Cet article date de plus de neuf ans.

Grèce: «Nous sommes proches de l’impasse», explique Yannis Varoufakis

Le psychodrame entre l'Europe et le FMI d'une part et la Grèce d'autre part, bat son plein. Toujours difficile de savoir ce qui se dit lors des sommets européens. Le ministre grec de l'économie Yannis Varoufakis a publié sur son site son discours du 18 juin devant ses pairs européens. Une démarche rare. Une façon de mieux connaître les lignes de fracture entre les deux positions. Verbatim.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 19min
Yannis Varoufakis, le ministre grec de l'Economie, le 18 juin 2015, à l'issue de l'Eurogroupe.

Les discussions et les arguments échangés lors des sommets européens ne sont pas publics. D'où la difficulté de savoir ce qui se dit réellement. Le très médiatique ministre de l'Economie grec, Yannis Varoufakis, a donc décidé de publier son discours tenu lors du sommet du 18 juin 2015, qui s'est terminé sans décision, si ce n'est d'un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, le 21 juin.

«Le seul antidote à la propagande et aux "fuites" malveillantes est la transparence. Après tant de désinformation sur ma présentation à l'Eurogroupe de la position du gouvernement grec, la seule réponse est d'afficher les mots précis qui ont été prononcés. Lisez-les et jugez par vous-mêmes si les propositions du gouvernement grec constituent une base pour un accord», écrit Yannis Varoufakis sur son site

Le discours
«Les propositions grecques pour mettre fin à la crise. Mon intervention devant l'Eurogroupe»

«Chers collègues,
Il y a cinq mois, dans ma première intervention devant l'Eurogroupe, je vous indiquais que le nouveau gouvernement grec faisait face à une double tâche: conserver la confiance des Européens et engager un plan crédible de réformes (...).
 
Mais nous devons aussi conserver la confiance du peuple grec. Pour cela, il faut que
-ce plan soir le dernier,
-qu’il mette fin à six ans de récession ininterrompue,
-ne pas frapper les pauvres sauvagement comme les plans précédents,
-rendre notre dette soutenable, créant de réelles perspectives de retour de la Grèce sur les marches monétaires, en mettant fin à notre indigne dépendance aux prêts de nos partenaires.
 
Cinq mois se sont écoulés, la fin de la route est proche, mais ce difficile équilibre a échoué à se concrétiser. Oui, à Bruxelles, nous étions proches. Proches comment? Sur le plan budgétaire, nous étions réellement proches. Spécialement pour 2015. Pour 2016, l’écart reste de 0,5% du PIB. Nous avons proposé des mesures sur 2%, contre 2,5% pour les institutions européennes. Cet écart de 0,5%, nous avons proposé de le couvrir par des mesures administratives. Ce serait, je vous le dit, une erreur majeure de permettre qu’une divergence si mineure puisse provoquer des dégâts majeurs pour l’intégrité de la zone euro. Il y avait accord sur de nombreux points.
 
Néanmoins, je ne vais pas nier que nos propositions n’ont pas créé chez vous la confiance nécessaire. Et en même temps, les propositions des institutions européennes transmises à M.Tsipras par M.Juncker ne peuvent engendrer l’espoir que nos concitoyens attendent. Ainsi, nous sommes proches de l’impasse.
 
A la 11e heure, en l’état des négociations, avant que des événements incontrôlables n’interviennent, nous avons un devoir moral, sans parler d'un devoir politique et même économique, à surmonter cette impasse. Ce n’est plus l’heure des récriminations et des accusations. Les citoyens européens nous tiendront tous collectivement responsables si on ne trouve pas un solution viable.
 
«Que la Grèce ait besoin d’ajustements, pas de doute»
Même si certains, égarés par les affirmations qu'une sortie de la Grèce ne serait pas si terrible ou même que cela serait bon pour la zone euro, se sont résignés à un tel événement, ce serait un événement aux conséquences destructrices que nul ne peut apprivoiser. Les citoyens de toute l'Europe n’accuseront pas les institutions mais leurs ministres des Finances élus, leurs Premier ministres et présidents. Après tout, ils nous ont élus pour promouvoir la prospérité commune de l'Europe et éviter les pièges qui peuvent nuire à l'Europe.
 
