désertification et les sécheresses. Il y a une très grande injustice géographique liée au réchauffement climatique puisque les pays qui seront les plus durement touchés sont les plus pauvres et aussi les moins responsables du phénomène.

Peut-on encore éviter un chaos humanitaire ? Est-ce que l'humanité peut s'adapter à ce réchauffement ?

Tout va dépendre des mesures que l'on va mettre en place dès maintenant. Les flux migratoires sont déterminés par les impacts du changement climatique, par d'autres types d'inégalités et de crises, mais aussi par les réponses politiques que l'on va apporter dès maintenant. Le problème avec l'immigration, c'est que l'on répond toujours de façon réactive, on est toujours dans une logique de gestion de crise. Cela donne des catastrophes humanitaires et des crises politiques, comme celle qu'on a observée avec la crise des réfugiés en Europe. Ici, nous avons les éléments scientifiques qui nous permettent d'anticiper ces migrations, qui nous permettent de les préparer. C'est donc à nous, maintenant, d'apporter les réponses, sinon nous sommes partis pour une nouvelle crise.

Comment gérer l'afflux de populations vers les villes par exemple ?

Cet afflux existe déjà. On a déjà des mégalopoles africaines qui font face à un afflux massif de migrants venus des campagnes, qui n'ont pas accès au marché du travail, qui n'ont pas accès aux services de base. Cela veut dire qu'ils sont susceptibles d'être victimes de réseaux de passeurs, qui vont les emmener ensuite en Libye, puis en Europe, où ils seront des migrants économiques. Il faut dès à présent soutenir les villes africaines et asiatiques pour les aider à faire face à un afflux de migrants et donc à se repenser comme étant des mégalopoles en extension.

Le changement climatique peut-il une causer une guerre ?

On peut l'imaginer. Il est certain que le changement climatique va induire des tensions sur des ressources. Bien sûr, on pense à l'eau mais je pense que les terres seront un élément fondamental. Si ces tensions sont mal gérées, on peut imaginer que cela débouche sur des conflits. On sait le rôle que les dégradations de l'environnement ont déjà provoqué dans certains conflits récents, en Syrie ou au Darfour par exemple.

L'Europe sera-t-elle aussi concernée par des migrations internes liées au changement climatique ?

C'est déjà le cas en réalité. Si on prend certaines régions d'Europe centrale et orientale, on a des migrations internes liées aux inondations récurrentes. En Espagne, on a déjà certains agriculteurs qui se déplacent suite à la dégradation des sols. En France aussi, certaines populations côtières devront vraisemblablement reculer un peu, parce que les côtes seront plus souvent victimes de submersion ou de tempête. Cela sera une réalité pour l'Europe aussi, même si elle sera proportionnellement moins touchée.

Est-ce qu'on anticipe suffisamment ces migrations à venir ?

Pas encore suffisamment. Il y a une prise de conscience qui est de plus en plus importante. On a notamment une organisation internationale qui a été mise en place pour essayer de gérer ces déplacements, c'est la plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes. La France en assure la vice-présidence cette année, elle en assurera la présidence l'année prochaine. Il y a donc toute une série de choses qui peuvent être faites, mais ce n'est pas encore suffisamment le cas. On espère que ce rapport sera un nouvel élément qui pourra convaincre les gouvernements d'agir enfin. On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas.

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