Pourquoi vous devriez vous intéresser aux élections législatives en Italie
Les Italiens votent dimanche pour élire leurs députés et leurs sénateurs. L'extrême droite, alliée au parti Forza Italia de Silvio Berlusconi, a le vent en poupe, ainsi que l'inclassable Mouvement 5 étoiles, dirigé par le jeune Luigi Di Maio.
Une nouvelle élection guettée avec anxiété en Europe. Dimanche 4 mars, les Italiens élisent leurs députés et leurs sénateurs dans un paysage politique morcelé. Difficile, néanmoins, de deviner quel gouvernement sortira des urnes, les coalitions pouvant s'avérer changeantes.
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Trois grands blocs sont en lice : la coalition de droite, qui rassemble plusieurs partis, dont celui de Silvio Berlusconi, Forza Italia, et la Ligue (ex-Ligue du Nord, extrême droite) ; l'inclassable M5S (Mouvement 5 étoiles) ; et enfin, le rassemblement de centre-gauche, qui comprend essentiellement le Parti démocrate.
Ces élections pourraient avoir des retentissements dans les autres pays européens, notamment en France. Voici cinq raisons pour lesquelles vous devriez vous y intéresser.
Parce que Berlusconi est omniprésent
A 81 ans, l'ancien homme fort de l'Italie a fait son grand retour dans cette campagne électorale. Mais l'inoxydable Silvio Berlusconi ne sera pas élu : il est en effet inéligible jusqu'en 2019 après sa condamnation pour fraude fiscale. Pourtant, c'est bien lui qui a mené la bataille pour son parti Forza Italia. "L'ère Berlusconi n'est pas terminée", prévient Le Figaro. Les derniers sondages disponibles, publiés quinze jours avant le vote, créditent le bloc de droite de 37% des intentions de vote, dont 17% à son parti.
Le "Cavaliere" a choisi Antonio Tajani pour diriger le gouvernement en cas de victoire. Actuel président du Parlement européen, ce Romain de 64 ans est un proche du magnat des médias depuis les années 1990, avec qui il a participé à la fondation de Forza Italia.
Pourtant si c'est bien cette coalition qui arrive en tête, il lui sera "difficile de gouverner avec ses partenaires" explique dans Le Figaro Paolo Biondani, journaliste à L'Espresso. Car aux côtés de Forza Italia se trouvent d'autres formations politiques dont les objectifs ne sont pas forcément les mêmes.
Parce que l'extrême droite a le vent en poupe
La défiance croissante des Italiens vis-à-vis des politiques à la manœuvre depuis des lustres profite à la droite. Mais plus encore à l'ancienne Ligue du Nord, devenue en janvier Ligue tout court, sous l'impulsion de son dirigeant, Matteo Salvini, âgé de 44 ans. Les derniers sondages créditent ce parti d'environ 13% des voix.
Son changement de nom officialise un changement de ligne. "Il a abandonné les objectifs fédéralistes qui caractérisaient originairement le mouvement pour faire de son parti une formation souverainiste et xénophobe [qui] l'apparente de plus en plus aux partis européens d'extrême droite", analyse dans Le Monde la politologue Sofia Ventura. Car l'objectif est désormais de conquérir les votes de ce Mezzogiorno (le sud de l'Italie) dont la Ligue du Nord voulait autrefois se séparer. "La Ligue était au départ anti-sud du pays, Salvini l'a transformée en mouvement national", synthétise Marc Lazar, directeur du Centre d’histoire de Sciences Po et spécialiste de la politique italienne. Une transformation qui s'est avérée être un succès, puisque "ce nouveau chef a porté la Ligue de 4 % en 2013 à 14 %" des suffrages, estime Sofia Ventura.
L'amertume vis-à-vis de l'Union européenne s'est en effet accentuée depuis 2013 avec la crise migratoire. Point d'entrée en Europe des migrants qui traversent la Méditerranée à partir de la Libye, l'Italie se sent dramatiquement "seule", assène Le Monde, face à ces arrivées. Au total, selon l'Institut italien des statistiques, plus de 690 000 personnes, pour la plupart originaires d'Afrique sub-saharienne, ont débarqué depuis en cinq ans sur le sol italien. L'Italie compterait aujourd'hui quelque 500 000 clandestins.
Aux yeux des Italiens, la solidarité européenne est aux abonnés absents. Les candidats de droite et d'extrême droite, mais aussi du Mouvement 5 étoiles, jouent sur du velours en promettant –que ce soit tenable ou non– de stopper le flux d'arrivées et de renvoyer chez eux des centaines de milliers de clandestins.
Comme lors des élections en France, en Allemagne ou en Autriche, des candidats ont joué de la xénophobie, en libérant les paroles racistes, note La Croix. Et ce dans un climat tendu : samedi 3 février à Macerata, dans la région des Marches (centre de l'Italie), Luca Traini, un Italien de 28 ans, ex-candidat de la Ligue du Nord à des élections locales, tire des coups de feu sur plusieurs personnes "de couleur", selon les médias italiens, et blesse six Africains en faisant usage de son arme à partir d'une voiture qui a sillonné le centre ville pendant deux heures. On trouvera chez lui une copie de Mein Kampf d'Adolf Hitler, un livre d'histoire sur Benito Mussolini, un magazine sur la jeunesse fasciste et des croix celtiques. Il n'est pas isolé : quatre jours plus tard, à Rome, des néofascistes déroulent sur le pont Milvius une immense banderole "Honneur à Luca Traini", malgré l'appel contre le racisme lancé la veille par le président de la République, Sergio Mattarella. La fin de campagne électorale s'est ainsi polarisée sur l'immigration.
