Union européenne : la Pologne, fervent soutien de l'Ukraine, veut placer sa présidence sous le signe de la sécurité
C’est l’autre Donald T., polonais celui-là. Lui aussi a le vent en poupe, mais de ce côté-ci de l’Atlantique : Donald Tusk, Premier ministre polonais pro-européen, est de retour au pouvoir depuis un an à Varsovie après huit années de gouvernance nationale-populiste du parti Droit et justice (PiS). Il incarnera à partir du 1er janvier la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne.
La Pologne veut faire oublier le plus vite possible la présidence hongroise et son tropisme pro-russe. L’homme fort de Budapest Viktor Orban avait offusqué Bruxelles en se rendant à Moscou en juillet pour rencontrer Vladimir Poutine et en prenant de nombreuses initiatives sans concertation. À l’inverse, Donald Tusk a multiplié ces derniers mois les rencontres avec ses homologues européens, avec en tête une priorité : la défense européenne, alors que le parapluie américain menace de se refermer du fait du retour de Donald Trump à la Maison blanche.
"L'ère de la sous-traitance géopolitique est terminée"
Profondément atlantiste, comme beaucoup de Polonais marqués par la Guerre froide, Donald Tusk n’en est pas moins convaincu que l’Europe doit s’autonomiser. "L'ère de la sous-traitance géopolitique est terminée", écrit-il début novembre sur X. "Nous sommes confrontés à des décisions historiques, en matière de guerre et de paix, à l’est de notre frontière", développe le Premier ministre polonais le 5 décembre, à Varsovie, où il reçoit la présidente du Parlement européen Roberta Metsola pour préparer la présidence du Conseil de l’UE.
Pour lui, le moment arrive de "dire haut et fort à l’Europe qu’il est temps de se réveiller complètement […] Nous sommes déterminés à faire en sorte que l’Europe pense en polonais sur un grand nombre de questions".
Bientôt 4,7% du PIB polonais consacré à la défense
"Penser en polonais", c’est-à-dire sécuriser les frontières orientales de l’UE face à la Russie et à la Biélorussie et développer des programmes de défense communs. Mais avec quel argent ? Défendue par Varsovie, l’idée d’un nouveau grand emprunt européen sur le modèle de celui qui a permis à l’Europe de sortir de la crise Covid ne fait pas l’unanimité. L’Allemagne notamment s’y oppose vigoureusement, mais les élections législatives anticipées, prévues le 23 février prochain, pourraient faire évoluer la position de Berlin.
En matière de défense, la Pologne est crédible. Elle aligne désormais la première armée européenne en termes d'effectifs et consacrera, en 2025, 4,7% de son PIB à sa défense, record parmi les pays membres de l’Otan. Cette question fait par ailleurs l’objet d’un rare consensus politique en Pologne, le parti d’opposition Droit et Justice soutenant cet effort qu’il a lui-même engagé ces dernières années en augmentant fortement les dépenses militaires.
Soutien inconditionnel à Kiev malgré les contentieux
Pour Varsovie, la défense des frontières orientales de l’UE est indissociable du soutien à Kiev face à l’agression russe. Entre les deux capitales, les contentieux sont pourtant nombreux. Sur le plan historique, la mémoire du massacre de Volhynie, vaste purge ethnique perpétrée par les milices nationalistes ukrainiennes entre 1942 et 1944 qui ont provoqué la mort de 80 000 à 100 000 civils polonais, reste un traumatisme en Pologne. De son côté, l’Ukraine y voit une "guerre polono-ukrainienne" où les torts auraient été partagés.
Autre contentieux, économique cette fois : la "guerre des céréales" qui sévit depuis le printemps 2023 autour des produits agricoles ukrainiens autorisés à entrer dans l’UE, concurrence dénoncée par les agriculteurs polonais. L’embargo décrété à l’époque par le gouvernement Droit et Justice et maintenu par Donald Tusk met à mal des relations diplomatiques entre les deux capitales.
