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L’accès à Internet, nouveau droit de l'Homme et déjà bafoué
L’accès à Internet est désormais considéré par les Nations Unies comme un droit de l’Homme. La résolution ne lie pas les Etats mais elle constitue un argument supplémentaire à opposer aux pays qui sont de plus en plus tentés de faire des restrictions d'accès un sport national.
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L’accès à Internet est devenu un droit de l’Homme comme un autre. Le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies a adopté par consensus le 1er juillet 2016 une résolution non-contraignante dans ce sens.
Elle «affirme que les mêmes droits dont les personnes disposent hors ligne doivent être aussi protégés en ligne, en particulier la liberté d’expression, qui est applicable indépendamment des frontières et quel que soit le média que l’on choisisse».
Ainsi, la résolution «condamne sans équivoque les mesures visant à empêcher ou à perturber délibérément l'accès à l'information ou la diffusion d'informations en ligne et invite tous les Etats à s'abstenir de telles pratiques et à les faire cesser».
BREAKING: UN Human Rights Council approves landmark resolution condemning internet shutdowns #KeepitOn #HRC32 https://t.co/rzdRl9prSW
— Access Now (@accessnow) July 1, 2016
Relais révolutionnaire
En ligne de mire, toutes les coupures intempestives d'Internet décidées par le pouvoir dans plusieurs pays. La raison en est souvent politique. Récemment encore, le 23 juin 2016, le village chiite de Diraz, à Barheïn, se retrouvait sans accès à Internet à la suite de manifestations pour protester contre la déchéance de nationalité infligée à la plus haute autorité chiite du royaume, l'ayatollah bahreïni Issa Qassem.
En avril 2016, à la veille de la présidentielle, les Tchadiens sont ainsi privés du Net et plus généralement de leurs moyens de communication les plus usuels, comme le SMS.
Mais la décision vise avant tout à contenir le mouvement de contestation qui a gagné le pays, quelques jours plus tôt, après le viol collectif de Zohoura, adolescente de 16 ans, par des fils de dignitaires du régime. Parmi eux, le fils du ministre des Affaires étrangères.
«L’ensemble des réseaux sociaux ont été coupés au lendemain des manifestations contre le viol puisque les manifestations sont parties des réseaux sociaux… Pendant les élections, tout le réseau mobile était coupé, internet, les SMS… tout était coupé», confiait alors à RFI le blogueur tchadien Salim Azim Assani.
Les régimes autocratiques s'en prennent de plus en plus à la Toile qui permet, aujourd'hui, de contourner beaucoup de restrictions à la liberté d'expression. Les Congolais étaient privés d’Internet et de SMS en janvier 2016, au lendemain d’une manifestation réclamant l’organisation de l’élection présidentielle dans les délais impartis par la Constitution. Le scrutin est d'ailleurs bien parti pour ne pas se tenir.
En mars 2014, les Turcs n'arrivent pas à accéder à Twitter. Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre à l’époque, avait menacé de museler le réseau social afin de contenir les accusations de corruption dont il fait l’objet.
De même, le 6 avril 2015, YouTube, Twitter et Facebook sont bloqués pendant des heures. L'opération se répète de nouveau le 22 juillet 2015. Recep Tayyip Erdogan, qui est désormais à la tête du pays, ne cache pas sa détestation de Twitter. Les réseaux sociaux ont largement contribué à nourrir en juin 2013 la fronde anti-gouvernentale suscitée par le projet de réaménagement de la place Taksim, à Istanbul.
Idem durant le printemps arabe. En janvier 2011, les autorités égyptiennes coupent Internet aux premières heures d'une révolution qui s'organise aussi sur la Toile et qui va entraîner la chute du raïs, Hosni Moubarak. «C’est la première coupure internet "autoritaire" d’une ampleur aussi importante, s’accordent à dire les experts, car les ruptures d’accès précédentes, en Birmanie en 2007 ou en Iran en 2009 lors de protestations populaires, n’avaient été que temporaires ou très ciblées», soulignait alors Libération.
De même, en Syrie, dans les premières semaines du soulèvement contre le régime de Bachar al-Assad, le pouvoir opte pour la censure. Le 29 novembre 2012, durant 52 heures, la Syrie est coupée du World Wide Web (la Toile d'araignée mondiale). Depuis, les difficultés d'accès à Internet sont récurrentes dans un pays en guerre civile depuis cinq ans.
La cause de tous les maux
Mais ce n'est pas toujours des raisons politiques qui conduisent au blocage d'Internet. Récemment, l'Algérie et l'Irak en ont fait une nouvelle arme... contre la tricherie.
Dans la soirée du 18 juin 2016, les autorités algériennes empêchent l'accès à Twitter et à Facebook, perturbant la connexion Internet dans l'ensemble du pays. Objectif : éviter une nouvelle fuite des épreuves du bac pendant le déroulement du baccalauréat qui avait dû être réorganisé à cause de précédentes fuites.
En dépit de véhémentes protestations, le dispositif sera maintenu jusqu'à la fin de l'examen. L’Irak avait aussi eu recours à cette mesure pour contrecarrer les tricheurs pendant la période des examens en mai 2016.
Les coupures sont une alternative à des solutions plus définitives. L’accès à Internet est totalement verrouillé dans certains pays, comme en Chine. Le système chinois a été baptisé «Grand Firewall» (le grand pare-feu). Un dispositif renforcé par Pékin qui multiplie les oukazes sur l'usage du Net. Dernière sortie en date: l’interdiction aux médias d’utiliser des informations récoltées sur les réseaux sociaux, et par conséquent de les citer.
«Cette action répond à la volonté du gouvernement de combattre la transmission à grande échelle de "rumeurs et de fausses informations". Ce type d’argument est souvent utilisé par Pékin pour justifier la répression d’internautes critiques vis-à-vis de l’exécutif ou révélant des affaires de corruption», note Le Monde.
Outre la Chine, des pays comme le Laos, la Birmanie ou encore le Vietnam censurent Internet. Dans la Russie de Vladimir Poutine, la contestation prend aussi racine sur la Toile. Les 20 et 22 octobre 2012, par exemple, les Russes votaient sur Internet pour désigner un «parlement fantôme» de quarante-cinq membres de l’opposition. Le scrutin virtuel avait été organisé par les principaux leaders des mouvements démocratiques.
Les internautes ont trouvé depuis longtemps la parade pour contourner les restrictions d'accès à Internet. Elle tient en trois lettres: VPN pour «Virtual Private Network (Réseau privé virtuel)».
A shutdown in your country? Five ways to bypass social media bans #KeepItOn https://t.co/qTHsJsyGiR
— Access Now (@accessnow) July 6, 2016
Outil que mêmes les grands chantres de la censure osent utiliser... en public. A l'instar de Fang Binxing, considéré comme le père de la censure en Chine. Il a dû mettre en place un VPN alors qu’il tentait d’accéder à un site sud-coréen lors d’une présentation en Grande-Bretagne en avril 2016. Dans son propos, le spécialiste chinois comparaît de façon erronée le système de son pays à celui de la Corée du Sud qui bloque certains sites faisant l’apologie de la Corée du Nord.
Par ailleurs, les organisations de défense des droits numériques, comme Access Now, restent vigilantes notamment à travers la campagne #KeepItOn. Elle permet, entre autres, aux internautes de signaler tout atteinte à leurs droits numériques. Depuis le début de l'année 2016 (six premiers mois), Access Now a répertorié 20 coupures d'Internet, soit 5 de plus que durant toute l'année 2015.
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