Notre mandat politique est de trouver un honorable compromis viable. Est-il si difficile de le faire? Nous ne le pensons pas. Il ya quelques jours, Olivier Blanchard, l’économiste en chef du FMI a publié un article intitulé Grèce: un accord crédible exigera des décisions difficiles de toutes les parties. Il a raison, les trois maîtres mots étant «par toutes les parties». M.Blanchard a ajouté que, «au cœur des négociations, il y a une question simple. Quels ajustements doivent être faits par la Grèce et quels ajustements doivent être faits par ses créanciers officiels?»
 
Que la Grèce ait besoin d’ajustements, pas de doute. Mais la question n’est pas de combien il doivent se faire, mais plutôt sur quels points. Si par «ajustements», nous entendons consolidation budgétaire, baisses de salaires et de retraites, et hausses de taux d'imposition, il est clair que nous avons fait plus que tout autre pays en temps de paix:
-le déficit budgétaire s’est transformé en surplus budgétaire avec un record mondial d’ajustement de 20%,
-les salaires ont baissé de 37%,
-les pensions ont été réduites de 48%,
-l'emploi de l'Etat a diminué de 30%,
-les dépenses de consommation ont été réduite de 33%,
-le déficit chronique du compte courant de la nation a chuté de 16%.
 
«Le taux de chômage est monté en flèche à 27%»
Personne ne peut dire que la Grèce n'a pas fait les ajustements liés aux circonstances de l’après-2008. Mais ce que nous pouvons dire, c’est que ces ajustements énormes, qu’ils soient nécessaires ou pas, ont produit plus de problèmes qu'il n'en ont résolu:
-le PIB réel global a chuté de 27% alors que le PIB nominal a continué de baisser trimestre après trimestre pendant18 trimestres consécutifs,
-le taux de chômage est monté en flèche à 27%,
-le travail non déclaré a atteint 34%,
-les prêts douteux des banques atteignent 40%,
-la dette publique a dépassé 180% du PIB,
-les jeunes diplômés quittent la Grèce en masse,
-la pauvreté, la faim et la privation d'énergie ont enregistré des augmentations habituellement associés à un état en guerre,
-l'investissement dans la capacité de production s’est évaporé.
 
Ainsi, à la première partie de la question du Dr Blanchard «A quel niveau, la Grèce doit faire son ajustement?»  il faut répondre: la Grèce a besoin de beaucoup d'ajustements. Mais pas de la même nature que ceux que nous avons eus dans le passé. Nous avons besoin de plus de réformes et non de plus de réductions. Par exemple,
-nous devons avoir une nouvelle culture fiscale et non une hausse des taux de TVA qui renforcent l'incitation à tricher et rendent les citoyens respectueux des lois plus pauvres,
-nous devons rendre le système de retraites viable en éradiquant le travail non déclaré et en minimisant les retraites anticipées, en éliminant la fraude des fonds de pension, en stimulant l'emploi – pas par l'élimination de la tranche de la solidarité la plus basse que les institutions ont exigé, poussant ainsi le les plus pauvres des pauvres dans la plus grande misère, provoquant une hostilité populaire contre tout nouvel ensemble de réformes.
 
Dans notre programme, nous proposons aux institutions (européennes) :
-un vaste (mais optimisé) programme de privatisations couvrant la période 2015-2025,
-la création d'une administration des impôts et des douanes totalement indépendante (sous l'égide et la supervision du Parlement),
-un Conseil fiscal qui supervise le budget de l'Etat,
-un programme à court terme pour limiter les saisies et la gestion de prêts non performants,
-une réforme des codes de procédures judiciaires et civiles,
-une libéralisation de plusieurs marchés de produits et services (avec des protections pour les professions de la classe moyenne qui font partie intégrante du tissu social de la société),
-des réformes de l'administration publique (l'introduction des systèmes d'évaluation du personnel, en réduisant les coûts non salariaux, la modernisation et l'unification de la masse salariale du secteur public).
 
