Union européenne : les pays des Balkans occidentaux dans l’antichambre de l’adhésion

L’invasion russe en Ukraine a renforcé l’urgence pour l’Union européenne de s'élargir à de nouveaux pays, en particulier à ceux des Balkans. Ce sera au menu mercredi prochain d’un sommet UE-Balkans occidentaux à Bruxelles. Mais dans le même temps, l’influence russe dans certains de ces Etats perturbe la donne.
Article rédigé par franceinfo - Bruno Cadène
Radio France
Publié
Temps de lecture : 13min
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors d'une rencontre avec les pays des Balkans occidentaux, à Berlin (Allemagne) le 14 octobre 2024 (MICHAEL KAPPELER / DPA)

L’élargissement de l’UE est au rang des priorités du second mandat de la présidente de la Commission européenne. En témoigne la tournée qu’Ursula von der Leyen a effectuée en octobre dernier dans les six pays des Balkans occidentaux, candidats à l’adhésion. Le 23 octobre, lors de la première étape en Albanie, elle déclarait : "L'élargissement est la priorité absolue de mon nouveau mandat. Nous disposons désormais de tous les outils et instruments nécessaires."   

L'an dernier, la Commission a présenté un nouveau plan de croissance pour les Balkans occidentaux : six milliards d'euros sur la période 2024-2027, sous forme de subventions et de prêts. Objectif : permettre à ces Etats d’accélérer la convergence économique et sociale. "Les paiements seront subordonnés à la mise en œuvre de réformes décidées d’un commun accord", précisait la Commission dans son communiqué du 8 novembre 2023. L’Union européenne, qui se fixe pour horizon l’année 2030 pour accueillir de nouveaux entrants, est-elle trop optimiste ?

Certains de ces pays attendent depuis très longtemps leur adhésion à l’UE. La Macédoine du Nord a ainsi déposé son dossier il y a vingt ans, le 22 novembre 2004, et n’a pas ouvert le moindre "chapitre" (il faut ouvrir puis clore 35 "chapitres", c’est-à-dire des dossiers, pour rejoindre l’UE). De leur côté, le Monténégro, la Serbie et l'Albanie se sont déclarés candidats il y a 15 ans et en sont encore à un stade très peu avancé. Il n’y a eu aucune nouvelle adhésion depuis la Croatie en 2013, ce qui crée un effet de lassitude auprès des habitants des Balkans occidentaux.
 
Pourtant, ces derniers sont très favorables à leur entrée dans l'UE. Mais en plus d'être très en retard dans leurs "chapitres", les gouvernements connaissent des crises importantes, qui freinent leur chemin vers l’adhésion : le Monténégro, pays le plus riche des Balkans occidentaux, a un PIB de 11 113 euros par habitant, nettement inférieur à celui de la Bulgarie, Etat le plus pauvre de l’UE (PIB de 24 200 euros par habitant). La population des Balkans occidentaux vieillit, plus que dans l’UE. Les Balkans occidentaux ont des taux de fécondité parmi les plus bas au monde. L’émigration massive touche la population jeune et qualifiée.
  
De plus, les Balkans occidentaux ont des fragilités relatives à l’Etat de droit : l'indépendance de la justice est mise à mal, la corruption est très élevée, la lutte contre la criminalité organisée est limitée et le pluralisme des médias n’est pas au rendez-vous.   
  

Le Monténégro

Ces dernières années, Podgorica se montrait bon élève en Europe, avec à sa tête des dirigeants pro-européens. D’un côté, le président Jakov Milatovic, 37 ans, une “grosse tête” formée dans les meilleures universités d’économie de l’Occident. De l’autre, un Premier ministre qui a le même âge, Milojko Spajic, également formé dans les grandes écoles.  

