Perturbateurs endocriniens : la Commission doit s'incliner
C’est un véritable séisme qui ébranle le microcosme européen ce 16 décembre 2015. Pour la première fois de son histoire, le Tribunal de la Cour de Justice de l’Union européenne condamne la Commission européenne pour « manquement à ses obligations ».
Le Tribunal avait été saisi d’un recours en carence contre la Commission par un Etat membre, la Suède. La Suède, auxquels s’étaient ensuite associés quatre autres Etats, dont la France, et le Parlement européen.
Mais avant tout, les perturbateurs endocriniens, kesako ?
Des produits chimiques, tout simplement, que l’on va retrouver un peu partout. Dans les pesticides, dans les peintures, le shampooing, dans la nourriture ... et forcément, pour finir, dans notre organisme. Et particulièrement dans notre système hormonal, où ils peuvent provoquer de terribles dégâts en contrariant ou en déréglant la complexe machinerie naturelle qui nous anime.
Pour faire simple, le système endocrinien est un réseau de glandes interactif relié aussi aux organes par les hormones. Une mécanique de précision que les perturbateurs peuvent ruiner assez facilement, provoquant des pathologies peu sympathiques : infertilité, puberté précoce, diabète, obésité, autisme etc … même si la responsabilité directe des perturbateurs n’est pas forcément avérée dans tous les cas, de nombreux indices convergents plaident sur une multiplication de ce type de pathologies ces dernières décennies, depuis l’utilisation massive de produits chimiques contenant ces substances nocives.
Tout cela on le sait depuis peu : depuis 1991.
Mais depuis qu’on le sait, des scientifiques clairvoyants ont tiré la sonnette d’alarme : les perturbateurs endocriniens, ce sont des bombes (souvent à retardement) responsables de catastrophes irréversibles.
Première victoire : le bisphénol A, c’est une sorte de plastique que l’on retrouvait un peu partout, et, surtout, dans les biberons. Depuis 2011, il est interdit à cet usage en Europe, et depuis 2015 l’interdiction a été étendue à tout usage alimentaire par la France. Mais pas dans le reste de l’UE.
Une victoire rendue possible par l’aspect symbolique du biberon : derrière l’arbre du bisphénol A, se cache toute la forêt des produits chimiques que nous utilisons et qui sont des perturbateurs endocriniens.
Bref, il n’est pas totalement absurde d’imaginer une règlementation beaucoup plus large.
En 2009, la Commission s’y met. Elle décide d’intervenir, un peu à l’instar du travail effectué pour le règlement Reach. Elle devait publier fin 2013 les critères scientifiques permettant de définir et de règlementer les molécules agissant sur le système hormonal.
Un travail effectué par la DG Environnement, l’un des bras administratifs de la Commission. Mais ce travail ne sera pas publié.
En lieu et place, on commandera une étude d’impact, afin de mesurer les conséquences industrielles de telles mesures … l’affaire prend désormais des allures de scandale. La Commission défend elle l’intérêt général ou les intérêts industriels ?
Eurodéputée depuis 2009, Michèle Rivasi (EELV) siège à la commission Environnement du PE. Elle évoque tous les obstacles qui ont empêché jusqu’ici d’élaborer une directive européenne sur les perturbateurs endocriniens.
Et le constat est aussi sévère pour l’eurodéputé socialiste belge Marc Tarabella. Il siège à la commission Agriculture et est aussi spécialisé dans la défense des consommateurs.
Vytenis Andriukaitis, le commissaire à la Santé (Lituanie) a annoncé que « la Commission respectera le jugement de la Cour de justice européenne (ce qui est somme toute assez logique …) et présentera une définition des critères pour encadrer les perturbateurs endocriniens avant l’été 2016. » Mais le Commissaire a aussi répété que l’étude d’impact était essentielle dans l’optique d’encadrer les perturbateurs endocriniens, en contradiction donc avec la Cour de justice qui considère que cette étude n’était pas nécessaire. Et les eurodéputés vont scruter attentivement l'avancée du dossier et le travail de la Commission.
Prochaine étape de ce feuilleton : l’établissement de plafonds dans le texte de la Commission. Les défenseurs de la santé rejettent toute idée de plafond, car la toxicité de certains perturbateurs n’a rien à voir avec cela.
A lire : l’enquête de la journaliste-documentariste Stéphane Horel « Intoxication ». Une plongée au cœur de la Commission européenne, et un travail de titan pour démêler l’information dans les archives de la Commission. Passionnant et édifiant.
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