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Pologne: mainmise sur les médias publics

Le président polonais Andrzej Duda a entériné le 7 janvier 2016 une loi controversée sur les médias publics. Une marque supplémentaire de l’emprise croissante des conservateurs sur les principaux leviers de pouvoir. Dans le même temps, le nouveau pouvoir en Pologne multiplie les convergences avec la politique du Premier ministre populiste hongrois, Vikto Orban.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Jaroslaw Kaczynski, président du parti conservateur PiS, catholique fervent et homme fort de la Pologne, lors d'une manifestation pro-gouvernementale à Varsovie le 13 décembre 2015.  (REUTERS - Kacper Pempel)

Pour la porte-parole du gouvernement citée par Le Monde, les médias publics, télévision, radio et agence de presse PAP, doivent être «impartiaux, objectifs et crédibles». Ce qui sous-entend donc que ce ne serait pas le cas… Actuellement sociétés de droit commercial contrôlées par l’Etat, ces institutions vont être transformées en institutions culturelles «nationales» placées sous la responsabilité d’un Conseil des médias nationaux. De nouveaux dirigeants seront directement nommés par le ministre du Trésor. Auparavant, ils étaient choisis par concours.

Selon la presse, une nouvelle loi en préparation pourrait entraîner le licenciement de tous les employés des médias publics. Ces derniers devraient être réembauchés après la vérification du «bien-fondé de maintenir les emplois existants et de l'utilité de leurs occupants».

Pour les partisans du gouvernement, il n’y a pas «de pluralisme dans les médias». «Nous remplaçons les chefs de groupes de médias parce qu'avant tout la télévision publique et, en partie aussi, la radio publique, sont devenues (…) des médias du parti» libéral, a déclaré le chef du bureau de presse de la présidence polonaise. Lequel parti libéral dirigeait le précédent gouvernement.

Les accusations de l’opposition
Pour l'opposition polonaise toutes tendances confondues, il s'agit tout simplement d'une nouvelle étape de la prise de contrôle de tous les leviers du pouvoir en Pologne par les Conservateurs du parti PiS (Droit et Justice), victorieux des législatives d'octobre 2015. Autre exemple : en décembre est entrée en vigueur une réforme du Tribunal constitutionnel, destinée, selon l’opposition, à paralyser l’institution. Par cette réforme, le PiS affirme «mettre de l'ordre» dans le fonctionnement du Tribunal et éliminer un obstacle dans la mise en œuvre de ses promesses électorales. Mais pour ses opposants, les nouvelles autorités veulent tout simplement s'affranchir de tout contrôle indépendant.
 
La loi sur les médias publics «signe leur arrêt de mort», a déclaré l’une des chefs de file de la Plateforme civique (libéral) Malgorzata Kidawa-Blonska. «C'est une première étape de la prise de contrôle des médias. Je crains que les prochaines lois ne limitent d'une certaine manière la liberté des médias non publics», a déclaré pour sa part une députée du parti Nowoczesna (libéral), Katarzyna Lubnauer

Critiques en Europe
La nouvelle réglementation a soulevé de vives réactions en Europe.

«Le fait que le gouvernement (polonais) ait refusé toute discussion, tout conseil d'expert juridique de la part de la Commission européenne, du Conseil de l'Europe ou d'autres organisations expertes en médias, semble refléter son attitude générale à l'égard des institutions européennes et des valeurs démocratiques fondamentales», estime la dirigeante de l’Union européenne de radio-télévision (UER-EBU), Ingrid Deltenre. Pour la ministre de la Culture française Fleur Pellerin, ce type de législation remet «profondément en cause» le «socle des valeurs» européennes.

En décembre, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, avait qualifié d’«effrayants» les développements politiques à Varsovie. De son côté, la Commission de Bruxelles avait demandé à la Pologne des «explications» sur les différentes réformes en cours dans ce pays. Depuis, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a tenté de calmer le jeu. «Nous devons avoir de bonnes et amicales relations avec la Pologne, (membre) important et à part entière de l’UE. (…) Il ne faut pas surdramatiser.»

La Pologne n’est pas en reste dans la «surdramatisation». En novembre, le président du Parlement européen, l’Allemand Martin Schulz, avait reproché au nouveau gouvernement polonais son manque de solidarité dans la crise des migrants. Le ministre de l’Intérieur, Mariusz Blaszczak, avait alors dénoncé «l’arrogance allemande» en… rappelant la destruction de Varsovie par la Wehrmacht au cours de la Seconde guerre mondiale.

Rapprochement avec la Hongrie populiste
Visiblement, la nouvelle équipe gouvernementale se rapproche de la Hongrie du Premier ministre populiste Viktor Orban. Le chef du PiS, Jaroslaw Kaczynski, ancien chef du gouvernement de 2006 à 2007 (dont le frère jumeau Lech, président de la République, est mort dans un accident d’avion en 2010), a rencontré Viktor Orban le 6 janvier pendant six heures. Les deux hommes ont échangé «sur tout un ensemble de problèmes internationaux», dixit le ministre des Affaires étrangères polonais, Witold Waszczykowski. Or Kaczynski passe pour le vrai détenteur du pouvoir…

La Première ministre polonaise, Beata Szydlo, doit se rendre à Budapest «dans les prochaines semaines», a annoncé Witold Waszczykowski. Interrogé sur le fait que les initiatives sur le Tribunal constitutionnel, les médias, la taxation des banques et des hypermarchés ressemblent fortement aux mesures prises par Viktor Orban, le chef de la diplomatie répond : «La Hongrie est sortie d'une profonde détresse économique et politique. Il est donc intéressant d'adopter certaines de ses solutions.»




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