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Un djihadiste repenti s'engage dans la lutte contre la radicalisation
Depuis le 13 novembre, Mourad Benchellali est très sollicité. A l'âge de 19 ans, il quitte Vénissieux pour un camp d'entraînement d'al-Qaïda en Afghanistan. Capturé par les Américains, il est placé en détention à Guantanamo, 30 mois, puis 18 mois à Fleury-Mérogis... A 34 ans, père de famille, il mène un combat contre le djihad en tentant de dissuader des jeunes de s'engager en Syrie.
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Deux tiers des djihadistes français présents en Syrie et en Irak ont entre 15 et 21 ans, selon une étude de l'Unité de Coordination de la Lutte anti-terroriste. Vous qui allez à la rencontre de jeunes dans les écoles, les associations et les prisons, que leur dites-vous pour les dissuader?
Je n'ai pas de discours tout fait, pas de solution miracle, je me contente de leur raconter mon expérience,mon idéalisation du pays, mon inconscience, ma naïveté en partant et la confrontation avec la réalité du terrain. J'ai été embarqué de force dans un camp d'entraînement d'al-Qaïda, je n'étais pas parti pour ça. Je me suis retrouvé au milieu du désert à apprendre le maniement des armes, on m'expliquait que les attentats-suicide et les explosifs étaient des outils légitimes du djihad. D'un coup, j'avais basculé de mon petit univers familial, de mon quartier, dans le monde du terrorisme et ça en 2-3 semaines.
Ca m'a fait comprendre beaucoup de choses: on peut se retrouver embarqué comme ça sans être foncièrement mauvais ou violent. J'ai été totalement piégé car après le 11-Septembre, les Américains nous ont bombardés. J'ai réussi à m'enfuir au Pakistan où j'ai été capturé par les Américains qui m'ont déporté à Guantanamo. C'est tout ça que je leur explique, ça leur donne des outils critiques par rapport à ce que peut être une terre de djihad.
Vous n'avez pas basculé dans le terrorisme, qu'est ce qui selon vous peut provoquer le passage à l'acte?
L'islam radical n'est pas une maladie contagieuse qui s'attrape à proximité de personnes contaminées, ce sont des idées donc il y a toujours la possibilité de garder ses distances. Moi, j'avais beau entendre certains discours, il y avait beaucoup de choses auxquelles je ne pouvais pas adhérer comme les attentats suicide. Je n'ai jamais admis qu'on pouvait trouver ça légitime. Mais ça a été difficile surtout quand j'étais à Guantanamo, c'est l'école du radicalisme: c'est difficile dans ces conditions de pas être en colère, de pas être haineux.
Le grand paradoxe de cette histoire, c'est que j'ai dû me battre pour pas me radicaliser. Il y a donc une vraie réflexion à avoir sur l'effet contre-productif que peut avoir le tout répressif. Lorsque j'explique tout cela aux jeunes, ils sont surpris car ils n'imaginent pas comme c'est complexe bien loin d'une certaine idéalisation. La description de la réalité de ces groupes leur donne des outils critiques.
Aujourd'hui, quelle serait selon vous LA mesure à mettre en place pour lutter contre la radicalisation de nombreux jeunes Européens?
Je pense qu'il faut réfléchir à des alternatives au tout répressif. Si à court terme c'est efficace, le problème, c'est qu'il n'y a pas de tri. Tous les jeunes n'ont pas le même ancrage, ne viennent pas avec les mêmes intentions, n'ont pas le même vécu et le problème, c'est que personne ne fait la différence. A long terme, ça risque de créer de la radicalisation de conforter certains jeunes dans ce chemin.
Je pense qu'il faut aider les jeunes qui veulent en sortir parce que moi si j'ai pu m'en sortir c'est grâce à des personnes qui m'ont aidé à le faire, qui ne m'ont pas jugé. C'est cette réflexion-là que je veux apporter: il faut être capable de discernement, il faut trouver une alternative aux jeunes qui se seraient engagés dans le djihad et ce n'est pas encore le cas aujourd'hui.
On peut agir auprès des plus jeunes comme je le fais, tout le monde a un rôle à jouer dans ce combat : l'école, les religieux... Mais il faut intervenir très en amont, dès le collège.
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