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Willy Beauvallet-Haddad : eurodéputés entre «jeux européens et nationaux»

«Longtemps considéré comme une assemblée périphérique sans pouvoir, le Parlement européen (PE) est, à présent, doté par les traités successifs d’un statut de co-législateur sur la plupart des textes», explique Willy Beauvallet-Haddad, docteur en sciences politiques. Pour nous, il revient sur les spécificités des élus européens.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
  (IKTOR DABKOWSKI / PICTURE-ALLIANCE/AFP)
Y a-t-il une spécificité des élus européens par rapport aux élus nationaux ?
Oui et non. Ils sont à l’image des classes politiques nationales, ni plus jeunes, ni plus vieux, par exemple, et appartiennent majoritairement aux groupes sociaux favorisés. Ils ont cependant certaines spécificités. La première réside dans leur forte diversité culturelle et politique : ils sont issus de 28 pays, appartiennent à plus de 175 partis nationaux (bien qu’ils soient regroupés en sept groupes politiques transnationaux au sein du PE), tout en parlant 24 langues différentes. La féminisation de l’institution est une seconde caractéristique, plus forte que dans la plupart des parlements nationaux, à l’exception des pays scandinaves.

Une autre différence est l’instabilité relative de ces élus. A chaque élection, ce sont près de 50% d'entre eux qui quittent le PE. Le fait est que, dans beaucoup de pays, à l’exception notable de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, les élus en poste éprouvent des difficultés à assurer leur réélection. Pour les eurodéputés, la difficulté, c’est de tenir ensemble des jeux européens et nationaux qui sont, en pratique, désajustés. Il n’est pas simple de maintenir auprès du parti les conditions qui ont permis, à un moment donné, la sélection sur une liste européenne.

Pour les partis, la constitution des listes européennes répond à une série de paramètres (équilibre des courants au sein du parti ou de la coalition, représentativité régionale et sociale, parité homme-femme, etc.) dont la compétence ou l’expérience européenne, paradoxalement, ne sont pas nécessairement les éléments les plus déterminants. C’est d’autant plus vrai que la position parlementaire européenne renvoie souvent, dans les espaces politiques nationaux, à une position périphérique, qui ne confère pas, en elle-même, les ressources suffisantes pour s’imposer aux dirigeants. Or, ces derniers, précisément, ont tendance à délaisser le PE, sauf pour les partis dont le Parlement constitue l’unique scène institutionnelle accessible, comme dans le cas du FN.

Est-ce un personnel politique mieux formé et plus «technique» ?
Pas nécessairement, d’autant plus que le turnover des élus est important. En revanche, il est clair que les positions dominantes au sein de cette institution, que ce soit les positions au bureau du Parlement (président et vice-présidents), dans les groupes politiques (président de groupe, coordinateurs dans les commissions) ou dans les commissions (président, rapporteurs sur les textes importants) sont détenues par les élus les plus expérimentés et ceux qui sont les plus à même de maitriser les attendus d’un jeu politique très particulier.

L’Union européenne est une machine complexe à construire du compromis. Elle ne fonctionne pas complètement sur un mode majoritaire, ni dans le cadre des relations classiques associant gouvernement et parlement. La procédure législative ordinaire (dite codécision) impose aux acteurs de l’UE des négociations permanentes, à la fois inter-institutionnelles (entre Parlement, Conseil des ministres et Commission) et intra-institutionnelles (au Parlement, entre les différentes délégations nationales et entre les groupes) qui rendent le jeu très complexe à appréhender pour les non-initiés. Pour des raisons historiques, l’expertise s’est par ailleurs imposée comme un mode de régulation des transactions politiques dans cet espace, permettant la dépolitisation et la déconflictualisation, et facilitant en cela l’établissement des compromis. L’influence au sein du PE suppose donc des compétences spécifiques et un véritable «sens pratique» de l’Europe qui ne s’acquièrent qu’avec le temps et la familiarité aux univers transnationaux. Comme les élus européens évoluent dans un cadre par ailleurs relativement détaché des logiques politiques nationales, cette situation favorise la centralité d’un noyau dur d’élus spécialisés, qui sont capables de faire la preuve de leur «compétence à l’Europe» et qui apparaissent pour cette raison crédibles auprès de leur pairs comme auprès des autres institutions

Vous évoquez un paradoxe européen ?
En effet, d’un côté, le PE voit son rôle législatif s’accroître depuis le milieu des années 90. Le Traité de Lisbonne a d’ailleurs consacré cette montée en puissance en lui attribuant une compétence «de droit commun». D’une certaine façon, c’est une institution dont le potentiel d’influence sur les législations européennes est de facto plus importante que beaucoup de parlements nationaux sur les législations nationales. Les députés européens n’ont pas à se soumettre à des partis ou des gouvernements et peuvent de ce point de vue s’imposer dans les négociations. Mais d’un autre côté, plus les eurodéputés prennent de l’importance, plus le PE s’impose comme une des arènes du pouvoir en Europe, plus les citoyens européens paraissent s’en détacher ou s’en désintéresser, comme en témoigne des taux d’abstention en augmentation depuis 20 ans. C’est le grand paradoxe de cette institution. Cela peut s’expliquer en partie par le fonctionnement du Parlement et de l’Union dans son ensemble. Pour s’imposer, les élus ont dû entrer dans un jeu technicisé, fait de compromis multiples dont les logiques sont éloignées des modes de construction du politique auquel nous sommes familiarisés et donc difficilement appropriables par le public, qu’ils s’agissent des électeurs, des journalistes ou même des autres acteurs politiques. Certes, cela n’est pas toujours vrai. Dès lors que les jeux européens se politisent, l’Assemblée devient plus visible. Au moment des débats relatifs au Traité constitutionnel européen, les négociations de la directive «services» ou des directives relatives à la libéralisation des services portuaires ont ainsi été marquées par la forte visibilité des élus, dont la puissance potentielle est ici apparue au grand jour.

Mais ces moments sont finalement assez rares. De plus, la gestion de la crise monétaire et budgétaire à partir de 2010, s’est jouée en pratique sans que les élus ne puissent s’opposer ou contrôler le durcissement des politiques de rigueur dont sont victimes des fractions considérables des populations européennes. Malgré la consécration du traité de Lisbonne, les parlementaires tendent ainsi à rester exclus des questions et décisions les plus politiques ou sensibles, pour lesquels s’imposent les institutions intergouvernementales comme le Conseil européen ou les institutions indépendantes comme la Commission, la BCE ou la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne).

Willy Beauvallet-Haddad est notamment enseignant à Lyon 2. Il a publié plusieurs études sur l'Union européenne.

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