En plus de ces réformes, les autorités grecques ont engagé l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour aider Athènes à mettre en œuvre et suivre une deuxième série de réformes. Hier, j’ai rencontré son Secrétaire général, Angel Gurria, et son équipe pour annoncer ce programme de réformes conjointes, avec une feuille de route spécifique:
-une importante campagne anti-corruption et les institutions compétentes pour la soutenir, en particulier dans le domaine des marchés,
-libéralisation des secteurs de la construction, y compris le marché et les normes de construction,
-libéralisation du commerce de gros,
-un code des pratiques pour les médias électroniques et la presse,
-suppression des obstacles bureaucratiques pour le business en Grèce,
-une réforme du système de retraite, où l'accent est mis sur un équilibre à long terme et l'élimination progressive des retraites anticipées, la réduction des coûts de fonctionnement des fonds de pension plutôt que de simples coupes dans les retraites.
 
Oui, chers collègues, les Grecs doivent continuer à réformer. Nous avons désespérément besoin de profondes réformes. Mais, je vous exhorte de prendre au sérieux la différence entre:
-une réforme qui attaque les comportements parasitaires, la recherche du profit et...
-le changement qui entraîne une hausse des impôts et réduit les revenus des plus faibles.
 
 «Un million de familles survivent aujourd'hui sur la maigre pension d'un grand-père»
Beaucoup a été dit et écrit sur notre «retour en arrière» sur la réforme du marché du travail et de notre détermination à réintroduire la protection des travailleurs salariés par le biais des conventions collectives. Est-ce une obsession de gauche qui en compromet l'efficacité? Non, chers collègues. Prenez par exemple la situation des jeunes travailleurs dans plusieurs chaînes de magasins qui perdaient leur travail à l’approche de leur 24e anniversaire de sorte que l'employeur embauche des travailleurs plus jeunes à leur place pour éviter de payer le salaire minimum normal, plus faible pour les employés de moins de 24 ans (…). Sans la négociation collective, ces abus abondent avec des effets néfastes sur la concurrence (comme les employeurs décents sont désavantagés par rapport à des employeurs sans scrupules), mais aussi avec des effets néfastes sur les caisses de retraite et les recettes publiques. Croit-on sérieusement que l'introduction de la négociation collective, en collaboration avec l'OIT et l'OCDE, constitue une «inversion de la réforme», un exemple de «retour en arrière»?
 
L’accusation sur notre retour en arrière sur la réforme des retraites est que nous avons suspendu une réduction supplémentaire des pensions qui ont déjà perdu 40% alors que les prix des biens n’ont pas bougé. Considérez ce fait relativement méconnu: environ un million de familles survivent aujourd'hui sur la maigre pension d'un grand-père ou d'une grand-mère alors que le reste des membres de la famille sont au chômage dans un pays où seulement 9% des chômeurs reçoivent une allocation chômage.
 
Voilà pourquoi nous continuons à dire aux institutions que oui nous avons besoin d’une réforme des retraites mais non vous ne pouvez couper les retraites à hauteur de 1% du PIB sans causer une misère massive et une récession de de 1,8 milliard aggravée par un important multiplicateur de 1,5. Si des pensions importantes existent toujours, dont le plafonnement serait utile, nous le ferons. Mais cela reste marginal. C’est pour cela, je suppose, que les institutions nous demandent de supprimer les pensions de solidarité pour les plus pauvres. Et c’est pour cela que nous faisons des contre-propositions pour une réduction drastique des retraites anticipées et du travail dissimulé.
 
Les réformes structurelles disposent d’un fort potentiel de croissance. Mais des économies dans un pays comme la Grèce entraînent la récession. La Grèce doit mettre en place des réformes adaptées. Mais en même temps, pour revenir aux propos de M.Blanchard, les institutions doivent ajuster leur définition de réformes favorisant la croissance, et reconnaître que des économies et des hausses d’impôts sont des réformes qui, en Grèce, ont nui à la croissance.
 
Nos collègues ont indiqué dans le passé, et peuvent toujours le faire, que nos retraites sont trop élevées par rapport à leurs personnes âgées et qu'il est inacceptable que le gouvernement grec puisse penser qu’ils vont payer nos pensions. Permettez-moi d'être clair à ce sujet: nous ne sommes jamais allés vous demander de subventionner notre Etat, nos salaires, nos retraites, notre dépense publique. L'Etat grec vit selon ses moyens. Au cours des cinq derniers mois, nous avons même réussi, malgré un accès au marché égal à zéro et zéro décaissement, à rembourser nos créanciers. Nous avons l'intention de continuer à le faire.
 
