Cet article date de plus d'onze ans.
L’anthropologue Lynda Dematteo sur Beppe Grillo, le comique entré en politique
Chargée de recherche en anthropologie sociale au CNRS, Lynda Dematteo décrit le phénomène Beppe Grillo et celui de son Mouvement 5 Etoiles, qui a recueilli près d’un quart des voix lors des dernières élections italiennes. Le programme de ce mouvement, né d’internet, prône la démocratie directe. Mais pour la chercheuse, il n’en cache pas moins des aspects inquiétants.
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Comment définissez-vous Beppe Grillo et le Mouvement 5 Etoiles ?
Il rappelle le parti des Pirates en Allemagne. C’est un phénomène né sur internet, au discours très écologique et anti-euro, qui prône la démocratie directe par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Le blog de Beppe Grillo, qui a une très grande liberté de parole et de ton, est peut-être actuellement l’un des plus fréquentés au monde. On y trouve un peu de tout. Il est consulté par des gens qui ne sont pas nécessairement ses partisans mais qui veulent avoir accès à des informations sans filtre.
En ce qui concerne Beppe Grillo, c’est un comique qui a commencé à se faire connaître à la télévision publique, la RAI, dans les années 90. Très vite, il a tenu un discours critique sur la vie politique et le monde de la télévision, notamment avec l’arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi. Il a fait des coups d’éclat à l’antenne, qui lui ont acquis une grande notoriété. A tel point qu’il a fini par quitter le système médiatique. Ceci dit, c’est un peu une posture, car il reste très présent dans les médias !
Par la suite, il a continué à faire des tournées de spectacles payants dans toute l’Italie, avant de créer le Mouvement 5 Etoiles (MoVimento Cinque Stelle en italien), en 2009. J’ai eu l’occasion d’assister à l’un de ces spectacles en 2012.
Et alors ? Est-il drôle ?
Pour moi, non. Son discours tient de la harangue. Il se moque des politiques, dénonce les dérives du Parlement et la corruption du système. Il est très violent et n’hésite pas à lancer des insultes, traitant par exemple Berlusconi de «momie», mot qui a bien plu à la presse française. Il faut bien voir qu’en Italie, on est plus tolérant vis-à-vis de ce genre de propos que dans l’Hexagone.
Mais en même temps, il est très méprisant vis-à-vis de son public et du peuple italien. Il prend à partie les gens. En leur demandant par exemple : «Pourquoi votez-vous pour eux ?», en clair tous ces politiques. Certes, il veut faire réagir ses auditeurs. Mais personnellement, cela m’a choquée.
Je trouve que Beppe Grillo a un aspect un peu inquiétant. Pendant la campagne électorale, je suis allé l’écouter sur une place de Bergame, en Lombardie. On l’entendait hurler à plusieurs centaines de mètres à la ronde sans même comprendre ce qu’il disait. La violence du ton était incroyable. C’était impressionnant ! En même temps, les gens communiaient avec ce qu’il disait.
J’ai travaillé sur la Ligue du nord et son leader, Umberto Bossi (Lynda Dematteo a écrit un ouvrage sur la question, L’idiotie en politique, CNRS Editions, 2007, NDLR). Et bien, il me rappelle Bossi qui, au début des années 90, portait la colère des Italiens contre le Parlement. Beppe Grillo, lui aussi exprime cette colère. Mais la comparaison s’arrête là.
Car les partisans du Mouvement 5 Etoiles, qui défend une sorte de démocratie directe, entendent investir le Parlement. Deux éléments ressortent de leur programme. Ils veulent ainsi changer la loi électorale, celle que son auteur, Roberto Calderoli (Ligue du Nord), a lui-même définie comme une «porcata», une «porcherie», une «saloperie» : Son application fait qu’aujourd’hui, après les élections, le Sénat est bloqué, tout est bloqué. Autre point du programme: une nouvelle loi sur les partis politiques pour en finir avec leur financement public.
Peppe Grillo refuse toute étiquette. On ne peut pas le classer. A ce niveau, il rappelle parfois Coluche. Mais je le répète : son parcours évoque davantage celui d’Umberto Bossi. Ce comique adapte son discours aux attentes de son public. En cela, on peut dire qu’il a une logique purement populiste, dans la définition minimaliste de ce terme. Reste maintenant à savoir comment ses partisans et lui vont se comporter à l’épreuve de la réalité.
En dehors de sa violence verbale, il y a chez lui un autre aspect inquiétant : le fait que se tient à ses côtés, dans l’ombre, un certain Gianroberto Casaleggio, cofondateur du Mouvement 5 Etoiles, qui dirige Casaleggio Associati, une société spécialisée dans la communication et le marketing. Ce personnage suscite bien des interrogations.
Dans une interview, un conseiller régional de 5 Etoiles en Emilie-Romagne, Giovanni Favia, parle de la main-mise de Casaleggio sur le mouvement et prétend qu'il n'y a pas de démocratie interne. Favia a été exclu par Beppe Grillo, qui cherche ainsi à contrôler le discours de ses membres.
A quoi ressemble son électorat ?
Selon certaines études, il s’agit d’hommes d’entre 30 et 40 ans, des pères de famille inquiets pour l’avenir de leurs enfants. En ce sens, ce sont d’anciens électeurs de Berlusconi qui l’ont désavoué. Mais on trouve d’anciens partisans du Parti démocratique (PD) qui avaient voté pour Matteo Renzi, le concurrent de Bersani, pendant les primaires de cette formation de centre-gauche. Pour eux, le PD n’a rien fait contre Berlusconi. Par leur vote, ceux-ci ont donc, eux aussi, exprimé un désaveu. Peppe Grillo et son mouvement ont ainsi pris des bulletins de vote dans tous les camps.
