: Interview Iran : après la libération temporaire de Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix 2023, son avocate souligne que "son sort est aléatoire"
Depuis un mois, la militante et journaliste iranienne Narges Mohammadi est libre. La prix Nobel de la paix 2023 a été libérée temporairement de prison pour raison médicale, en raison notamment de l'ablation d'une tumeur. Narges Mohammadi, qui se bat depuis plus de 25 ans contre le port du voile obligatoire et pour le droit des femmes, était emprisonnée dans une geôle de Téhéran, capitale de la République islamique. Mais son sort reste toujours incertain, alors que le comité Nobel et l'ONU appellent à sa libération définitive. Franceinfo a interrogé samedi 4 janvier son avocate, Chirinne Ardakani, également membre du collectif Iran Justice.
franceinfo : Quelle est la situation de Narges actuellement ? Elle est temporairement libre, mais est-ce un sursis ?
Chirinne Ardakani : Déjà, il faut comprendre qu'il s'agit d'une permission pour motif médical. En revanche, ce n'est ni une mesure de clémence, ni une mesure de faveur. Cette libération temporaire est liée à son état de santé. Le médecin judiciaire a autorisé une permission de 3 semaines à partir du 4 décembre suite à une intervention chirurgicale. On lui avait décelé tardivement dans la jambe droite une tumeur et c'est le retard des soins qui a nécessité le mois dernier une intervention chirurgicale. Si cette intervention a pris du retard, c'est parce que Narges a refusé d'être transférée aux conditions imposées par le régime qui subordonnait son transfert au port du voile.
Au départ, c'était une permission de 21 jours, alors que l'avis médical disait trois mois minimum. Lorsque le 25 décembre dernier, cette permission a pris fin, on a sollicité de nouveau, par l'entremise de son avocat iranien, la prolongation de cette première permission. Pendant quelques jours, les autorités locales étaient fermées en raison de la pollution atmosphérique à Téhéran. Donc, certains services, dont celui qui est chargé de statuer sur cette demande de prolongation, sont pour le moment fermés.
On est rentré dans une phase d'insécurité juridique puisque, officiellement, elle est censée réintégrer la prison. Pour le moment, son sort est aléatoire. Mais il est surtout entre les mains très arbitraires des autorités qui doivent statuer sur cette prolongation.
Que peut-elle faire de cette liberté surveillée et temporaire ?
Elle est libre de pouvoir circuler même si normalement, elle aurait déjà dû rentrer dans sa prison. Comme nous sommes dans une dictature en Iran, il est évident qu'elle est sous surveillance. Son domicile est sous surveillance. Elle est libre de ses mouvements, mais elle ne peut pas quitter le territoire. Elle est libre de sa parole, mais avec parcimonie. Elle a réalisé quelques interviews, mais en sachant qu’à chaque fois qu'elle parle à la presse, qu'elle critique la République islamique, ce sont autant de charges qui s'accumulent à son dossier. Elle fait l'objet d'un harcèlement judiciaire qui fait que chaque mois environ, elle a de nouvelles charges contre elle. Dès qu’elle parle, elle en paye le prix. Elle a déjà été condamnée à une peine de plus de treize ans de prison.
"De nombreux militants iraniens et de la société civile iranienne viennent la voir ou échangent avec elle. Ils la remercient pour ses efforts et viennent lui exprimer plus ou moins clandestinement leur solidarité, car il faut comprendre que chaque personne qui vient la visiter est surveillée. C’est cela, la République islamique."
l'avocate Chirinne Ardakanià franceinfo
Comment expliquez-vous cette force qui est la sienne. Quand elle est sortie de prison en décembre, elle a crié "femmes, vie, liberté" ?
Ce qu'elle dit, c'est que la vie doit l'emporter malgré la République islamique. La mort, c'est ce que sème ce régime, avec une répression extrêmement forte du mouvement femmes, vie, liberté. Elle le dit d'ailleurs dans son interview pour le magazine Elle (publiée le 2 janvier). Narges décrit à quel point la prison politique, le quartier des femmes de cette prison politique, est un lieu de violence, un lieu où s'exerce la continuation du pouvoir dictatorial. C'est un lieu où les prisonniers politiques sont assujettis à des violences sexuelles, à la torture blanche en isolement, là où les détenus sont déshumanisés. Et elle dit que malgré cette opération de répression de la République islamique, les prisonnières politiques continuent de s'organiser pour avoir un semblant de normalité de leur vie. Elles dansent, elles chantent, elles se battent, par exemple pour avoir accès à des livres, à une bibliothèque.
Lorsqu’elle a eu ces premiers mots, "femmes, vie, liberté", elle a voulu montrer à ses bourreaux que non, ils ne sont pas parvenus à briser cet état d'esprit de résistance et de vie. C’est un contraste saisissant : elle apparaît sur un brancard, elle sort d'une ambulance et malgré tout, elle donne l'image d'une femme qui refuse de se résigner et qui apparaît combative.
Est-ce qu’elle pense que le régime des mollahs est plus fragile aujourd’hui , après ce qui s’est passé en Syrie ?
Je ne peux pas parler à la place de Narges Mohammadi, mais j'ai discuté avec elle ces derniers jours. Elle est convaincue que ce mouvement-là, comme tous ceux qui ont essaimé la société iranienne sur les dernières décennies, finiront par aboutir. Évidemment que le chemin est long et qu'elle ne néglige pas la force de ce régime qui est un régime violent, avec cet appareil militaire et de miliciens fanatisés. Mais néanmoins, c’est un régime qui est fragilisé à la fois au plan international. La séquence d'aujourd'hui n'est pas favorable pour la République islamique, mais surtout parce que quelque chose a changé véritablement en profondeur dans la société iranienne.
"La génération de ceux qui payent cette répression épouvantable, avec des pendaisons qui se poursuivent, a ses propres martyrs. Cela a profondément choqué une partie de la population qui, véritablement, a rompu avec la République islamique. C'est un facteur d'espoir."
l'avocate Chirinne Ardakanià franceinfo
Quel message veut-elle qu'on retienne de cet engagement ?
Le message de Narges Mohammadi, c'est qu'il faut criminaliser dans le droit international l'apartheid de genre qui sévit en Iran et en Afghanistan. C’est-à-dire qu'il faut mettre en place une diplomatie des droits humains, une diplomatie féministe qui fasse en sorte de mettre au ban des nations les États comme celui de la République islamique, comme celui des talibans, qui méconnaissent le droit des femmes. Ce que dit Narges Mohammadi, c'est qu'il n'y a pas de démocratie possible quand on assujettit les femmes à des lois de domination, ou qui nient leurs droits fondamentaux.
La prise de pouvoir en Syrie, d'un certain nombre de groupes qui sont, malgré tout, des groupes islamistes, doit nous inquiéter. La République islamique, en 1979, lorsqu'elle prend le pouvoir, fait croire au monde entier qu'il était possible de parvenir à une démocratie. Or, une démocratie n'est jamais possible quand on a des groupes qui confondent la loi religieuse et la loi civile et qui, in fine, s'attaquent aux droits des femmes.
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