Grèce : pourquoi l'argument de Tsipras sur l'annulation de la dette allemande est contesté
Le Premier ministre grec demande à l'Europe d'effacer la dette de son pays, comme elle l'a fait avec celle de l'Allemagne en 1953. Les deux situations sont pourtant très différentes, selon certains critiques.
"C'est en 1953 qu'a eu lieu le plus grand moment de solidarité européenne, lorsque la moitié de la dette allemande a été annulée." Par ces mots, Alexis Tsipras a une nouvelle fois demandé une restructuration de la dette grecque, lors d'une intervention devant le Parlement européen, mercredi 8 juillet. Le Premier ministre grec a repris un argument de l'économiste Thomas Piketty, qui dresse un parallèle entre la situation d'Athènes et celle de l'Allemagne, en 1953.
Thomas Piketty affirme ainsi que "l'Allemagne est LE pays qui n'a jamais remboursé ses dettes". "Elle n'est pas légitime pour faire la leçon aux autres nations", ajoute l'économiste, alors que Berlin s'oppose à une restructuration de la dette grecque.
Mais tout le monde ne partage pas cette analyse. Francetv info vous explique pourquoi cet argument n'est pas totalement convaincant.
Parce que l'Allemagne était en défaut de paiement depuis vingt ans
Alexis Tsipras et Thomas Piketty font tous deux référence à la réduction de 62% de la dette de l'Allemagne, alors en défaut de paiement, en 1953. Après l'accord de Londres, Berlin ne devait plus que 14,5 milliards de deutsche marks à ses créanciers, contre 39 milliards à l'origine.
Mais le contexte économique était différent, rappelle Business Insider (en anglais). La réduction de la dette a été aussi importante parce que l'Allemagne était en défaut de paiement depuis vingt ans. Les obligations issues du traité de Versailles de 1919 n'avaient pas été honorées, le paiement des intérêts des emprunts souscrits par la République de Weimar avait été suspendu au début des années 1930 et le pays avait encore contracté des emprunts auprès des Alliés après 1945.
Le site spécialisé estime ainsi que les créanciers de la Grèce auraient sans doute accepté de réduire la dette si le défaut de paiement avait été dramatique. Une situation qu'Athènes a bien sûr tout fait pour éviter. "La perspective de reconstruire entièrement l'accès au marché mondial du pays, même avec une dette moins importante, n'est pas particulièrement tentante", souligne Business Insider.
Parce que la réduction de la dette allemande servait un but géopolitique
La décision des créanciers de l'Allemagne a aussi été largement influencée par le contexte géopolitique de Guerre froide, alors que Joseph Staline, leader de l'URSS, venait de mourir. "Ce n'est pas par bonne volonté et par gentillesse que l'Europe a effacé les dettes allemandes, c'était le résultat de luttes de pouvoir", explique ainsi le politologue américain William Kindred Winecoff sur son blog Duck of Minerva (en anglais), cité par Slate.
En réduisant la dette de Berlin, les Européens voulaient "reconstruire une Allemagne saine et démocratique", qui soutiendrait le bloc occidental, confirme l'historien spécialiste de l'économie Timothy Guinnane, dont les propos sont repris par Business Insider.
Cette mesure permettait en outre au bloc de l'Ouest de renforcer l'économie européenne dans son ensemble. "Avant la première guerre mondiale, l'économie allemande était au centre de l'économie européenne, rappelle Timothy Guinnane. Une Europe en bonne santé ne pouvait pas exister si l'Allemagne était en difficulté."
La réduction de la dette grecque, aujourd'hui, n'est pas négociée dans un tel contexte géopolitique. Au lieu d'avantager les Européens, elle risquerait même de compliquer les relations entre les Etats-membres, selon William Kindred Winecoff. "L'Union ne peut pas se fonder sur le principe que certains membres peuvent emprunter et ne pas rembourser, alors que les autres regardent sans réagir", estime le politologue.
Parce que la Grèce ne peut pas réaliser d'excédent budgétaire
Dernier élément qui change la donne, selon Slate : lors de son occupation par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et l'URSS, à la fin de la seconde guerre mondiale, l'Allemagne a accepté de "restructurer son système politique et économique de fond en comble".
En contrepartie de la réduction de sa dette, Berlin a dû promettre de maintenir "une balance commerciale positive et un excédent budgétaire, ce qui garantissait des exportations subventionnées vers les pays européens", explique William Kindred Winecoff.
Une condition qu'Athènes aurait bien du mal à remplir, selon Business Insider. La balance commerciale de la Grèce est largement déficitaire et le choix de l'Union de maintenir un euro fort encourage le pays à importer des biens. "Il serait raisonnable de conclure que, du point de vue des créanciers (...), le pays n'arrivera pas à se transformer en poids lourd du commerce mondial", conclut le site spécialisé.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.