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Haïti, ce qu'il reste du séisme

EN IMAGES - Frappé par un tremblement de terre dévastateur le 12 janvier 2010, Haïti ne s'est pas encore totalement relevé. Trois ans après, presque plus de décombres en vue mais la reconstruction, malgré l'omniprésence des ONG, avance au ralenti. État des lieux à Port-au-Prince.
Article rédigé par Cécile Quéguiner
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Franceinfo (Franceinfo)

En atterrissant à Port-au-Prince il y a quelques semaines, on s'attendait à découvrir une ville encore terrassée par le séisme du 12 janvier 2010, toujours envahie de gravats et de murs de guingois. Mais, ces tout derniers mois, la capitale a retrouvé des couleurs.

"Port-au-Prince est presque redevenu pimpant"

L'aéroport est flambant neuf. Les trois quarts des 10 millions de m3 de débris ont été déblayés. Etape symbolique de ce processus de résilience urbaine : le palais présidentiel, caché derrière des palissades vertes, a enfin été démoli cet automne par JPHRO,  l'organisation humanitaire de Sean Penn. "Port-au-Prince est presque redevenu pimpant ", estime Charlotte, une psychologue française, venue deux fois pour MSF depuis le tremblement de terre. 

Mais, la reconstruction ne peut s'arrêter à des chantiers de démolition et quelques peintures murales. Un rapport de la FIDH en novembre pointait un échec : "L'argent a été dépensé de manière dispersée , analysait l'une des rédactrices de ce rapport sur RFI. Il a permis sans doute de sauver des vies, mais pas de reconstruire le pays ".  

La reconstruction ? Un vain mot

"Ici, à Pétionville, on reconstruit. Mais ce sont des grands hôtels, des supermarchés, des boutiques , pour les riches, s'insurge Jean Éliatus, moto-taxi, devant l'hôtel de luxe Royal Oasis dont la construction se termine tout juste. *Ce sont des édifices pour les riches.  Mais pour les pauvres, le pouvoir central n'a pas de plan. On a déblayé les ruines, mais on n'a rien fait de concret * ". 

Le concret, ce sont souvent les habitants eux-mêmes qui l'assument, en réparant leurs maisons ébranlées, tant bien que mal. Les ONG d'architectes aussi isolément reconstruisent ou rénovent çà et là, des écoles, des maternités, des centres de soin, ou des maisons individuelles. Pour le reste en effet, les initiatives gouvernementales se font rares... et mal pensées. 

Croisé sur la route de Mirebalais, à une vingtaine de kilomètres au de Port-au-Prince, sur la plaine poussiéreuse et entièrement déboisée de Morne-à-Cabris, ce qui devait être "le village de la renaissance ", seul programme de reconstruction initié par l'Etat. Des alignements de cubes de béton destinés à accueillir les sans-abris. Faute de supervision, le chantier, confié à une société dominicaine, a du retard. 1.250 maisons ont été construites, sur un total annoncé de 4.000.

Surtout, les couleurs vives qu'elles arborent peinent à masquer l'évidence : l'hérésie d'avoir planté là, loin de tout, ces blocs, "garantis antisismiques et anticycloniques", mais s'apparentant à des cages à lapins avec leurs 10 m² de surface pour des familles de six personnes en moyenne. Un bidonville en puissance, quand les couleurs auront été délavées par le temps...

"L'erreur" des T-shelters

C'est la bête noire de Patrick Coulombel, président de la fondation Architectes de l'urgence : les T-shelters, T comme transitional. 

"*C'est de la cabane un peu améliorée qui a été posée là un peu n'importe comment sur un trou, qui est temporaire, n'a aucun pérénnité, mais qui bloque définitivement la possibilité d'aider les gens à faire de la reconstruction , tempête-t-il sans relâche. D'autant que ces cabanes sont des rez-de-chaussée, alors que tout autour, vous avez des maisons à étages, et ce n'est pas un hasard : il y a un problème d'espace, et là, on l'aggrave* ". 

Selon le dernier bilan de l'Organisation internationale des migrations, on compte plus de 110.000 T-shelters dans Port-au-Prince. Faciles à reconnaître, car la façade a toujours le même modèle : une porte, une fenêtre, des murs en contreplaqués. Des cabanes, majoritairement importées, à 4.500 euros pièce environ, qui occupent le foncier dans une ville qui en manque cruellement. "Mais comment va-t-on maintenant déloger des gens qui y habitent pour construire autre chose ?  interroge Patrick Coulombel. C'est ingérable ". Du provisoire... amené à durer. 

