Crise grecque : l'Allemagne a-t-elle la mémoire courte ?
Après le non au référendum grec, la chancelière Angela Merkel se montre très dure vis-à-vis des Grecs. Pourtant, beaucoup soulignent que l'Allemagne elle-même a bénéficié d'un effacement de sa dette par le passé.
"L'Allemagne est LE pays qui n'a jamais remboursé ses dettes. Elle n'est pas légitime pour faire la leçon aux autres nations." La petite pique de Thomas Piketty, l'un des économistes les plus influents au monde, ne passe pas inaperçue, mardi 7 juillet, deux jours après le non au référendum grec et à quelques heures d'un sommet extraordinaire des pays de la zone euro à Bruxelles.
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Dans la zone euro, Angela Merkel est connue comme la chef de file des tenants de la ligne dure : pour l'Allemagne, la Grèce doit appliquer les mesures d'austérité, rembourser sa dette, ou quitter la zone euro. Cette position inflexible est critiquée par Thomas Piketty, favorable à une restructuration de la dette grecque. Le Français a accordé une interview au quotidien allemand Die Zeit (en allemand). Il estime que "les conservateurs, en particulier en Allemagne, sont sur le point de détruire l'Europe et l'idée européenne, tout ça à cause de leur ignorance choquante de l'histoire". A-t-il raison, et si oui, dans quelle mesure ?
La Grèce, créancière clémente de l'Allemagne en 1953
Première piqûre de rappel : le 27 février 1953, vingt et un créanciers de la République fédérale d'Allemagne (RFA) se réunissent à Londres. Le pays est en défaut de paiement. En cause, des obligations issues du traité de Versailles de 1919 jamais honorées, des emprunts souscrits par la République de Weimar dont le paiement des intérêts avait été suspendu au début des années 1930, et des emprunts contractés après 1945 auprès des Alliés.
Mais la montée du nazisme sur fond de lourdes indemnités à rembourser est encore dans toutes les têtes. Alors les créanciers décident d'un effort exceptionnel. La dette est réduite de 62% : elle passe de 39 milliards à 14,5 milliards de Deutsche Marks. Un moratoire de cinq ans sur les paiements et un délai de trente ans pour les rembourser sont également accordés, ainsi qu'une réduction des taux d'intérêt.
Parmi les créanciers cléments de la RFA, il y a la Suisse, les Etats-Unis, le Canada, l'Iran, la France et… la Grèce. Alexis Tsipras n'a pas manqué de s'en souvenir dans Le Monde diplomatique, en 2013, alors qu'il n'était pas encore Premier ministre. "C'est précisément ce que la Coalition de la gauche radicale grecque [Syriza, qu'il dirige] propose aujourd'hui : (...) nous inspirer de l'un des plus grands moments de clairvoyance qu'ait connus l'Europe d'après-guerre", écrit-il.
L'Allemagne a laissé une ardoise en Grèce
La Grèce ravive un autre souvenir de guerre douloureux : pendant la seconde guerre mondiale, les Allemands ont pillé les ressources grecques. En 1941, les nazis imposent à la Banque centrale grecque, comme ils l'ont fait dans d'autres pays, un prêt de 476 millions de Reichsmarks au titre des contributions à l'effort de guerre. Cette créance vaudrait aujourd'hui l'équivalent d'environ 80 milliards d'euros, a calculé dans Die Welt (en allemand), en février 2012, l'ex-eurodéputé Daniel Cohn-Bendit.
Mais l'Allemagne estime qu'elle ne doit rien du tout. Berlin s'appuie sur l'accord de paix qui scelle la réunification de la RFA et de la RDA, signé en 1990. Cet accord exonère l'Allemagne de certaines réparations, dont celles qu'elle aurait dû payer à la Grèce. "Le chancelier Kohl a refusé de payer les réparations liées à la seconde guerre mondiale, à l'exception des indemnités versées aux travailleurs forcés", rappelle L'Obs. Sinon, c'était la faillite assurée.
Une comparaison "glissante" et "dangereuse"
Pour les tenants d'une solution négociée avec Alexis Tsipras, l'exemple historique de 1953 prouve surtout qu'on a déjà pu annuler ou restructurer la dette d'un pays en Europe. Et que l'inflexibilité allemande est quelque peu paradoxale. "L'Allemagne est vraiment le meilleur exemple d'un pays qui, au cours de l'histoire, n'a jamais remboursé sa dette extérieure, ni après la première, ni après la seconde guerre mondiale", écrit Thomas Piketty. Le débat agite les consciences. A tel point que certains ont créé une carte représentant le nombre de faillites d'Etat subies par les pays européens depuis 1800.
(excellent) graphe allemand sur nombre faillites d'Etat subies par les différents pays depuis 1800. #grexit ;-) pic.twitter.com/6Qh2RaEh6O
— Guillaume Duval (@gduval_altereco) 2 Juillet 2015
C'est la démonstration que dans le cas de la Grèce, rembourser sa dette "n'est pas un commandement aussi impératif que cela", selon Xavier Timbaud, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), contacté par francetv info.
Toutefois, Xavier Timbaud ne souhaite pas prolonger cette comparaison, qu'il qualifie de "glissante", voire "dangereuse". "L'effacement des dettes correspond à l'effacement d'une histoire terrible pour l'Europe et l'Allemagne. Il illustre la volonté d'un redémarrage sans porter les dettes du passé, estime-t-il. On ne peut pas appliquer cette situation en l'état à la Grèce."
"Comparaison n'est pas raison"
"Nous ne pouvons demander que les nouvelles générations doivent payer pendant des décennies pour les erreurs de leurs parents. Les Grecs ont fait, sans le moindre doute, de grosses erreurs", insiste de son côté Thomas Piketty. "J'ai beaucoup de respect pour lui, et je comprends sa position, mais elle est provocatrice. Ce n'est pas la meilleure façon de provoquer un consensus", juge Xavier Timbaud.
Le constat est unanime : l'intransigeance du FMI et la rigidité de l'Allemagne ont contribué à creuser la dette grecque. "Mais ce sont avant tout les gouvernements grecs qui ont laissé s'installer un Etat faible, poursuit Xavier Timbaud. Aujourd'hui, annuler la dette grecque, c'est faire un cadeau à la Grèce, mais au détriment des créanciers. Or, on doit considérer les intérêts de tout le monde." Comparaison n'est pas raison, rappelle l'économiste. Le vieux proverbe prend ici tout son sens.
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