Cet article date de plus de quatre ans.

Condamnation de Fariba Adelkhah : "Il s'agit d'une décision strictement politique, pour ne pas dire idéologique", dénonce son comité de soutien

Le professeur Jean-François Bayart rapporte que Fariba Adelkhah a refusé de négocier avec le régime qui lui faisait miroiter une libération sous conditions "si elle renonçait à ses recherches et peut-être même à sa nationalité iranienne".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
La chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah, en 2012. (THOMAS ARRIVE / SCIENCES PO / AFP)

Détenue depuis juin 2019 en Iran, la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah a été condamnée à 5 ans de prison pour "collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale", alors que la France réclamait sa libération. "Il s'agit d'une décision strictement politique, pour ne pas dire idéologique", réagit samedi 16 mai sur franceinfo, Jean-François Bayart, professeur à l’institut des hautes études internationales et du développement à Genève (IHEID), et coordinateur du comité de soutien à Fariba Adelkhah. Cette condamnation intervient près de deux mois après la libération de son collègue et compagnon, Roland Marchal.

franceinfo : Quelle est votre réaction ce matin à l'annonce de la condamnation de votre consœur ?

Jean-François Bayart : La colère, bien entendu. De toute façon, sur le plan strictement juridique, cette affaire n'a aucun sens. Les conditions même du "procès", avec énormément de guillemets, sont absolument hors norme du point de vue du droit international. Donc il ne s'agit naturellement pas d'une décision judiciaire, mais d'une décision politique, qui s'explique sans doute en partie, par la détermination de Fariba Adelkhah à défendre la liberté scientifique en Iran et au-delà.

Sa condamnation pour "collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale", c'est du pipeau. Sauf à considérer que l'anthropologie nuit à la sécurité nationale de quelque pays que ce soit. 

Jean-François Bayart, professeur à IHEID de Genève, et coordinateur du comité de soutien à Fariba Adelkhah

à franceinfo

Fariba Adelkhah n'a jamais été qu'une anthropologue complètement indépendante politiquement, économiquement et intellectuellement. C'est un esprit libre et extraordinairement professionnel du point de vue des sciences sociales, et c'est bel et bien ce qui lui est reproché. D'ailleurs, le régime lui a laissé entendre qu'elle pourrait être libérée sous conditions si elle renonçait à ses recherches et peut-être même à sa nationalité iranienne en étant expulsée vers la France, privée de passeport. Ce à quoi elle se refuse avec détermination, car ce serait reconnaître une culpabilité. Mais elle entend bien continuer à faire son métier de chercheuse en Iran et c'est apparemment ce qui lui est reproché.

Quels leviers activer pour obtenir sa libération ? La diplomatie, un procès en appel ?

De toute manière, l'avocat va faire appel. Nous n'avons pas de relations directement avec lui, mais il l'a dit publiquement en Iran. Et il faut savoir qu'en Iran, la peine en appel ne peut pas être aggravée, contrairement à ce qu'il se passe par exemple en France. Donc, il y a la voie judiciaire, mais là aussi avec des guillemets. Car encore une fois, il s'agit d'une décision strictement politique, pour ne pas dire idéologique. Pour son procès par exemple, nous savons qu'il y a eu une audience de deux heures et il faut savoir aussi que Roland Marchal, de retour en France, a appris qu'il avait été condamné à la prison sans jamais avoir rencontré un juge. Tout ça naturellement relativise les choses. Il ne s'agit pas véritablement d'un procès au sens où nous l'entendons dans la plupart des pays de ce monde. Le fait, par exemple que la défense n'a aucun droit véritable, ni d'accès au dossier, ni de plaidoirie, etc. Donc le terme de "procès" est assez déplacé. Il y a aussi la voie de la négociation, entre guillemets à nouveau, à l'amiable. Mais Fariba Adelkhah est droite dans ses bottes. Elle entend reprendre sa recherche, interrompue par son arrestation l'année dernière. Et puis, il y a une autre voie qui est la voie diplomatique, mais qui n'a rien à voir. En effet, les autorités françaises se sont engagées avec détermination dans ce processus depuis l'arrestation de Fariba Adelkhah. Elles ont déjà obtenu la libération de Roland Marchal. Elles vont certainement continuer à travailler, mais naturellement, nous n'avons aucun élément, ce qui est compréhensible.

Avez-vous des nouvelles de Fariba Adelkhah ?

Nous savons qu'elle a été extraordinairement combative, déterminée, parfaitement lucide. Naturellement, elle a été affaiblie par sa très longue grève de la faim. Elle s'occupe du fond de la bibliothèque de la section féminine de la prison d'Evin. Elle écrit et traduit de la poésie. Elle travaille son arabe et elle espère recevoir des CD de son professeur de droit islamique à l'Université de Rome, dont elle suivait les cours.

Elle est extrêmement active, en pleine possession de ses moyens intellectuels et moraux. Elle a un très grand courage politique et intellectuelle. 

Jean-François Bayart

Mais elle est affaiblie par sa longue grève de la faim, ce qui, naturellement, fait d'elle une victime toute désignée du coronavirus, si celui-ci rentre dans la prison.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.