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Législatives en Slovaquie : la victoire des populistes pro-russes, "c'est un choc pour l'Union européenne, l'Otan et l'Ukraine", déplore Bertrand Badie

Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences-Po Paris, analyse les conséquences du succès des populistes aux élections législatives en Slovaquie, dimanche.
Article rédigé par franceinfo
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Robert Fico, ancien Premier ministre de la Slovaquie, à la tête du parti populiste Smer-SD. (VLADIMIR SIMICEK / AFP)

Après la victoire, annoncée dimanche 1er octobre, du parti populiste Smer-SD aux élections législatives en Slovaquie, Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales et professeur émérite à Sciences-Po Paris, tire les enseignements du scrutin. L'ancien Premier ministre slovaque Robert Fico, à la tête de la formation gagnante, avait notamment déclaré qu'en cas de victoire, il mettrait un terme à l'aide de son pays à l'Ukraine.

Franceinfo : Avec cette victoire en Slovaquie, est-ce une énième montée populiste en Europe ?

Bertrand Badie : Oui, on doit même la présenter de la sorte, en Europe, et au-delà, parce qu'on ne peut pas s'empêcher de rapprocher ces mouvements européens de ceux que l'on trouve aux Etats-Unis depuis l'élection de Trump en 2016, et qui constituent l'un des enjeux majeurs des prochaines présidentielles américaines. Donc, il est intéressant de voir comment le populisme, et une forme de nationalisme radicalisé, viennent complètement bousculer la donne diplomatique habituelle, et la donne géopolitique. La géopolitique est dépassée par tous ces frémissements où se mêlent l'idéologie, les mouvements sociaux, les attitudes, les comportements électoraux. C'est un choc pour l'Union européenne, c'est un choc pour l'Otan, c'est un choc pour l'Ukraine.

Est-ce lié à une perte de puissance occidentale ?

On voit se relativiser au fil des semaines, des mois, des années, l'idée d'un bloc occidental homogène. C'est peut-être cela, l'élément nouveau. L'Occident, on avait l'habitude d'en parler au singulier, parce que c'était le camp qui s'opposait au camp soviétique, et parce qu'il était irrigué par un certain nombre de valeurs que l'on croyait stables, et surtout interprétées de la même manière d'un pays à l'autre.

Or, les conceptions qui forment l'Occident se diversifient, notamment sous l'effet d'une rétraction nationaliste, qui est le grand événement de ces dernières années, ces dernières décennies. Elle s'explique par le fait que, de plus en plus, les Etats et les peuples veulent faire cavalier seul, parce qu'il y a une peur très forte de la mondialisation, parce qu'il y a aussi une forme de transmutation de l'hégémonie américaine, qui était considérée comme la protection naturelle du monde européen, et on voit que la réalité est beaucoup plus complexe.

Si vous mettez cela bout à bout, vous voyez toute une série de contradictions. Idéologiques, d'abord : on voit que se mêlent des populismes de gauche et de droite, une sorte de radicalisme social avec un conservatisme en matière de mœurs, et en matière de valeurs. Tout cela fait que, finalement, il n'y a pas de repères. Une diplomatie a besoin de répères et d'ordre.

Avec cette victoire populiste en Slovaquie, la Russie gagne-t-elle du terrain idéologique en Europe, et l'Ukraine en perd-elle ?

Je n'irais pas jusqu'à dire que la Russie gagne du terrain. Ce que vise le Kremlin, c'est incontestablement de diviser ce qu'on appelle "le camp occidental" et de faire en sorte que cette division ait deux effets. D'une part, un effet de relâchement, c'est-à-dire que certaines forces semblent avoir le vent en poupe lorsqu'elles parlent d'isolationnisme, de retrait d'une guerre qui risque d'être coûteuse et dangereuse ; et, d'autre part, un effet de discorde, la désunion, qui a effectivement pour avantage de renforcer les positions du Kremlin. Je crois qu'on en est là. C'est très intéressant de comparer la situation en Pologne et en Slovaquie. La Pologne a un gouvernement de droite nationaliste, qui était très pro-ukrainien, et qui tout d'un coup évolue vers des postures tout à fait différentes, qui surprennent tout le monde. Là, nous avons avec la Slovaquie un populisme nationaliste plutôt orienté à gauche, hostile à l'égard d'une mobilisation forte derrière l'Ukraine.

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