Paris : "Beaucoup sont rentrés sans manger" après la suspension des distributions alimentaires dans certains quartiers populaires
"Ça dépanne bien. Dès que j’y vais, il y a toujours une association qui distribue quelque chose : une soupe, ou du riz et du poulet. Du coup, maintenant, je ne sais pas comment ça va s’organiser". Les années à la rue se lisent sur le visage de Lala*. À 46 ans, la Parisienne connaît bien les repas chauds du quartier de Jaurès et Stalingrad. Mais ce mardi 10 octobre au soir, Lala n'aura pas droit à son dîner.
Signé subitement par le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, un arrêté interdit aux associations de distribuer des repas aux plus pauvres. La mesure doit durer un mois, jusqu'au 10 novembre, dans certaines artères des 10e et 19e arrondissements de Paris, autour des métros Stalingrad et Jaurès. Selon les autorités, ces distributions favoriseraient la concentration de campements de migrants et de sans-abris dans le secteur. Installée près de la porte d'Aubervilliers, Lala fait donc la manche. Elle qui connaît trop bien l’importance d’avoir à manger.
"C'est une 'incitation au crime'"
"Le premier cerveau, c'est l'estomac. Tant que tu n'as pas mangé, tant que tu n'as pas un logement, tu ne peux rien faire", témoigne Lala. La quadragénaire n'arrive pas à se faire à cette décision des autorités, incompréhensible à ses yeux. "Enlever les denrées alimentaires pour les démunis, c'est paradoxal : c'est une 'incitation au crime', entre guillemets, parce que quand t’as faim, ça rend agressif", témoigne-t-elle.
Ces derniers temps, Lala passe ses nuits dans un hôtel social du secteur. Habituée des lieux, elle contredit l’idée selon laquelle ces distributions de repas favorisent de nouveaux campements, ou créent du trouble : "les gens, ils mangent et ils se dispersent". Un avis partagé par une autre riveraine du quartier Stalingrad. "Il n'y avait pas du tout de souci, à mon sens, en rapport avec ces distributions."
"Qu’est-ce qu’ils proposent à ces gens-là ?"
Dans ces quartiers du nord de Paris, la misère est certes pesante, visible à chaque coin de rue. Mais les riverains s'inquiètent de voir la situation des migrants s'aggraver. "Qu’est-ce qu’ils proposent à ces gens-là, de façon plus pérenne ?", se demande Mickaëla, habitante du nord de la capitale depuis 15 ans. "Est-ce une solution d’exclure les gens de ces quartiers ? Ils vont où, après ?"
>> VIDEO. Dans une distribution alimentaire destinée aux étudiants
À cette question, Utopia 56 a sa réponse. L'association d'aide aux étrangers en situation irrégulière et réfugiés dénonce une volonté de faire "place nette", de cacher les pauvres de la capitale, en vue des prochains Jeux olympiques. "Ce sont des personnes qui vont être livrées à elles-mêmes, pendant un mois ! On ne sait même pas pourquoi un mois !"
Des centaines de personnes privées de repas
En catastrophe, Abdenour Dadouche a dû modifier le lieu des repas que distribue son association aux démunis du quartier. "Une chorba pour tous" s'est installée à deux kilomètres de là et forcément, ce changement d'adresse perturbe les bénéficiaires, moins nombreux à toquer à sa porte. "Ce soir, on a distribué 150 repas alors que d'habitude, c'est jusqu’à 500 par jour !"
"Ce décret, c'est comme une injustice parce que ces gens-là, il y en a beaucoup qui sont rentrés sans manger", s'indigne Abdenour. Également révoltée, l’association Utopia 56 a déposé un recours pour contester en justice l’arrêté de la préfecture de police.
*Le prénom a été modifié
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