Agressions sexuelles à Cologne : les cinq erreurs de la police
De la mauvaise évaluation des risques de débordement à la communication tardive et mensongère des autorités, francetv info détaille les ratés qui ont contribué à une crise d'envergure nationale.
Plus de 560 plaintes ont été déposées, en deux semaines, dont presque la moitié pour des agressions sexuelles, après le Nouvel An, à Cologne (Allemagne). Les victimes décrivent une foule d'hommes "alcoolisés et agressifs", en majorité "d'apparence nord-africaine ou arabe". Comment ces violences ont-elles pu se dérouler, en plein centre-ville, sous les yeux des policiers ? Dans un rapport détaillé, le ministère de l'Intérieur du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie dénonce "l'image inacceptable" donnée par les forces de l'ordre, et pointe les erreurs qui ont conduit à une crise d'ampleur nationale.
Francetv info retrace la soirée et ses conséquences, au regard des failles du dispositif de sécurité et des erreurs commises par les forces de l'ordre.
La situation n'a pas été anticipée
Pour expliquer le "chaos" du Nouvel An, la police reconnaît avoir été surprise. "Le point de départ, c'est que ce qui s'est passé était imprévisible", assure à francetv info Sebastian Fiedler, porte-parole du syndicat de la police criminelle en Allemagne. "Rien n'indiquait qu'un millier d'hommes se rassembleraient dans la gare et autour", poursuit-il.
D'autant plus que cette foule alcoolisée s'en est aussi prise aux forces de l'ordre, en harcelant les agents présents dans la gare. Selon un premier rapport de police, publié le 4 janvier et cité par Bild (en allemand), certains hommes "déchiraient leurs cartes de séjour en disant aux agents : 'Vous ne pouvez rien contre moi !'", d'autres les "empêchaient de venir en aide aux victimes", ou "revenaient systématiquement sur les lieux dont ils avaient été chassés".
"C’est une nouvelle dimension de la violence, nous n’avons jamais vu ça", avait déclaré, le 4 janvier, Arnold Plickert, président du syndicat de la police de Rhénanie du Nord-Westphalie.
Les effectifs de police étaient insuffisants
Sur place, "les forces d’intervention ne pouvaient pas maîtriser tous les événements, les actes de violence, les infractions, etc. Il se passait trop de choses en même temps", selon le même rapport de la police. Et la présence massive de fêtards, qui plus est mal intentionnés, n'étant pas prévue, la police "n’a pas déployé suffisamment de policiers à cet endroit", reconnaît encore Sebastian Fiedler.
En temps normal, la gare de Cologne relève de la Bundespolizei, la police fédérale, tandis que son parvis, au pied de la cathédrale, est surveillé par la police municipale. Le rapport du ministère de l'Intérieur (PDF, en allemand) de Rhénanie du Nord-Westphalie , publié le 8 janvier, fait état de 142 agents spécialement déployés pour l'occasion, contre 88 en 2015.
Mais à 21 heures, ces forces supplémentaires n'étaient pas présentes dans le quartier, alors que se trouvaient déjà "un groupe de 400 à 500 personnes, sur les marches entre la gare et la face nord du Dom", "dont la plupart, des hommes décrits par les forces de l'ordre et les victimes comme 'nord-africains/arabes', étaient fortement alcoolisés, désinhibés, et lançaient des feux d'artifice sur la foule", détaille le même rapport.
La crise a été sous-évaluée
Parmi les premières plaintes déposées, se trouvent notamment : une agression sexuelle vers 19 heures, un vol à 19h30, puis une autre agression sexuelle à 21h45. La situation continue à dégénérer tout au long de la soirée, tandis que la foule massée sur les escaliers continue à grossir. A 23 heures, ce sont désormais entre 1 000 et 1 500 personnes (des hommes) qui sont rassemblées sur ces longues marches. "L'ambiance était de plus en plus agressive", décrit le ministère de l'Intérieur, et "ces personnes ignoraient les ordres de la police".