"Dans cinq ans ? Les T-shelters sont en ruine"

"Les bailleurs, avec les organisations humanitaires et les Nations unies ont en quelque sorte géré la ville comme un camp de réfugiés, comme des gros bourrins de l'humanitaire ", dénonce l'architecte qui affirme être capable avec sa fondation de construire des m² de logement au même prix, mais "en dur et définitif ". Car sa fondation mise sur l'autoconstruction, c'est-à-dire la reconstruction pour et avec les habitants, afin de réduire les coûts et d'enclencher un cercle vertueux en les formant aux techniques de construction parasismiques notamment.

> Relire Haïti : trois ans après le séisme, une école pour l'avenir

L'avenir de ces myriades de T-shelters ? "Dans cinq ans, ils sont en ruine ", parie le président d'Architectes de l'urgence, regrettant amèrement qu'Haïti et la communauté internationale n'aient pas saisi l'opportunité après le séisme de repenser cette ville qui faisait déjà avant 2010 partie des plus sinistrées au monde.  

Encore 330.000 Haïtiens sous tente

Mais il y a encore pire que la cabane : la tente. C'est pourtant vrai, des camps ont disparus. Rayés de la carte, vidés, à l'instar du plus emblématique, sur le Champs-de-Mars devant la présidence, qui abritait sous ses bâches, il y a encore un an, près de 20.000 personnes et 500 entreprises informelles. 

"On a fermé des camps pour ne plus les voir"

Le gouvernement pour cela délivre à chaque famille la somme d'environ 20.000 gourdes, l'équivalent de 12 mois de loyers, pour l'inciter à vider les lieux. Mais faute d'emplois et de perspectives, que va t-il se passer après ? Selon Geneviève Jacques de la FIDH, interrogée par RFI, "on a fermé des camps pour ne plus les voir. On les a enlevés des lieux visibles, des places publiques, et les gens se retrouvent dans des bidonvilles, plus loin, dans des conditions encore plus précaires qu'avant ". 

Elsie, rescapée du séisme, a par chance profité de trois années d'aide, qui lui ont permis de quitter rapidement après le séisme la tente qui rendait sa fille, allergique, malade, pour loger ses trois adolescents dans une maison rudimentaire mais avec vue sur la mer. Cette aide s'arrête dans quelques mois. Et ce ne sont pas ses ménages payés quelques centimes d'euros qui vont lui permettre de retrouver un toit. Paradoxalement, l'habitat dans cette ville qui semble majoritairement de bric et de broc est très cher. 

"Les camps, une alternative immobilière pour les plus pauvres"

C'est pourquoi de nombreux camps de bâches demeurent, comme enracinés dans la ville. Selon l'Organisation internationale des migrations, il en restait en décembre encore 496 dans tout le pays, abritant 330.000 réfugiés. Comme l'écrit l'ONG Solidarités dans un rapport intitulé La reconstruction de Port-au-Prince, "il font partie désormais de l'offre immobilière pour les plus pauvres. A l'intérieur, petits cafés, commerces, prostitution, restaurants... La vie s'organise, la survie en dépend ". 86% des habitants de leurs habitants sont au chômage. 

"On dort à quatre dans un même lit, sous la tente. Toutes serrées, toutes coincées"

Ginette vit dans un de ces camps, installé sur une colline de Tabarre, l'un des quartiers de Port-au-Prince. Elle a 40 ans, mais en paraît dix de plus. Sans emploi, elle partage avec ses trois filles une tente de bâches, siglées USAid, comprenant, à droite, un réchaud, à gauche, un lit d'une place... pour quatre. "On dort  toutes serrées, toutes coincées ", dit-elle. 

"Mais le pire, c'est la boue, l'humidité, pour les enfants ", conclut cette mère, résignée. La morne (colline en Haïti) sur laquelle est accrochée le camp est ravinée par les pluies. Les tentes sont posées à même la terre. Et au bout de trois ans, les bâches distribuées par les ONG, en bout de course, laissent passer la pluie. 

 

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