Au Japon, les mangas menacés par une réforme fiscale ?
Ce 1ᵉʳ octobre marque un tournant pour les travailleurs indépendants et micro-entrepreneurs japonais, l’entrée en vigueur d’une réforme fiscale appelée "système invoice" (invoice seido), censée permettre une collecte plus large de la taxe sur la consommation (équivalent de la TVA). Mais pour les dessinateurs de mangas (magakas) et leurs assistants, entre autres, cette date marque surtout le début d'un casse-tête fiscal.
"Le monde des mangakas est vraiment dans une situation difficile, explique une dessinatrice. On voudrait se concentrer sur nos œuvres et ne pas avoir à s'occuper de problèmes de taxes." Au Japon, les dessinateurs de mangas reçoivent de l'éditeur un petit forfait par page pour la publication en magazine (environ 60 à 120 euros par page) et paient ainsi leurs assistants. Auparavant, si leurs revenus annuels de dépassaient pas dix millions de yens (60 000 euros), ils bénéficiaient d’une exemption de déclaration et paiement de TVA, sans conséquences. Mais désormais, avec le nouveau système, pour que les éditeurs puissent déduire de la TVA à verser à l’Etat celle déjà payée aux mangakas, il faut une facture de ces derniers. Sinon, les éditeurs voient leurs frais augmenter.
Sur pression de ces derniers et pour éviter de perdre leur travail, les dessinateurs vont devoir s’enregistrer et émettre des factures en bonne et due forme et leurs assistants également. Pour ces derniers, cela risque de se traduire par une chute de revenus.
"Le plus gros problème, c'est le risque que les assistants disparaissent."
Une mangaka japonaiseà franceinfo
"Les revenus des assistants sont déjà très faibles. Plus de la moitié gagnent moins de 18 000 euros par an. S'ils doivent payer la taxe sur la consommation et que leurs revenus s'amenuisent encore, pourquoi faire ce travail ?", interroge-t-elle.
Or, les assistants sont indispensables, insiste le mangaka Nozomu Tamaki. "Si on ne dessine pas extrêmement bien, les mangas ne sont plus lus, donc on embauche pleins d'assistants mais presque 100% des revenus par page servent à les payer".
"Cela débouchera sur un mouvement de protestation"
Les mangakas eux-mêmes perçoivent ensuite des droits d'auteur sur les livres publiés avec lesquels ils se rémunèrent, mais ce n'est pas le cas des assistants. Ce nouveau dispositif fiscal, qui occasionne aussi une gestion administrative importante, affecte en outre presque tous les personnels des secteurs de l'animation et du cinéma, car plus des trois quarts sont non-salariés, ce sont des free-lancers payés à la journée ou à la tâche.
Ryūsuke Hamaguchi, un des plus grands réalisateurs japonais, oscarisé pour son film Drive my car et lauréat cette année du Lion d’argent à la Mostra de Venise pour Le diable n’existe pas, s'inquiète également. "On rencontre beaucoup de difficultés, c'est certain. Les informations ne viennent pas correctement jusqu'à nous, ce qui fait qu'on a la sensation qu'on nous enlève nos moyens de subsistance. Et un jour, cela débouchera sur un mouvement de protestation quelconque."
Une pétition contre ce "système invoice" a recueilli plus de 540 000 signatures. Le gouvernement du Premier ministre Fumio Kishida, qui promet par ailleurs des baisses d’impôts et une aide aux personnes les plus fragilisées, a été forcé de réagir. Il assure qu'il tiendra compte des situations des différents secteurs d’activité concernés (ils sont nombreux), mais sans prévoir pour le moment de mesure spéciale pour les artistes. Selon ces derniers, l'avenir de la culture populaire japonaise est en danger.
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