Je comprends qu'ils s’inquiètent que notre gouvernement puissent à nouveau tomber dans un déficit primaire et que c’est pourquoi les institutions (Europe, FMI, NDLR) nous pressent d'accepter de fortes augmentations de la TVA et des coupes dans les retraites. Alors que l’annonce d’un accord viable suffirait à stimuler notre économie pour provoquer un excédent  primaire, je comprends que nos créanciers peuvent avoir des raisons d’être sceptiques. C’est pourquoi nous devons avoir des «mesures vraiment crédibles».
 
Au lieu de débattre sur des mesures portant sur 0,5%, que diriez-vous d’une réforme permanente, globale et profonde ? Un frein anti-déficits surveillé par un Conseil indépendant? Ce conseil surveillerait l’exécution budgétaire sur une base hebdomadaire et pourrait émettre des avertissements si la cible d’excédent primaire n’est pas respectée et même prendre des décisions sur les dépenses. De cette façon, un système à sécurité intégrée serait en place qui assure la solvabilité de l'Etat grec tandis que le gouvernement grec conserverait l'espace politique dont il a besoin pour rester souverain et capable de gouverner dans un contexte démocratique. Considérez ceci comme une proposition ferme que notre gouvernement mettra en œuvre immédiatement après un accord.
 
Etant donné que notre gouvernement n’empruntera plus à vos contribuables, il n’y a pas de raison de débattre sur qui sont les retraités les plus pauvres. Au lieu de cela, le débat se déplacerait sur le remboursement de la dette. Quelle sera l’importance de nos excédents primaires? Croit-on sérieusement que le taux de croissance est indépendant de ce chiffre d’excédents? Le FMI comprend parfaitement que les deux chiffres sont liés.
 
(…) Notre dette pèse sur l’investissement et notre reprise (…).  Il ya une ironie cruelle dans le fait que le pays le plus affligés par la déflation (la Grèce, NDLR) est celui qui est exclu de la politique anti-déflation de la BCE (à cause d’une dette de 27 milliards auprès de la BCE, NDLR).
 
Notre proposition sur ce point est simple, efficace et mutuellement bénéfique. Nous ne demandons pas de nouvelles sommes d'argent, pas un euro frais, pour notre Etat. Imaginez l'accord tripartite suivant qui serait annoncé dans les prochains jours: 
Partie 1: Des réformes en profondeur, y compris le systèpe de frein automatique anti-déficit que j'ai mentionné.
 
Partie 2: Une rationalisation du calendrier de remboursement de la dette de la Grèce avec un nouveau prêt du MES (Mécanisme européen de stabilité, pour rembourser des obligations précédentes avec des réformes profondes NDLR) (…).
 
Partie 3: Un programme d'investissements pour relancer l'économie grecque financé par le plan Juncker, la Banque européenne d'investissement – avec lesquels nous sommes déjà en discussions – la BERD et d'autres partenaires qui seront invités à participer également à notre programme de privatisation et l'établissement d'une Banque de développement qui vise à développer, réformer.
 
Quelqu'un peut-il vraiment douter que ce plan en trois parties ne changerait pas radicalement l'ambiance, n’inciterait pas les Grecs à travailler dur dans l'espoir d'un avenir meilleur, et faire venir les investisseurs dans un pays dont les prix des actifs ont baissé de façon spectaculaire, et donner confiance aux Européens que l'Europe peut, même à la 11e heure, faire ce qu’il faut?
 
Chers collègues, à ce stade, il est trop facile de penser que rien ne peut être fait. Ne tombons pas dans cet état d'esprit. Nous pouvons forger un bon accord. Notre gouvernement est debout, avec les idées et la détermination à cultiver les deux formes de la confiance nécessaires pour mettre fin à la tragédie grecque: votre confiance en nous et la confiance de notre peuple dans la capacité de l'Europe à produire des politiques qui travaillent pour, et non contre, eux.»

(Les intertitres sont de la rédaction)

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.