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"Le courage, ce n'est pas de ne pas avoir peur". Entretien avec Denis Goldberg, compagnon de route de Nelson Mandela

Ce jour est important en Afrique du sud : l'anniversaire de Nelson Mandela, ses 95 ans. Avec une tonalité particulière puisqu'on sait qu'il est hospitalisé depuis un mois et demi à Pretoria, souffrant d'une infection pulmonaire très sérieuse. Depuis quatre ans, les Nations unies ont fait de cette date : "le Mandela Day" une journée internationale pour la justice et la paix. A l'occasion de cette journée, France Info vous propose une rencontre avec Denis Goldberg, l'un des plus proches compagnons de route de Nelson Mandela.
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Franceinfo (Franceinfo)

Denis Goldberg, 80
ans, était le seul Blanc parmi la dizaine de militants de la branche armée de
l'ANC (Congrès National Africain) condamnés à la prison à vie en 1964 au procès
de Rivonia, en même temps que Mandela. Ce Sud-africain juif, ancien communiste,
originaire du Cap, a passé 22 ans derrière les barreaux. Denis Goldberg était de
passage cette semaine à Paris. Nous avons pu le rencontrer.

France Info :
Cinquante  ans après votre arrestation,
vous êtes resté un ami proche du père de la nation arc en ciel ? Comment
va-t-il ?

Mandela a 15 ans de plus que moi. Il m'a toujours appelé affectueusement "garçon" quand on a combattu ensemble dans la clandestinité pour "Spear of the Nation", la branche armée de l'ANC. Moi, je
l'appelais "Nel", je continue d'ailleurs de l'appeler "Nel".
Il y a un lien
particulier entre lui et moi, comme entre tous les condamnés du procès de 1964.
On a eu peur ensemble d'être condamnés à mort. On a été condamnés à la prison à
vie ensemble.

Je l'ai vu récemment. Sa
femme Graça nous a invités à 
l'hôpital : Kathrada, Mlangeni, et moi, les trois compagnons du
procès qui sommes encore en vie aujourd'hui. 
Graça voulait qu'il entende des voix qu'il connaît !  On l'a donc fait réagir, et il a ouvert ses
yeux. Il a  tourné sa tête vers moi. Il
est intubé donc il ne pouvait pas me parler, mais il bougeait les lèvres et
essayait de s'adresser à moi. J'espère qu'il voulait dire des choses
gentilles ! (sourire) C'est clairement un vieux monsieur malade, mais
il est tout à fait en vie. Quand je l'ai vu, je me suis dit : "Quel
combattant cet homme !". Il est là pour son anniversaire, pour cette
journée internationale du  Mandela Day : quel combattant !

France Info : C'est
votre lutte clandestine qui a scellé votre amitié mais aussi ce fameux procès
de Rivonia en 1964, quel souvenir en gardez-vous aujourd'hui ?

Oui, c'est
à partir de ce procès couvert par des médias du monde entier que la communauté
internationale a commencé à voir et à comprendre ce qui se passait dans
l'Afrique du sud de l'apartheid. J'étais assis à côté de Nelson Mandela sur le
banc des accusés. Nous étions onze en tout.

Pour notre défense, nous
n'avons pas essayé de nier ce qu'on nous reprochait : à savoir que nous
avions cherché à renverser le régime. Nous n'avons pas nié car c'est bien ce
que nous essayions de faire à l'époque.  Notre but à l'audience a plutôt été de montrer que nous n'étions pas
des terroristes comme le procureur le disait ; mais que c'est le régime de
l'apartheid et sa brutalité qui étaient terroristes.

Et je crois qu'on a
réussi. On a réussi grâce au brillant discours de Mandela. A la fin des quatre heures de discours, il a dit que toute sa vie, il avait lutté contre la
domination blanche, qu'il ne voulait pas non plus une domination noire, mais
que son rêve était qu'on vive tous ensemble en paix, en harmonie. Il a ajouté
cette phrase : "C'est un idéal pour lequel je suis prêt à
mourir". Quel moment !  Il n'a
pas crié, il n'a pas hurlé. Il était calme. Il a dit au juge : "Pendez-moi
si vous osez". Il nous a montrés du doigt, et il lui a dit : "D'ailleurs, pendez ceux-là aussi. Pendez-nous tous". Cela a été un
moment très fort de ma vie. Et je l'ai partagé avec lui.

Le courage, ça n'est pas
de ne pas avoir peur. Le courage c'est de savoir dépasser cette peur.

"Je fais confiance à la nouvelle génération sud-africaine"

France Info :
Vous étiez le seul Blanc sur le banc des accusés. Qu'est-ce qui vous a poussé
en tant que Sud-Africain blanc à vous lancer dans la bataille
anti-apartheid ?

C'est
vrai qu'en tant que Blanc, ma vie était compliquée car j'étais contraint de
vivre dans un lotissement de Blancs. Certains de mes voisins m'ont suspecté ou
même dénoncé.

Il faut rappeler que
sous l'apartheid, le racisme était institué par la loi dans tous les domaines
de la vie.  Le racisme pour savoir où
vous aviez le droit de vivre, pour savoir quelle école vous pouviez fréquenter,
quelle surface vous aviez le droit de cultiver, quel emploi vous pouviez
occuper.  Coucher  avec une personne d'une autre couleur,
c'était interdit. Tout était contrôlé. Une minorité de cinq millions de Blancs
contrôlait quarante millions de Noirs, de la manière la plus brutale.  Ce système humiliait les Noirs, les privait
de leur dignité et de leur humanité. L'apartheid  a été selon moi un moyen de créer une main
d'œuvre sous-payée, à la disposition des fermiers, des industriels et des
hommes d'affaires blancs.

France Info :
Vingt ans après les premières élections
libres et l'arrivée de Mandela à la présidence, quel regard portez-vous sur
l'Afrique du sud d'aujourd'hui ?

 La démocratie est
quelque chose de fragile, de nouveau, qu'il faut protéger. Là, on est à un
moment clef, où les anciens doivent passer le relais aux plus jeunes. Moi je
fais confiance à la nouvelle génération. 

Vous savez, pendant
l'apartheid, c'était facile d'être unis : on était tous dans
l'opposition.  Mais quand vous avez gagné
la liberté, là c'est différent. Les ouvriers, 
les capitalistes, les religieux, les non croyants.... tous veulent que
l'on prenne des chemins différents. Malheureusement il y a aussi certains Blancs qui continuent de se penser supérieurs, qui refusent d'abandonner leurs
privilèges et pensent qu'on a fait une erreur en mettant un terme à
l'apartheid.

La démocratie n'est pas
facile à gérer ! Et les Sud-Africains sont impatients, ils auraient voulu
résoudre tous les problèmes en vingt ans. Ca prendra plus de temps, mais j'ai
confiance.

 

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