A lire: La corruption gangrène la vie politique italienne
Beppe Grillo, le trublion qui bouscule la donne politique
Il rappelle le parti des Pirates en Allemagne. C’est un phénomène né sur internet, au discours très écologique et anti-euro, qui prône la démocratie directe par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Le blog de Beppe Grillo, qui a une très grande liberté de parole et de ton, est peut-être actuellement l’un des plus fréquentés au monde. On y trouve un peu de tout. Il est consulté par des gens qui ne sont pas nécessairement ses partisans mais qui veulent avoir accès à des informations sans filtre.
En ce qui concerne Beppe Grillo, c’est un comique qui a commencé à se faire connaître à la télévision publique, la RAI, dans les années 90. Très vite, il a tenu un discours critique sur la vie politique et le monde de la télévision, notamment avec l’arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi. Il a fait des coups d’éclat à l’antenne, qui lui ont acquis une grande notoriété. A tel point qu’il a fini par quitter le système médiatique. Ceci dit, c’est un peu une posture, car il reste très présent dans les médias !
Par la suite, il a continué à faire des tournées de spectacles payants dans toute l’Italie, avant de créer le Mouvement 5 Etoiles (MoVimento Cinque Stelle en italien), en 2009. J’ai eu l’occasion d’assister à l’un de ces spectacles en 2012.
Et alors ? Est-il drôle ?
Pour moi, non. Son discours tient de la harangue. Il se moque des politiques, dénonce les dérives du Parlement et la corruption du système. Il est très violent et n’hésite pas à lancer des insultes, traitant par exemple Berlusconi de «momie», mot qui a bien plu à la presse française. Il faut bien voir qu’en Italie, on est plus tolérant vis-à-vis de ce genre de propos que dans l’Hexagone.
Mais en même temps, il est très méprisant vis-à-vis de son public et du peuple italien. Il prend à partie les gens. En leur demandant par exemple : «Pourquoi votez-vous pour eux ?», en clair tous ces politiques. Certes, il veut faire réagir ses auditeurs. Mais personnellement, cela m’a choquée.
Je trouve que Beppe Grillo a un aspect un peu inquiétant. Pendant la campagne électorale, je suis allé l’écouter sur une place de Bergame, en Lombardie. On l’entendait hurler à plusieurs centaines de mètres à la ronde sans même comprendre ce qu’il disait. La violence du ton était incroyable. C’était impressionnant ! En même temps, les gens communiaient avec ce qu’il disait.
J’ai travaillé sur la Ligue du nord et son leader, Umberto Bossi (Lynda Dematteo a écrit un ouvrage sur la question, L’idiotie en politique, CNRS Editions, 2007, NDLR). Et bien, il me rappelle Bossi qui, au début des années 90, portait la colère des Italiens contre le Parlement. Beppe Grillo, lui aussi exprime cette colère. Mais la comparaison s’arrête là.
Car les partisans du Mouvement 5 Etoiles, qui défend une sorte de démocratie directe, entendent investir le Parlement. Deux éléments ressortent de leur programme. Ils veulent ainsi changer la loi électorale, celle que son auteur, Roberto Calderoli (Ligue du Nord), a lui-même définie comme une «porcata», une «porcherie», une «saloperie» : Son application fait qu’aujourd’hui, après les élections, le Sénat est bloqué, tout est bloqué. Autre point du programme: une nouvelle loi sur les partis politiques pour en finir avec leur financement public.
Peppe Grillo refuse toute étiquette. On ne peut pas le classer. A ce niveau, il rappelle parfois Coluche. Mais je le répète : son parcours évoque davantage celui d’Umberto Bossi. Ce comique adapte son discours aux attentes de son public. En cela, on peut dire qu’il a une logique purement populiste, dans la définition minimaliste de ce terme. Reste maintenant à savoir comment ses partisans et lui vont se comporter à l’épreuve de la réalité.
En dehors de sa violence verbale, il y a chez lui un autre aspect inquiétant : le fait que se tient à ses côtés, dans l’ombre, un certain Gianroberto Casaleggio, cofondateur du Mouvement 5 Etoiles, qui dirige Casaleggio Associati, une société spécialisée dans la communication et le marketing. Ce personnage suscite bien des interrogations.
Dans une interview, un conseiller régional de 5 Etoiles en Emilie-Romagne, Giovanni Favia, parle de la main-mise de Casaleggio sur le mouvement et prétend qu'il n'y a pas de démocratie interne. Favia a été exclu par Beppe Grillo, qui cherche ainsi à contrôler le discours de ses membres.
A quoi ressemble son électorat ?
Selon certaines études, il s’agit d’hommes d’entre 30 et 40 ans, des pères de famille inquiets pour l’avenir de leurs enfants. En ce sens, ce sont d’anciens électeurs de Berlusconi qui l’ont désavoué. Mais on trouve d’anciens partisans du Parti démocratique (PD) qui avaient voté pour Matteo Renzi, le concurrent de Bersani, pendant les primaires de cette formation de centre-gauche. Pour eux, le PD n’a rien fait contre Berlusconi. Par leur vote, ceux-ci ont donc, eux aussi, exprimé un désaveu. Peppe Grillo et son mouvement ont ainsi pris des bulletins de vote dans tous les camps.
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