"Une Ukraine sûre veut dire une Europe sûre"
Mais en dépit de ces désaccords, Varsovie reste le plus fervent soutien de l’aide militaire à l’Ukraine, vue comme consubstantielle à sa propre sécurité. "Si l'Ukraine perd, personne en Europe ne pourra se sentir en sécurité", déclarait Donald Tusk le 29 mars 2024, dans un entretien à la presse européenne. "Une Ukraine sûre veut dire une Europe sûre" et si l’Ukraine perdait la guerre, "nous perdrions tous", insiste le chef de la diplomatie polonaise Radoslaw Sikorski devant ses homologues français, allemand, britannique, italien et espagnol, reçus à Varsovie le 19 novembre dernier.
Pour la Pologne comme pour de nombreux pays d’Europe centrale et orientale - baltes, scandinaves et balkaniques - la meilleure protection à offrir à l'Ukraine est l’adhésion à l'OTAN. Adhésion réclamée par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, mais refusée par les États-Unis et plusieurs États membres de l’UE, dont l’Allemagne. La question divise les Européens, qui cherchent d’autres garanties de sécurité à offrir à Kiev. Défendue par Paris, l’idée d’une force de maintien de la paix strictement européenne, qui se déploierait après un hypothétique cessez-le-feu, est notamment à l’étude. Elle a été évoquée le 12 décembre lors d’une rencontre entre Emmanuel Macron et Donald Tusk à Varsovie.
La Pologne, poids lourd d’une nouvelle Europe qui s’affirme à l’est
Le Premier ministre polonais prend soin de ses relations avec les poids lourds européens dans le cadre d’associations comme le Triangle de Weimar – qui réunit Pologne, France et Allemagne – mais il entend aussi développer d’autres partenariats. Exemple : le sommet des pays nordiques et baltes qui s’est tenu les 27 et 28 novembre à Harpsund en Suède, regroupant, outre la Pologne et la Suède, la Finlande, la Norvège, le Danemark, l’Islande, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Ces pays s’inquiètent de l’agressivité russe en mer Baltique, où la Pologne défend l’instauration par l’OTAN d’une nouvelle "police des mers", à l’instar de la police des airs déjà en place. L'objectif est de protéger les infrastructures critiques, alors que les sabotages de câbles sous-marins se multiplient depuis plusieurs mois.
Alors que la France et l’Allemagne sont secouées par des crises politiques et économiques qui affaiblissent leur leadership, la Pologne se voit comme le poids lourd de cette nouvelle Europe qui s’affirme à l’est. Une Europe qui, selon Varsovie, a vocation à s’élargir.
L'enjeu de la présidentielle du printemps 2025
L'adhésion à l’UE de l’Ukraine, mais aussi de la Moldavie, du Monténégro, de l’Albanie, de la Macédoine du Nord et de la Serbie est un dossier prioritaire pour Varsovie, qui espère mettre à profit ses six mois de présidence du Conseil de l’UE pour accélérer le processus. La Pologne souhaite par ailleurs relancer le Partenariat oriental, stratégie lancée par l’UE en 2009 en direction notamment des pays du Caucase du Sud, considéré par la Russie comme son "étranger proche" et que la Pologne souhaite arrimer à l’UE. Le président polonais Andrzej Duda s’est ainsi rendu les 26 et 27 novembre dernier à Erevan, en Arménie, une visite vue d’un mauvais œil par Moscou et son allié azerbaïdjanais.
À Bruxelles, Paris et Berlin comme aux confins orientaux de l’Europe, la Pologne a préparé sa présidence du Conseil de l’UE en intensifiant ses efforts diplomatiques dans l’objectif de se positionner comme un acteur central. Pour l’heure, le pays vit une cohabitation délicate entre le gouvernement pro-européen de Donald Tusk et le président conservateur Andrzej Duda, issu du parti Droit et Justice, qui oppose son veto à la plupart des initiatives législatives gouvernementales. Mais l’élection présidentielle prévue au printemps 2025 pourrait clarifier la situation en faveur de Donald Tusk et asseoir un peu plus son leadership sur la scène européenne.
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