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Marcelle Padovani sur le communisme en Italie, entre Peppone et Don Camillo

Marcelle Padovani est correspondante du «Nouvel Observateur» en Italie. A ses yeux, Pierre Luigi Bersani, le leader du Parti démocrate (PD), un ex-communiste d’origine catholique qui mène la coalition de centre gauche pour les législatives , se situe dans la continuité de son ancien parti : non idéologique et non orthodoxe, immergé dans la réalité. Bref, il est «à la fois Peppone et Don Camillo».
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La faucille et le marteau (symboles du communisme), sur fond de drapeau italien, lors d'un meeting de l'opposition italienne à Milan le 11 décembre 2004.

 (AFP - Paco SERINELLI)
Où en sont les anciens communistes italiens aujourd’hui ?
Après la chute du mur de Berlin en 1989, ils ont fait une révolution génétique. Ils ont enterré le communisme et se sont appelés Parti démocrate de la gauche (PDS), puis Parti démocrate (PD). A cette époque, le Parti communiste italien (PCI) était le plus grand PC d’Europe occidentale, le plus intégré dans la société. C’était aussi le plus gestionnaire : il gouvernait toute l’Italie centrale, celle des vieilles villes et des vieux duchés. Lors des élections européennes de 1984, avec 34,5% des voix, il a réalisé son maximum historique : un Italien sur trois votait alors communiste.

Il faut voir que le PCI n’a jamais été stalinien, il n’a jamais été orthodoxe. Tout au long de son histoire, il a toujours fait preuve d’autonomie et d’indépendance vis-à-vis de l’URSS. Il ne vivait pas que d’idéologie : il n’était donc pas à son aise au sein de l’Internationale communiste.

Aujourd’hui, c’est devenu un grand parti progressiste et démocrate, qui ne fait plus de référence au communisme

A côté de lui, on trouve deux petits partis qui ont fait scission : Refondation communiste et Communistes italiens. Ceux-ci sont restés orthodoxes. Ils défendent un marxisme qui n’a pas évolué, celui du travail contre le capital, sans tenir compte de la globalisation et de la crise des idéologies. Pour moi, c’est un phénomène résiduel, folklorique et sympa ! Quand je parle avec leurs membres, j’ai l’impression de faire un bond de 30 ans en arrière. Ils sont réfractaires à toute participation gouvernementale avec le centre et ont en commun la haine de Mario Monti.
 
Reste-t-il quelque chose de la culture communiste d’antan ?
Je le répète : pour moi, le Parti démocrate reste dans la continuité de ce qui a constitué le meilleur du PCI : non orthodoxe, complètement immergé dans la réalité italienne et tourné vers la gestion du réel. Il a conservé le sens du compromis historique, comme du temps d’Enrico Berlinguer dans les années 80.

Portrait de l'ancien dirigeant communiste Enrico Berlinguer brandi lors d'une manifestation anti-Berluscon
le 11 décembre 2010 à Rome.

 (AFP - Tizana Fabi)

Quand Bersani explique aux «Echos» qu’il tient à «être crédible», «redonner un élément de crédibilité sur le plan international et les marchés», n’est-il pas un peu comme Tony Blair ? Lequel a pris position pour l’UMP…
Vous savez, le PCI était déjà hérétique aux yeux des autres PC. Le PD l’est resté. A l’image de Pier Luigi Bersani. Lui a été catholique : pendant ses études, il a rédigé une thèse sur le pape Grégoire le Grand. Aujourd’hui, il se définit comme non-croyant. Mais comme il me l’a dit, il est rétif à tout irréligiosité, qu’il définit, citant Albert Camus comme «une forme de bêtise humaine».
 
Bersani n’est pas Blair. C’est un homme qui a appris la gestion en présidant la région d’Emilie-Romagne (nord-est), sa région d’origine. Il a été ministre à plusieurs reprises. Un très bon ministre, apprécié, qui n’a pas hésité à faire des privatisations difficiles. Il a été élu secrétaire du Parti démocrate avant d’être confirmé comme leader du centre gauche pour les législatives à la suite de primaires qui ont mobilisé plus de 3 millions d’électeurs.

Il n’est pas figé dans ses convictions. Il a un bon background. Certes, il n’est pas charismatique, ce n’est pas un communicant. Mais il est le contraire de Berlusconi : c’est l’antithèse du populisme (qui tente, rappelons-le, la moitié des électeurs italiens). Il a su réfléchir sur le capitalisme. C’est un homme progressiste d’aujourd’hui : quelqu’un de normal, qui ne sursaute pas quand on prononce devant lui les mots profit ou productivité.

Don Camillo (Fernandel), à gauche, et Peppone (Gino Cervi), à droite, dans "La Grande bagarre de Don Camillo", film de Carmine Gallone tourné en 1955. (AFP - ARCHIVES DU 7EME ART)

Je dirais que Bersani, c’est à la fois Peppone et Don Camillo (personnages du journaliste et dessinateur italien Giovannino Guareschi, NDLR). Il incarne une continuité : celle d’un parti enraciné dans la réalité, qui possède une culture et une histoire. Le PCI évoluait à une époque où il y avait deux camps, où la Guerre froide rendait les choses plus schématiques. Aujourd’hui, le monde est plus complexe : Pier Luigi Bersani l’a parfaitement compris.

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