La campagne électorale aura porté essentiellement sur le racisme et sur la peur de l'autre.
François Beaudonnet, correspondant à Romesur France 2
Parce que le Mouvement 5 étoiles pourrait devenir le premier parti d'Italie
Un trublion a déboulé, depuis quelques années, dans le jeu politique italien. Créé par l'humoriste Beppe Grillo, le Mouvement 5 étoiles est désormais emmené par Luigi Di Maio, âgé de 31 ans. Il obtiendrait à lui seul au moins 28% des suffrages, selon les derniers sondages, ce qui en ferait le premier parti italien. Ce mouvement s'apparente à un ovni politique. "C'est un mouvement attrape-tout, inclassable parmi les populistes européens", définit Marc Lazar. "Il n'est ni de droite, ni de gauche, complète Sylvain Kahn, professeur à Sciences Po, où il enseigne les questions européennes. Le Mouvement 5 étoiles est un parti hétéroclite, très critique vis-à-vis des institutions, à l'idéologie libertaire, mais qui véhicule aussi de la xénophobie."
Sa singularité ? Alors que la moitié des moins de 25 ans devrait bouder les urnes dimanche, le Mouvement 5 étoiles séduit les jeunes adultes, sur fond de fracture générationnelle : "Les jeunes nés à partir de 1985 estiment que les générations précédentes leur barrent l'accès au logement et à l'emploi, expose Sylvain Kahn. Il y a un phénomène 'Tanguy' [du film d'Étienne Chatiliez] très ancré [deux tiers des 18-34 ans vivent encore chez leurs parents en Italie] qui participe au succès du Mouvement 5 étoiles."
A cet électorat jeune correspondent des outils modernes : "Ce parti a compris que le numérique bouleverse tout, estime Marc Lazar. Il a refusé une organisation physique : tout est virtuel, avec des plateformes."
Le M5S pratique d'un côté l'horizontalité de la démocratie directe, de l'autre la verticalité du pouvoir, incarné par Luigi Di Maio. Cela préfigure de nouvelles formes de démocratie.
Marc Lazarà Franceinfo
En 2013, le parti anti-système est entré en force au Parlement, avec 162 élus. En 2016, il a décroché les mairies de Turin et de Rome, lors des municipales. Et il pourrait à nouveau frapper un grand coup lors de ces législatives. Son leader a même déjà annoncé le nom de ses ministres s'il accède au pouvoir, rappelle François Beaudonnet, correspondant de France 2 à Rome.
Parce que la gauche risque de perdre le pouvoir
Sauf surprise majeure, la coalition de centre-gauche emmenée par le Parti démocrate de Matteo Renzi ne devrait pas être reconduite. Les derniers sondages la créditent de 26% des intentions de vote. Les observateurs notent que l'alternance est souvent de règle en Italie. Ils estiment aussi que l'ancien Premier ministre Matteo Renzi s'est brûlé les ailes avec une avalanche de réformes "à la hussarde" et une "personnalisation du pouvoir à outrance". Mais, reconnaît Marc Lazar, un échec du Parti démocrate "refléterait aussi la profonde crise de la gauche européenne : partout les partis socialistes ou sociaux-démocrates dévissent."
L'économie n'y est pas pour rien. Certes, l'Italie vient opportunément, le 1er mars, de publier une série de bons chiffres pour le centre-gauche au pouvoir: la croissance repart (1,5% en 2017) et le déficit baisse (1,9% du PIB). Mais les Italiens retiennent surtout que le chômage dépasse toujours les 10%, que la réforme du travail mise en œuvre par Matteo Renzi a accentué la précarité, que les inégalités ne cessent de se creuser, et que la pauvreté absolue est à un niveau record, rappellent Les Echos. Pourquoi, dans ces conditions, voter pour un parti qui refuse d'ailleurs d'employer le mot "gauche" pour se qualifier, comme le relève Slate ("L'Italie, le pays où la gauche a disparu") ?
Parce que tout ne sera pas réglé dimanche soir
Le nouveau système électoral, qui combine représentation proportionnelle et scrutin majoritaire à un tour, rend improbable qu'un parti soit en mesure de gouverner seul. Il faudra former une majorité au Parlement et tous les cas de figure sont possibles. La coalition de droite est la favorite des sondages. Mais si vraiment elle arrive en tête, lequel des partis la composant peut être en mesure d'imposer ses conditions ? La Ligue, eurosceptique, ou Forza Italia, plus europhile ?
Au risque d'être soupçonnée d'ingérence, l'Union européenne n'a pas caché ses souhaits de voir le parti de Berlusconi s'allier, à l'allemande, avec le Parti démocrate pour un accord de grande coalition entre des familles politiques pro-européennes. Si aucune majorité ne se dessine, Bruxelles redoute surtout une éventuelle alliance des partis hostiles à l'Europe, comprenant la Ligue et le Mouvement 5 étoiles. "Si cette coalition l'emporte, c'est la troisième puissance européenne qui basculerait du côté du groupe de Visegrad [qui comprend notamment la Hongrie de Viktor Orban], explique Marc Lazar. Ce serait un scénario noir."
Et si aucune majorité ne se dessine, le président de la République italien, Sergio Mattarella, devrait laisser en place le gouvernement actuel de centre-gauche, qui n'a pas besoin de demander la confiance du nouveau Parlement pour gérer les affaires courantes. La procédure va prendre du temps : les deux chambres se réuniront pour la première fois le 23 mars pour élire les deux présidents et constituer les groupes. Le président entamera alors ses consultations.
Mais l'Italie a appris à vivre dans l'incertitude: elle a connu plus de 60 gouvernements depuis le début de la République, en 1946.
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