Pourtant, la direction de la police ne décide d'évacuer la zone qu'à 23h15, "pour éviter que les feux d'artifice ne causent des blessures et pour limiter le risque de mouvement de panique dans la foule", précise le rapport du ministère. L'évacuation débute à 23h35. Pour expliquer ce délai, Sebastian Fiedler pointe un possible manque de communication interne : "Soit la police n'avait pas les informations, soit elles n'ont pas été bien transmises." Mais des policiers ont bien été alertés, selon BuzzFeed News. Une femme explique au site d'information qu'elle a appelé un officier de police, qui lui aurait répondu : "Bon, faites gaffe à vous, mais là tout de suite, je ne peux rien faire."
Les renforts ont été appelés trop tard
La ville de Cologne avait réclamé trois unités de CRS (Bereitschaftspolizei), lors de la préparation du Nouvel An, mais "comme cela arrive souvent, quand le danger ne semble pas présent, cela lui a été refusé", explique encore Sebastian Fiedler. La ville a tout de même obtenu deux unités, soit 83 agents équipés et prêts à intervenir, selon le chiffre du ministère de l'Intérieur du Land.
A 21h30, "une première réunion s'est tenue, entre la ville de Cologne et les différentes forces de police, pour évoquer la situation autour de la gare", détaille le ministère de l'Intérieur dans son rapport, mais aucun renfort n'a été envoyé. A 22 heures, lors d'un deuxième rendez-vous, il est décidé de déployer "une unité de CRS (38 agents) dans la vieille ville", une zone qui englobe les ponts qui enjambent le Rhin et les Kölner Ringe, grands boulevards qui bordent l'ouest du centre-ville. Ce n'est qu'à 22h25 que "10 CRS supplémentaires sont envoyés à la gare centrale".
Pour le ministère de l'Intérieur, c'est la plus grosse erreur commise par la police ce soir-là. Les forces présentes auraient dû demander "des renforts d'urgence pour faire face à cette évolution inattendue de la situation", a déclaré le ministre Ralf Jäger. Le porte-parole du syndicat de la police criminelle, Sebastian Fiedler confirme à francetv info : "Le service de certains policiers aurait pu être prolongé, des policiers des environs auraient pu être appelés, une unité d’intervention aurait pu être dépêchée… Mais la police de Cologne n'a rien fait de tout cela."
La communication a été tardive et mensongère
Le 1er janvier, à 8h57, la police publie son bilan de la soirée. Il débute ainsi : "Comme l'année dernière, les festivités de la Saint-Sylvestre se sont déroulées dans le calme. Les policiers sont principalement intervenus pour des cas de blessures corporelles et de tapage nocturne." Après avoir donné quelques chiffres, la police précise simplement que, "un peu avant minuit, il a fallu évacuer les marches du parvis de la gare, pour éviter un mouvement de panique à cause des tirs de feux d'artifice". Ce "bon déroulement de la soirée est dû à la présence policière prévue aux points importants", conclut le compte-rendu.
Il a fallu attendre le 4 janvier pour que la police évoque les premières plaintes pour agressions sexuelles et que les médias allemands s'y intéressent. Les raisons de cette communication ratée, voire mensongère, sont multiples, comme l'explique Slate : les témoignages ont émergé lentement et, surtout, les responsables politiques ont été embarrassés, les militants féministes et antiracistes divisés.
A cause de ce délai, la police est soupçonnée d'avoir cherché à dissimuler la gravité des faits, notamment à cause de l'identité des premiers suspects, tous demandeurs d'asile où en situation irrégulière. Le ministre de l'Intérieur du Land, Ralf Jäger, a jugé "politiquement correcte" cette communication, qui a été "mal comprise". Il a affirmé qu'il fallait "maintenant parler ouvertement des vérités désagréables".
Une semaine après le Nouvel An, ce manque de clarté, ajouté aux critiques sur l'incapacité des forces de l'ordre à protéger les femmes victimes d'agressions sexuelles, ont entraîné l'éviction du chef de la police locale, Wolfgang Albers.
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