Mais le Monténégro connaît une grave crise politique. Pour s’assurer une majorité, le Premier ministre avait dû composer il y a un an avec des partis pro-serbes (et pro-russes). Or aujourd’hui les deux têtes de l’exécutif n’ont pas la même approche vis à vis de cet encombrant allié. Le président reproche au Premier ministre de fermer les yeux sur les positions anti-européennes du parti pro-serbe. Le chef du gouvernement estime lui devoir tenir compte de la sensibilité exprimée par cette composante de l’équipe au pouvoir. En outre, l’opposition est mêlée à des scandales de corruption, ce qui vient un peu plus noircir le tableau.
 
Ajoutez à cela l’influence de la Russie et de la Chine qui veulent se faire une place dans la vie politique et l’économie du pays. Pékin a ainsi financé la première autoroute du Monténégro. Fin août, le président monténégrin déclarait que son pays, déjà membre de l'Otan, espérait rejoindre l'UE d'ici 2028. "C'est un objectif ambitieux, mais j'espère vraiment qu'il sera réaliste", disait-il.   
 

La Macédoine du Nord

Les feux étaient au vert à Skopje. Le gouvernement social-démocrate avait pour objectif de faire avancer très vite le dossier de l’adhésion européenne. Mais le 8 mai dernier, de nouvelles élections législatives ont consacré la victoire du parti de droite, nationaliste et populiste. Une victoire sans appel puisque le parti "Organisation révolutionnaires macédonienne intérieure-Parti démocratique pour l’unité nationale macédonienne (VMRO-DPMNE)" a obtenu 44 % des suffrages.
  
Depuis, la tension avec Bruxelles est très vive. Les relations avec les voisins bulgares et grecs (membres de l’UE) sont glaciales. Et à Skopje, les Russes tentent, en compagnie du Hongrois Viktor Orban de former une union populiste. Autant dire que l’adhésion à l’UE ne fait plus vraiment partie des priorités. Pourtant, le gouvernement macédonien essaye de se faire entendre sur le dossier européen. Début novembre, lors d’une visite officielle à Prague, le ministre des Affaires étrangères de la Macédoine du Nord,Timco Mucunski, a ainsi jugé "réaliste" l’objectif d’intégration à l’UE.
 
Mais la route de l'adhésion de la Macédoine du Nord est bloquée par la Bulgarie. Sofia exige que le pays modifie sa Constitution pour reconnaître sa minorité bulgare. Reste que la Macédoine se veut optimiste sur une sortie de crise avec la Bulgarie et sur l’entrée dans l’UE en 2030. "Mon optimisme vient du fait que depuis quelques mois, nous avons un gouvernement dont les actes prouvent qu’il cherche l’intégration européenne", a déclaré Timco Mucunski. Des propos tenus en République tchèque, un pays de l’UE très favorable à l'élargissement aux pays des Balkans occidentaux.       
  

La Serbie

Belgrade jongle entre Moscou et Bruxelles. Et la diplomatie européenne se méfie de ces tours d’acrobate digne d’un grand équilibriste. Le président Aleksandar Vucic passe constamment de la Russie, pour faire plaisir à son électorat nationaliste, à Bruxelles, qui fait envie à l’électorat urbain et jeune. De plus, l’Europe lui alloue des contributions financières, en tant de candidat à l’UE. Il n’en reste pas moins que l’opposition est plus proche de l’UE, tandis que le Parti progressiste serbe (SNS) de Vucic, est un parti d'extrême droite et populiste. La Serbie apparaît comme une candidature problématique pour l’UE. Bruxelles sait bien que le pays se laisse facilement séduire par les voix de sirènes de Moscou ou de Pékin.  
 
Fin octobre, à Bruxelles, lors d’une entrevue avec la presse, l'Espagnol Joseph Borrel suggérait ainsi à la Serbie de s'aligner "tôt ou tard" sur les positions diplomatiques européennes, sinon l'adhésion sera, disait-il, "compromise". A la même période, lors d’une visite à Belgrade, dans le cadre de sa tournée dans les Balkans, Ursula von der Leyen avait annulé un entretien prévu avec le Premier ministre serbe, car il avait quelques heures plus tôt rencontré le ministre russe du développement économique.  
Le président serbe a par ailleurs annoncé qu'il se rendrait en Russie en mai prochain pour célébrer les 80 ans de la victoire sur l’Allemagne nazie. "Si la fin du monde n’a pas lieu – je n’en suis pas si sûr, mais je l’espère – ce sera un grand honneur pour moi d’être sur la place Rouge", a ainsi déclaré Aleksandar Vucic, qui ne s’est pas rendu en Russie depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022.  
  

