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Fukushima : trois raisons de douter de la compagnie Tepco

Les récents incidents survenus dans la centrale endommagée soulèvent des interrogations sur la façon dont l'opérateur gère les travaux de décontamination. 

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des employés de la compagnie Tepco inspectent le bâtiment du réacteur n°4 de la centrale de Fukushima, le 6 mars 2013. (ISSEI KATO / GETTY IMAGES)

Il y a d'abord eu un rat à l'origine d'une grave coupure de courant. Puis plusieurs pannes du système de refroidissement des piscines de combustible usé. Et enfin des fuites d'eau radioactive dans certains des sept réservoirs. Depuis le 19 mars, les incidents se multiplient à la centrale nucléaire de Fukushima, ravagée par le tsunami de mars 2011 et à l'arrêt depuis. Ils jettent une ombre sur le travail de l'opérateur du site, Tepco (Tokyo Electric Power Co), qui gère le démantèlement des réacteurs endommagés et la décontamination de la zone.

1Des fuites d'eau contaminée à répétition

Après un week-end difficile pour Tepco, un nouvel écoulement d'eau radioactive a été découvert, mardi 9 avril, dans une des piscines, la numéro 1, contenant du combustible usé. Celle-ci servait depuis samedi à stocker les eaux contaminées de la piscine numéro 2, sur laquelle une fuite a aussi été signalée.

Des employés de la compagnie Tepco inspectent une piscine pleine de combustible usé dans la centrale de Fukushima, le 6 mars 2013.  (ISSEI KATO / AFP)

La situation, inquiétante, a amené la compagnie à prendre la parole, mardi. Selon un porte-parole de la division énergie nucléaire de Tepco, "nous sommes pour le moment dans l'incapacité de dire 'c'est ceci ou cela'". Il a aussi admis ne plus faire "confiance aux piscines souterraines" et a reconnu que "l'entreprise n'a pas suffisamment de citernes solides en construction pour accueillir l'eau des réservoirs souterrains."

Ces déclarations rompent avec le ton rassurant adopté jusqu'alors par l'exploitant. Ce dernier a en effet annoncé, dimanche, la création d'une cellule spéciale présidée par son PDG, afin d'améliorer la gestion du site et surtout recouvrer la confiance de la population. Les récentes fuites ont attisé l'inquiétude des autorités, déjà refroidies par la grave coupure de courant du 19 mars. Le ministre de l'Economie, du commerce et de l'industrie a ainsi convoqué le patron de Tepco, lui ordonnant de trouver une solution à ce problème afin d'éviter que l'eau contaminée ne se déverse dans l'océan tout proche. "Si ce genre d'avaries continue de se produire, le processus de démantèlement des réacteurs risque d'être affecté", a-t-il expliqué.

2Des installations très instables 

"A l'évidence, la crise n'est toujours pas sous contrôle." Ce constat, formulé lundi par l'ex-président de la commission d’enquête parlementaire japonaise sur Fukushima et rapporté par Mediapart (article payant), révèle l'état d'esprit de certains Japonais. Et pour cause : les incidents à répétition ont jeté le doute sur la capacité de Tepco à assurer la sécurité de ses installations. 

Le quotidien japonais Asahi Shimbun (en anglais), très virulent envers Tepco, dénonce un matériel "branlant""des installations de fortune [censées être] provisoires" mais toujours utilisées, et reproche à l'opérateur de n'avoir pas anticipé les différents problèmes constatés depuis la fin mars. Sur son blog (en anglais), une ONG spécialisée dans le nucléaire renchérit. "Est-ce que Tepco fait ce qu'il faut pour assurer la sécurité de Fukushima Daiichi ? Nous ne le pensons pas", écrivent ses membres.

Les doutes gagnent même les élus : selon l'AFP, des parlementaires japonais ont exigé que le gouvernement gère directement les opérations de préparation au démantèlement. Cité par le journal Asahi Shimbun (en anglais), un maire d'une ville proche de la centrale estime, pour sa part, que "le site n'est pas encore stabilisé", allant ainsi à l'encontre de la position adoptée depuis la fin 2011 par la compagnie. Et cette dernière étant "la seule source d'information", rappelle le New York Times (en anglais), difficile d'obtenir des informations indépendantes concernant la situation réelle du site.  

3Les inquiétants témoignages des travailleurs

Début 2013 pourtant, des témoignages de travailleurs qui ont œuvré dans la zone interdite ont permis d'en savoir un peu plus sur le déroulé des travaux de décontamination. Selon leurs récits, rapportés par Arte et Le Figaro, le rejet dans la nature de matériaux contaminés est monnaie courante et l'eau utilisée pour nettoyer se retrouve parfois dans les rivières, où certains travailleurs viennent nettoyer leurs bottes. Photos à l'appui, Mediapart assure que certaines digues sont renforcées au moyen de sacs poubelles remplis de déchets radioactifs. 

Des sacs poubelles remplis de déchets radioactifs sont stockés sur le bord d'une route, près du village de Kawauchi, dans la préfecture de Fukushima, le 5 mars 2013. (AKIO KON / BLOOMBERG / GETTY IMAGES)

Interrogé par Le Monde, un ex-travailleur de la centrale accuse Tepco de faire travailler ses employés jusqu'à l'extrême limite de la dose maximale de radioactivité autorisée. Pire, selon lui, l'exploitant "fait tout pour minimiser les chiffres, afin que l'on reste le plus longtemps possible" sur place. Ces informations, corrélées aux récents incidents, ont entamé la confiance de certains Japonais vivant à proximité de la zone sinistrée de Fukushima.

En témoignent les déclarations d'un autre travailleur, rencontré par le Daily Beast (en anglais) : "Quand je participais aux travaux de décontamination, je comparais le niveau de radiation entre ce qu'affichait le poste de surveillance et le dosimètre que je portais sur moi. Il était beaucoup plus faible. Quand je l'ai dit au staff de Tepco, ils m'ont répondu que le poste était à plat de batterie." Pour lui, l'opérateur et le gouvernement "nous ont trompés [...] Même des élèves de primaire savent que Tepco ment toujours".

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