La dette grecque va-t-elle peser sur les Européens ?
«La boule de neige grossit et rend la difficulté de plus en plus grande et la croissance est de moins en moins là», avait déploré en septembre 2011 Dominique Strauss-Kahn, après ses ennuis judiciaires. Pour l'ancien patron du FMI, il fallait «accepter de reconnaître qu'il faut prendre sa perte», à propos de la masse de dettes grecques. «Tout le monde doit la prendre, les Etats et les banques», avait-il insisté. Une proposition que, notamment, le Premier ministre français de l’époque François Fillon avait trouvé irresponsable.
Que veulent l’Europe et le FMI pour la Grèce ?
L’hiver 2011, les créanciers privés avaient accepté de perdre une partie des sommes qu’ils avaient prêtées à l’Etat hellène. Aujourd'hui, le FMI parle de décote sur la dette grecque (en clair les créanciers doivent faire une croix sur une partie de la dette), alors que les Européens ne veulent pas en entendre parler.
C’est le FMI qui a décidé de mettre la question sur la table, estimant qu’il ne financerait plus le pays si on ne règle pas la question du niveau de cette dette. Le FMI refuserait de débourser la prochaine tranche d'aide, sans garantie sur l'échéance. «Ce qui est crucial pour nous, c'est la viabilité du déficit grec. Cela veut dire qu'en 2020, nous voulons voir la dette grecque à 120% du PIB», a expliqué un porte-parole du FMI à la mi-novembre.
«Le problème de la dette grecque devra être réglé», a affirmé Christine Lagarde, la patronne du FMI, alors que la dette du pays a déjà bénéficié en mars de la plus grande restructuration de l'Histoire, avec l'effacement de 107 milliards d'euros de créances détenues par les investisseurs privés.
Le FMI a officiellement toujours botté en touche, mais des sources internes assurent que le soutien financier à Athènes a atteint ses limites. «Tout fonds additionnel viendra exclusivement de l'Europe. Le FMI a épuisé toutes ses possibilités» de prêts, a récemment indiqué le représentant grec au Fonds.
De son côté, la Grèce espère un compromis entre ses créanciers, UE et FMI, portant sur une réduction de sa dette souveraine à 124% du PIB en 2020, alors que le FMI parlait de 120%. Selon les prévisions d'Athènes, la dette devrait atteindre 340,6 milliards d'euros, soit 175,6% du PIB, à la fin de l'année 2012, et devrait s'élever à 357,7 milliards d'euros, soit près de 191% du PIB, en 2015.
Dans les discussions qui l’oppose aux Européens, «Le FMI a accepté que la dette grecque soit considérée comme soutenable si elle atteint 124% du produit intérieur brut (PIB) en 2020».
«L'Eurogroupe a déjà trouvé un terrain d'entente pour réduire la dette grecque à 130% du PIB d'ici 2020, donc il reste l'équivalent de 5 à 6 points de pourcentage du PIB à négocier, soit environ 10 milliards d'euros», selon un responsable grec. Une somme à rapprocher du fait que «Français et Belges se sont mis d'accord le 8 novembre pour recapitaliser la banque Dexia de 5,5 milliards d'euros, en sus des 6,5 milliards apportés en 2011», rappelait Paul Jorion dans le Monde.
Comment faire ?
Selon un document rédigé en vue de la réunion de l'Eurogroupe, qui avait été consulté par Reuters, ramener la dette grecque à 120% du PIB d'ici 2020 supposerait que les pays de la zone euro acceptent de passer en perte une partie de leurs prêts à Athènes, ce que refusent l'Allemagne et d'autres membres de la zone euro.
Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, a déclaré que «parler d'une décote (ce que préconise en fait le FMI) n'a pas grand-chose à voir avec la réalité des Etats membres de la zone euro. Les Etats ne peuvent pas légalement simplement effacer des milliards d'euros de pertes sur les obligations grecques qu'ils détiennent.»
A défaut de cette décote, (en clair rayer d’un trait de plume une part de la dette), il existe des solutions qui permettent en partir d’arriver au même résultat, sans avouer aux contribuables qu’une partie de la dette n’est pas remboursée et que ce sont eux qui vont payer.
Techniquement, les Européens pourraient s’entendre sur plusieurs mesures : restitution par la Banque centrale européenne (BCE) de neuf milliards d'euros de profits réalisés sur les obligations d'Etat grecques qu'elle détient, réduction du taux d'intérêt des prêts accordés à Athènes et report de leur échéance. Solutions qui permettent aussi à l’Europe de financer les deux années qu’ils ont donné à la Grèce pour qu’elle puisse respirer un peu.
Les risques ?
Jusqu'à présent les soutiens à la Grèce n'avaient guère pesé sur les finances publiques des Etats européens, grâce à des montages complexes (FESF, MES) jouant sur des effets de levier.
Les Etats n'ont eu qu'à garantir les emprunts de ces fonds. La France est ainsi impliquée à hauteur d'un peu plus de 20%. Le Figaro rappelle que lors de son départ de Bercy, François Baroin avait affirmé qu'en cas de défaut de la Grèce, «il en résulterait une perte nette de 50 milliards pour les finances publiques».
Pour le conservateur allemand Norbert Barthle, député de la CDU, un tel abandon de créance coûterait de l'argent. Mais surtout, selon lui, «cela enverrait un signal désastreux à l'Irlande, au Portugal voire à l'Espagne, qui se demanderaient immédiatement pourquoi eux doivent accepter de mettre sur pied de difficiles mesures» d'austérité.
Le chef de la gauche allemande a, lui, décidé de mettre les pieds dans le plat en critiquant la chancelière. «Vous avez trop longtemps fait la danse des sept voiles (...) avec pour mélodie "Pas un cent pour les Grecs" ─ c'était en 2010 ─, puis renouvelée avec "Pas d'argent supplémentaire pour Athènes"», a lancé M. Steinbrück, dans un discours très offensif devant les députés du Bundestag. «Le trou financier (de la Grèce) ne peut plus être comblé» sans aide extérieure. «Nous sommes depuis longtemps dans une union où chacun se porte garant de chacun, dites-le enfin aux contribuables allemands», a-t-il lancé à Mme Merkel.
«Il faut un allègement concret de la dette grecque et pas un simple report du service de la dette», a-t-il poursuivi. Et pour appuyer ses propos, le leader de l’opposition a menacé de bloquer certains textes sur l’Europe.
Il n'est pas sûr que ce discours soit entendu, alors que le poids des réformes budgétaires, imposées par la Troïka, a plongé la Grèce dans une profonde récession. Tous les indicateurs sont à la baisse... à l'exception des suicides. En 2009, on avait recensé 677 tentatives, en 2010, le chiffre est passé à 830 et pour l'année 2011, il y a eu 927 tentatives de suicide, a déclaré le ministre de l'Ordre public, Nikos Dendias, en réponse à une question de parlementaires. La tendance devrait se poursuivre cette année: selon les statistiques arrêtées au 23 août, la police a enregistré 690 tentatives de suicide. Comme quoi les prévisions ne concernent pas que la dette.
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