L’Albanie

Le 15 octobre 2024, à Luxembourg, les négociations d'adhésion ont officiellement débuté entre l’UE et l’Albanie. Les premiers chapitre vont être ouverts ! Tirana doit s’engager sur la voie d’importantes réformes en lien avec "les acquis fondamentaux de l’UE" et l’Etat de droit. Sont notamment concernés l’indépendance du pouvoir judiciaire, les finances, l’attribution des marchés publics, etc...  Au micro de la Deutsche Welle, le Premier ministre albanais Edi Rama a promis que son pays était engagé dans un processus de réformes : "Nous sommes très engagés vis-à-vis de l'adhésion à l’UE. Nous serons rapides dans les réformes, afin de s’assurer que cette fenêtre d’opportunité ne se referme pas sans que nous ayons adhéré à l’UE". Objectif : ne pas décevoir Bruxelles. En novembre 2023, l’UE était préoccupée par la corruption et les liens entre la mafia (très puissante) et le monde économie et politique.
 
Début octobre, il y a eu des affrontements violents lors de manifestations menées par l’opposition (le Parti démocratique) contre le premier ministre (parti socialiste). De plus, le pays est pauvre (avec un PIB de 2 298 milliards de dollars contre  7 400 milliards de dollars pour le Monténégro) mais le "pays des Aigles" se développe très vite, en particulier dans le tourisme. En 2022, sa croissance était de plus de 8,5 % !  

Le signal envoyé par VDL reste positif puisque c’est en Albanie que la présidente de la Commission européenne a choisi de débuter sa tournée dans les Balkans. "L'Albanie est sur la bonne voie pour rejoindre l'Union européenne, et je vous remercie pour votre travail, votre engagement et votre amitié", avait-elle alors lancé à Edi Rama, lors d'une conférence de presse commune. "Nous sommes des fanatiques de l'UE", lui avait-il répondu.  
  

Les dossiers délicats de la Bosnie-Herzégovine et du Kosovo

C’est en 2016 que la Bosnie-Herzégovine a déposé une demande d’adhésion, officiellement approuvée en 2021. Les négociations n’ont pas encore débuté. Mais en mars 2024, la Commission européenne a rendu un avis favorable. Reste que les deux entités de la Bosnie-Herzégovine sont opposées sur la question européenne. La République serbe (RS) est pro-russe, anti-européenne et même parfois sécessionniste, à en croire les déclarations de son Premier ministre, le nationaliste, Milorad Dodik.  En fait, seule l’entité croato-bosniaque est vraiment favorable à la candidature européenne.   

Le Kosovo est encore plus loin sur la route européenne. Pristina a présenté sa candidature en 2022. Mais Bruxelles ne lui a pas encore accordé le statut de candidat officiel. Ses mauvaises relations avec la Serbie bloquent tout. Belgrade n’a jamais reconnu l’indépendance proclamée par le Kosovo en 2008 et les 120 000 Serbes du Kosovo ne reconnaissent pas l'autorité de Pristina et restent fidèles à Belgrade. Kaja Kallas, la future cheffe de la diplomatie européenne, a d’ores et déjà annoncé qu’elle ferait de l’avancement du dialogue Belgrade-Pristina l’une des priorités de son mandat.  
Le chemin est long pour les Balkans occidentaux. Mais l’UE  a t-elle le choix ? Peut-elle laisser sur le bord du chemin une partie de l’Europe qui serait une région réputée aux yeux de certains Occidentaux "sans foi, ni loi" et pro-russe au cœur de l’Union européenne ?    

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.